Pour accéder aux différents Avis Généraux et Spécifiques de passation des marchés lancés par le MCA- Côte d'Ivoire,
Cliquez sur: https://www.mcacotedivoire.ci/passation-des-marches/avis-general-de-passation-des-marches.html
EVALUATION DE LA PARTICIPATION ÉCONOMIQUE
DES FEMMES EN CÔTE D’IVOIRE
Ce rapport présente des résultats basés sur un examen de la littérature, des séances de travail avec l’équipe de développement du Compact de Côte d’Ivoire, ainsi que des réunions et discussions avec des groupes de réflexion tenues avec un ensemble d’intervenants à Abidjan et Bouaké en décembre 2016 et mars 2017.
Les auteurs ont traité deux objectifs : 1) comprendre les facteurs déterminant la participation économique des filles et des femmes en Côte d’Ivoire et 2) envisager les divers moyens dont les projets proposés, en vue d’un financement dans le cadre du Compact, peuvent affecter une telle participation, ainsi que les initiatives à envisager, par le gouvernement de Côte d’Ivoire et les partenaires internationaux pour le développement, pour renforcer les chances d’un impact positif maximal pour les filles et les femmes.
L’évaluation a permis de dégager un thème transversal. Il s’agit des risques et des actes de violence basée sur le genre qui touchent de nombreux domaines dans lesquels jeunes filles et femmes font des choix économiques aujourd’hui en Côte d’Ivoire, y compris dans/près des écoles et marchés, le long des routes, dans les transports et aux frontières. Dans certains cas, les risques et les actes de violence auxquels font face les femmes sont semblables à ceux auxquels sont confrontés les hommes (par exemple, banditisme le long des routes dans le nord), provenant du lent rétablissement de la période post-conflit du pays. Dans d’autres cas, les filles et les femmes payent un prix plus élevé en raison des violences sexuelles à leur encontre.
Prenant en compte de tels risques, les filles (et leurs familles) et les femmes décident de la durée de leurs études, de l’âge auquel elles se marient, où acheter, comment travailler, quand se déplacer jusqu’au/aux et depuis les marchés et le lieu de travail, avec quels conducteurs et expéditeurs faire des affaires, et quand et comment traverser la frontière. Ces risques et actes de violence à l’encontre des femmes ont un coût économique pour les individus, les entreprises et les économies.
Les idées offertes dans ce rapport révisé sont destinées à stimuler la discussion avec et au sein du gouvernement de Côte d’Ivoire et les partenaires internationaux pour le développement. Certaines des actions suggérées sont envisagées plus adéquatement comme des critères de conception du Compact du MCC, d’autres sont nouvelles ou des développements d’initiatives existantes pouvant être promues, de façon plus appropriée, directement par le gouvernement de Côte d’Ivoire.
Télécharger le rapport Ici
EVALUATION DE LA PARTICIPATION ÉCONOMIQUE DES FEMMES EN CÔTE D’IVOIRE Résultats et recommandations |
Avril 2017
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EVALUATION DE LA PARTICIPATION ÉCONOMIQUE DES FEMMES EN CÔTE D’IVOIRE
Résultats et recommandations
AVERTISSEMENT Les résultats, interprétations, et conclusions exprimés dans ce document son contenu relève de la seule responsabilité de son ou ses auteur(s), Nathan Associates Inc., et ne reflète pas nécessairement les points de vue du MCC ou du gouvernement des États-Unis. |
Remerciements
Cette évaluation du Genre et de l’Inclusion Sociale (GIS) a été préparée pour l’équipe pays- Côte d’Ivoire du Millennium Challenge Corporation (MCC) et pour le gouvernement de la Côte d’Ivoire à travers son Comité National pour la Mise en Œuvre du Programme Compact de la Millennium Challenge Corporation (CNPC). L’équipe de Nathan Associates GSI est composée de Lynn Salinger (chef d’équipe), d’Elin Cohen, de Roseline Yeboua, d’Alex Ginn et de Kristin Smith. Veuillez adresser toute question à Lynn Salinger (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.).
L’équipe exprime sa gratitude au CNPC pour ses conseils, sa contribution et son soutien lors du processus de recherche sur le terrain, et au MCC, pour lui avoir offert l’opportunité de participer à cette évaluation portant sur le genre et l’inclusion sociale dans le cadre du processus de conception du Programme Compact. Nous sommes particulièrement reconnaissants aux jeunes filles, aux femmes et aux hommes que nous avons rencontrés en Côte d’Ivoire, qui nous ont parlé de leur travail, des défis auxquels ils étaient confrontés et de leur rêve de contribuer à la paix et à la prospérité de leur pays, dans le cadre d’entretiens individuels ou de groupe, à Abidjan et Bouaké. Nous espérons être restés fidèles à leurs récits, en interprétant les impacts potentiels du projet à travers leurs lunettes et avoir recommandé des initiatives qui contribueront à améliorer leur avenir.
L’équipe femmes et économie de Nathan Associates fait partie de la division Services internationaux du Groupe. Pour plus d’informations, contactez Mme Ann Katsiak (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.) ou Mme Lis Meyers (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.).
Table des Matières
Abbréviations vii
Synthèse 1
1. Introduction 8
Le Programme Compact - Côte d’Ivoire du Millennium Challenge Corporation (MCC) 9
Cadre Conceptuel : Multidimensionnalité et Dynamisme 9
La Participation a l’Économie : Définition de l’Informalité 11
Organisation du Document 13
2. Les Femmes dans l’Économie Ivoirienne 15
La Performance Ivoirienne en Matière d’Égalité des Sexes 15
Les Femmes et les Actifs Économiques 16
Les Femmes, leur Représentation, leur Voix et leur Mandat 18
Les Femmes et les Dynamiques Socioculturelles 20
Les Femmes et la Sante Reproductive 21
Les Femmes et les Violences Basees Sur le Genre 23
Recommandations en Matière d’Élimination des Violences Sexistes 30
3. Promotion de l’Inclusion des Femmes par la Loi, les Politiques Publiques et les Institutions 33
Les Femmes, les Protections Offertes par la Loi et la Politique Publique en Matière d’Égalité des Sexes33
Les Femmes et les Institutions Publiques 38
Les Femmes et la Société Civile 41
L’État Civil et les Statistiques Démographiques 42
Recommandations en Matière de Renforcement des Cadres Juridiques et Institutionnels dans le Domaine de l’Inclusion des Femmes 46
4. Les Femmes, le Marché du Travail, l’Éducation et la Formation en Vue de l’Employabilité 48
Comprendre la Structure du Marché du Travail 48
Les Femmes et la Participation de la Main-d’œuvre 53
Les Filles, les Femmes et l’Éducation 56
Les Jeunes Filles, les Femmes et la Formation aux Compétences Professionnelles 61
Retour a l’École 65
Les Femmes et les Formations Techniques et Professionnelles 66
Les Femmes Enseignantes dans le Secondaire 68
Recommandations en Matière de Renforcement de la Place Des Jeunes Filles et Des Femmes Sur le Marché du Travail, dans l’Éducation et en Matière de Formation Professionnelle 75
Recommandations en Matière de Renforcement de la Place des Femmes dans le Corps Enseignant du Secondaire 77
5. Les Femmes, l’Entrepreneuriat et Les Zones Industrielles 81
Les Femmes dans la Main d’œuvre Industrielle 81
Les Femmes et l’Économie Informelle 83
Les Femmes Entrepreneur et les Associations Sectorielles 85
Recommandations en Matière d’Amélioration de l’Entrepreneuriat Féminin et de Participation aux Zones Industrielles 86
6. L’Accès des Femmes aux Infrastructures et aux Transports 89
Les Défis Liés au Transport Rural 91
Risques et Dangers le Long des Axes Routiers 93
Les Défis Liés au Transport Urbain 97
Recommandations en Matière de Facilitation de l’Accès des Femmes aux Infrastructures et aux Transports 100
La Place des Femmes au Sein des Équipes d’Entretien du Réseau 102
La Place des Femmes dans les Achats Publics 104
Recommandations en Matière de Renforcement de la Place des Femmes au Sein des Équipes d’Entretien du Réseau et Dans les Achats Publics 106
7. Conclusion 109
Annexe A: Comprendre des Indices en Matière de Genre 111
Annexe B: Sélection d’Exemples d’Activités Mondiales dans le Domaine de l’Égalité Hommes-Femmes 121
Annexe C: Organisations Visitées 129
Annexe D: Références 133
Documents Juridiques 133
Rapports Et Publications 133
Annexe E: Carte des Régions Statistiques de la Côte d’Ivoire 143
Illustrations
Graphiques
Graphique 1 : Évolution de l’Indice mondial d’inégalités de genre
Graphique 5 : Pyramide des âges de Côte d’Ivoire, 2014
Graphique 6 : Pyramides des âges de l’Indonésie et du Japon, 2016
Graphique 7 : Composition de la main d’œuvre de Côte d’Ivoire
Graphique 8 : Taux d’activité, 15-64 ans
Graphique 9 : Répartition de l’emploi en Côte d’Ivoire par type d’activité, 2015
Graphique 10 : Écart entre les rendements moyens de la scolarisation (femmes-hommes)
Graphique 11 : La fonction publique ivoirienne, 2009-2015
Graphique 12 : Répartition des rapports numériques élèves/enseignant (en %)
Graphique 14 : Composantes de l’Indice mondial d’inégalités de genre du Forum économique mondial
Graphique 15 : Évolution des classements de l’Indice mondial d’inégalités de genre
Graphique 19 : Carte des divisions statistiques de la Côte d’Ivoire
Tableaux
Tableau 1 : Taux d’activité des femmes et des hommes, 2014
Tableau 2 : Élues femmes au parlement national, 2015
Tableau 3 : Appartenance aux associations bénévoles ou aux groupes locaux en Côte d’Ivoire
Tableau 4 : Données comparées dans le domaine de l’hygiène de la reproduction
Tableau 5 : Statistiques comparées sur les mariages d'enfants
Tableau 6 : Violences physique ou sexuelles
Tableau 7 : Recommandations en matière de réponse aux violences sexistes
Tableau 8 : Relations entre les citoyens et l’État
Tableau 9 : Les femmes dans les professions judiciaires, 2016
Tableau 10 : Pourcentage de naissances déclarées à l’État Civil, 2011-2012
Tableau 11 : Schéma descriptive du système éducatif
Tableau 12 : Recommandations en matière de renforcement des protections légales et institutionnelles
Tableau 13 : Répartition de l’emploi en Côte d’Ivoire par branche d'activité, 2012
Tableau 14 : Répartition de l’emploi en Côte d’Ivoire par secteur d'activité, 2015
Tableau 15 : Emploi et rémunération des hommes et des femmes vivant en couple
Tableau 16 : Statistiques comparées en matière d’éducation, 2015
Tableau 17 : Taux bruts d’inscription à l’école et de non-scolarisation
Tableau 18 : Raisons de l’absentéisme et de l’abandon des études, 2014
Tableau 19 : représentation des femmes au sein du corps enseignant
Tableau 20 : Composition des élèves de l’ENS, par voie d’accès et par sexe
Tableau 28 : L’Indice mondial d’inégalités de genre, par classement national
Tableau 29 : L’Indice mondial d’inégalités de genre, par résultats nationaux
Tableau 31 : Tendances des variables entrant dans la composition de l’indice de succès éducatif
Tableau 32 : Données annuelles les plus récentes
Tableau 33 : Activités destinées à favoriser la réussite scolaire des filles
Tableau 36 : Activités destinées à assurer la sécurité des femmes
Tableau 37 : Activités intégrant les femmes aux projets routiers
Encadrés
Encadré 2 : Le combat d’une adolescente contre le mariage précoce
Encadré 3 : Les femmes et la traite d’êtres humains
Encadré 4 : Les droits des femmes dans la nouvelle constitution
Encadré 5 : Comment le Burkina Faso utilise la technologie pour identifier les « enfants fantômes »
Encadré 6 : Le prix du professionnalisme pour les femmes qui travaillent
Encadré 7 : des modèles pour les filles
Encadré 8 : Les femmes et les services pour l’emploi
Encadré 10 : modifier la valeur que les parents attachent à leurs filles
Encadré 11 : Salaires mensuels de départ
Encadré 12 : Où travaillent les femmes dans les zones industrielles ?
Encadré 13 : Comptabiliser le travail des femmes
Encadré 14 : West Africa Trade Hub soutient les femmes entrepreneur
Encadré 15 : Le coût souterrain de la mauvaise qualité des axes de transport
Encadré 16 : Les besoins en formation des négociantes
AfDB African Development Bank
AFJCI Association des Femmes Juristes de Cote d’Ivoire
AGEDI Agence de Gestion et de Développement des Infrastructures Industrielles
AGEROUTE Agence de Gestion des Routes
AIP Association Ivoirienne pour le Progrès
ANADER Agence Nationale d’Appui au Développement Rural
ANOPACI Association Nationale des Organisations Paysannes de Côte d’Ivoire
AOTU Autorité Organisatrice du Transport Urbain
APAI-CRVS Africa Program on Accelerated Improvement of Civil Registration and Vital Statistics
APEC Asia-Pacific Economic Cooperation
BCPE Bureau de Coordination des Programmes Emploi
BEPC Brevet d'Etudes du Premier Cycle
CAPEC Cellule d’Analyse de Politiques Économiques du CIRES
CEDAW Convention on the Elimination of all forms of Discrimination Against Women
CEPE Certificat d'Etude Primaire Elémentaire
CEPICI Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire
CET Collège d’Enseignement Technique
CGECI Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire
CHEC China Harbour Engineering Company
CGJB Conseil Général des Jeunes de Bouaké
CILSS Permanent Interstate Committee for Drought Control in the Sahel
CIRES Centre Ivoirien de Recherches Economiques et Sociales
CIV Côte d’Ivoire
CNP-MCC Comité National pour la Mise en Œuvre du Programme Compact du Millennium Challenge Corporation (also referred to as CNPC)
CNPS Caisse Nationale de Prévoyance Sociale
COCOFI Compendium des Compétences Féminines de Côte d’Ivoire
CRVS Civil registration and vital statistics
CSO Civil society organization
DEPG Direction Nationale de l’Egalité et de la Promotion du Genre
DHS Demographic and Health Survey
DPAF Direction de la Promotion et de l’Autonomisation de la Femme
DREN Direction Régionale de l’Education Nationale
EDS-MICS Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples
EEMCI Enquête Emploi auprès des Ménages en Côte d’Ivoire
ENS École Normale Supérieure
ENSETE Enquête Nationale sur la Situation de l’Emploi et du Travail des Enfants
ENV Enquête sur le Niveau de Vie des Ménages en Côte d’Ivoire
FGM Female genital mutilation
FIPME Ivoirian Federation of Small and Medium Enterprises
FRCI Forces Républicaines de Côte d’Ivoire
GBV Gender-based violence
GEPALEF Genre Parité et Leadership Féminin
GGGI Global Gender Gap Index (World Economic Forum)
GoCI Government of Côte d’Ivoire
GOFEHF Groupe des Organisations Féminines pour l’Egalité Homme-Femme
GSI Gender and social inclusion
ICLS International Conference of Labour Statisticians
IEP Inspection d’Enseignement Primaire
ILO International Labor Organization
IMF International Monetary Fund
INP-HB Institut National Polytechnique Félix Houphouet Boigny
INS Institut National de la Statistique
J-PAL Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab
KILM Key Indicators of the Labor Market
LFPR Labor force participation rate
MCC Millennium Challenge Corporation
MEN Ministère de l’Education Nationale
MENET Ministère de l’Education Nationale et de l’Enseignement Technique
MICS Multiple Indicator Cluster Survey
MPD Ministère du Plan et du Développement
MPFFPE Ministère de la Promotion de la Femme, de la Famille et de la Protection de l’Enfant (Ministry for Women, Family, and Children)
OECD Organization for Economic Cooperation and Development
OFACI Organisation des Femmes Actives de Côte d’Ivoire
ONEF Organisation Internationale pour l’Enfant la Femme et la Famille
ONEG Observatoire National de l’Egalité et du Genre
ONUCI Opérations des Nations Unies en Côte d’Ivoire
PK24 Refers to the new industrial zone being developed on the northwest side of Abidjan, at the 24-kilometer marker on the north-south highway from Abidjan to Yamoussoukro
PND Plan National de Développement
RCI République de la Côte d’Ivoire
RESEN Rapport d’état sur le système éducatif national
SIGI Social Institutions and Gender Index
SOTRA Société des Transports Abidjanais
STEM Science, technology, engineering, and mathematics
SYNESCI Syndicat National des Enseignants du Second Degré de Côte d’Ivoire
THIMO Travaux à Haute Intensité de Main d'Œuvre
TVET Technical and vocational education and training
TVPA U.S. Trafficking Victims Protection Act
UNDP United Nations Development Program
UNECA United Nations Economic Commission for Africa
UNHLP United Nations High-Level Panel on Women’s Empowerment
UNODC United Nations Office on Drugs and Crime
WAEMU West Africa Economic and Monetary Union
WIEGO Women in Informal Employment Globalizing and Organizing
Pour évaluer les impacts potentiels sur les femmes des projets proposés en vue d’un financement dans le cadre du Programme Compact du Millennium Challenge Corporation (MCC) avec le gouvernement de la Côte d’Ivoire, et afin d’identifier des possibilités d’incorporation dans ces projets la participation économique des femmes, Nathan Associates a effectué une évaluation portant sur le genre et l’inclusion sociale (GIS). L’équipe GIS a adopté une approche multi dimensionnelle, orientée sur la compréhension des facteurs clefs de la participation économique des jeunes filles et femmes dans ce pays, en particulier les plus vulnérables d’entre elles, celles qui vivent et travaillent dans les zones rurales et les villes de second rang, et celles qui gagnent leur vie dans des secteurs informels. Au cours de deux voyages en Côte d’Ivoire (en décembre 2016 et mars 2017), l’équipe a étudié les variables juridiques, institutionnelles, socioculturelles et économiques qui limitent les choix de participation économique qui s’offrent aux jeunes filles et aux femmes aujourd’hui en Côte d’Ivoire (ce que nous appelons la « frontière des possibilités économiques des femmes »).
Le plan de développement national 2016-2020 de la Côte d’Ivoire définit deux objectifs principaux : émerger (des conflits et de la faible croissance) d’ici 2020 avec une pauvreté réduite de plus de la moitié, et devenir une économie transformée, c’est-à-dire une puissance industrielle d’ici 2040. Ce plan respecte la parité des genres, appelant les hommes et les femmes à participer à l’avenir du pays et à en tirer des bénéfices équitables. La constitution du pays et bon nombre de ses lois posent des fondements solides pour l’émancipation des femmes. Toutefois, les ressources limitées pour faire appliquer les lois et politiques, l’accès limité à la justice, la culture de la violence et l’omniprésence de traditions socioculturelles manquant de respect envers les jeunes filles et femmes verrouillent un système d’inégalité des droits et des opportunités économiques. Si le plan national veut atteindre ses objectifs, il va lui falloir clarifier le rôle décisif que les femmes doivent jouer dans la transformation économique et le besoin de changer les traditions socioculturelles, ainsi qu’un programme d’actions publiques dédié à renforcer l’autonomisation économique des femmes.
Un tel plan d’action devrait mettre en lumière les besoins des jeunes filles et femmes en Côte d’Ivoire, en présentant explicitement tous les défis de développement à travers le prisme de l’équité entre les sexes. Et cette mise en lumière des besoins des jeunes filles et femmes va nécessiter de lancer une campagne de sensibilisation massive, un nouveau langage et de nouveaux modèles pour moderniser les normes socioculturelles, des dirigeants locaux qui comprennent les avantages de l’autonomisation des femmes pour leurs communautés, des parents qui, y compris dans les contextes les plus désespérés, voient qu’améliorer la vie de leurs filles est synonyme d’un avenir meilleur, un accès aux services de santé et de justice pour combattre la violence faite aux femmes, afin d’encourager les jeunes filles à avoir des ambitions à long terme.
Recommandation au gouvernement de Côte d’ Ivoire :[1]Pour l’examen à mi-parcours du plan de développement national, ou en préparation du prochain, dispenser des formations pour aller au-delà de l’équité hommes-femmes et passer à un plan de parité proactive, c’est-à-dire un plan qui aborde tous les défis du développement économique à travers le prisme de l’équité entre les sexes et qui prévoit des initiatives spécifiques pour régler les problèmes rencontrés par les femmes afin d’augmenter les chances de voir l’économie atteindre ses objectifs.
Bien que la question de la violence faite aux femmes ait été longtemps traitée comme une question relevant de la santé des femmes et des droits de l’homme, il s’agit également d’une question importante en matière d’autonomisation économique des femmes.
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Même si les indicateurs de croissance globale montrent que la Côte d’Ivoire est en reprise après plus de dix ans de guerre civile, la culture de la violence et du mépris des lois demeure toujours ancrée. Et il est clair qu’elle affecte à la fois les hommes et les femmes, dans les régions et marchés ruraux, lorsqu’ils vendent leurs récoltes alimentaires et cultures industrielles, ou bien lorsqu’ils échangent des marchandises à l’intérieur de la Côte d’Ivoire et à l’étranger. En outre, les jeunes filles et les femmes font face à des menaces de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles et même de kidnapping, ainsi qu’à des prestations en matière d’éducation réduites. Selon de nombreux entretiens menés par l’équipe GIS, les rapports sexuels de nature transactionnelle font partie de nombreux contrats sociaux entre les hommes et les femmes dans différents aspects de la vie économique des femmes, depuis l’école jusqu’aux voyages d’affaires aux marchés étrangers.
La violence basée sur le genre a des répercussions sur les résultats en matière d’éducation : l’abus sexuel des jeunes filles les pousse à quitter l’école prématurément, se traduisant par une éducation réduite. Cela a également des conséquences sur les résultats en matière d’emploi : les femmes au parcours éducatif réduit trouvent des emplois moins productifs et moins rémunérés, et celles qui subissent des violences apportent un coût pour leurs employeurs du fait de leurs retards au travail, leurs jours de travail manqués, leurs performances ralenties. Ce problème cause aussi un taux plus important de roulement du personnel, des coûts de formations plus élevés et autres coûts. Et surtout, la violence faite aux femmes s’est infiltrée dans tellement d’aspects de la vie économique que de nombreuses jeunes filles et femmes ont intégré ce comportement comme une norme et ne s’autorisent pas à rêver de carrières ambitieuses. Pour le pays dans son ensemble, ces coûts réduisent la productivité générale et la croissance économique, diminuant ainsi les chances pour la Côte d’Ivoire d’atteindre les objectifs de son plan de développement national, à savoir devenir un pays émergent d’ici 2020 et une puissance industrielle d’ici 2040.
Recommandations pour les partenaires internationaux de développement : Soutenir les initiatives locales qui intègrent les adolescentes, leurs parents et les communautés locales sur les questions d’autonomisation, par exemple mettre un terme à la violence basée sur le genre et au mariage d’enfants, encourager l’éducation pour toutes les jeunes filles, les aider à connaître leurs droits, aider les jeunes filles et les femmes à obtenir l’assistance sociale et juridique dont elles ont besoin et aider les autorités à appliquer la loi. Développer un modèle économique pour estimer les coûts de la violence basée sur le genre sur les individus, les entreprises et l’économie, et donc les bénéfices sur la croissance à éliminer ces coûts, en particulier en augmentant les chances de réussite de réalisation des objectifs de croissance et de transformation du plan national d’ici 2020 et 2040.
Quels sont les outils utiles pour qu’une société puisse commencer à passer de la limitation du rôle des femmes à l’intégration de celles-ci ? Il n’existe pas de solution simple. Aucune réforme ou innovation institutionnelle ne va « résoudre » le problème des possibilités économiques réduites et faussées pour les femmes. Les facteurs de la participation économique des femmes en Côte d’Ivoire sont les suivants : les cadres juridiques et réglementaires, les moyens institutionnels de les mettre en application et de faire connaître leurs droits aux jeunes filles et aux femmes, une représentation, l’éducation et la formation pour l’insertion professionnelle, l’égalité des chances de participer à l’économie en tant que travailleuses et entrepreneuses et l’égalité d’accès aux infrastructures.
Bien que le cadre juridique, réglementaire et politique en Côte d’Ivoire soit largement en conformité avec les meilleures pratiques internationales concernant le traitement du droit des femmes, la connaissance et l’application de ces droits laissent grandement à désirer. L’un des vides juridiques identifié par l’équipe GIS est le fait que le harcèlement sexuel, tel qu’évoqué dans le Code du travail, ne concerne que les relations de travail dans le secteur privé. Néanmoins, le cadre juridique pour les employés du secteur public n’interdit pas le harcèlement sexuel. De ce fait, le harcèlement et les agressions sexuelles par des employés du service public (tels que les enseignants) envers des femmes (leurs étudiantes par exemple) ne sont pas couverts par la loi du travail. Le Code pénal sanctionne bien le viol et l’agression sexuelle, mais son application s’avère problématique, autant lorsqu’il s’agit de convaincre les victimes de porter plainte, que lorsqu’il s’agit de condamner les auteurs de ces crimes.
D’un point de vue institutionnel, en plus d’un ministère dédié à la promotion des affaires des femmes, de la famille et des enfants, beaucoup de ministères en Côte d’Ivoire comptent des unités dédiées à la parité ou des points focaux dédiés aux questions de genre afin de surveiller les problèmes d’égalité hommes-femmes dans leurs domaines respectifs. Certains ministères n’en comptent pas, ou ces points de coordination ne sont pas bien connus. Certains existent mais ne semblent pas avoir beaucoup d’influence. La coordination entre ces unités et coordonnateurs est théoriquement la responsabilité de l’Observatoire national sur l’égalité des sexes, dont la mission est de suivre, évaluer et proposer des actions pour promouvoir l’égalité des sexes mais dont les ressources et capacités sont faibles. Les organisations officielles dans certains secteurs tels que la branche féminine de l’Association nationale des paysans ivoiriens rapportent également au gouvernement les problèmes rencontrés par les femmes. Les ressources de ces institutions sont limitées. Au-delà du gouvernement, un réseau dynamique d’associations de la société civile existe en Côte d’Ivoire. Il soutient les jeunes filles et femmes dans bien des aspects de leur représentation sociale, économique et politique. Il existe également des associations du secteur privé qui comprennent des divisions pour les femmes. Les jeunes filles et femmes sont soutenues par ces organisations en matière d’entraide, d’accès amélioré à l’information, de pouvoir de négociation élargi et de représentation plus grande.
Le système de statistiques de l’état civil de la Côte d’Ivoire est en train d’être reconstruit, après des années de négligence pendant la crise. L’absence de certificats de naissance, un problème pour près d’un tiers des écoliers du primaire en Côte d’Ivoire, représente une barrière aux opportunités éducatives, financières et civiques. Notamment en ce qui concerne l’éducation, les écoliers sans certificat de naissance ne peuvent pas s’inscrire à des examens de passage, ce qui les oblige à quitter l’ecole prématurément. Le manque de données ventilées par sexe rend impossible de détecter les discriminations sexistes. Un système de dérogations ponctuelles est utilisé dans certaines parties du Ministère de l’Éducation Nationale, mais ce n’est pas une solution efficace ou durable.
Recommandation au gouvernement de Côte d’Ivoire : Modifier le statut de la fonction publique (Statut Général de la Fonction Publique, N° 92-470) afin d’interdire le harcèlement sexuel par les fonctionnaires, ainsi que la loi de 2015 sur l’éducation (Loi n° 2015-635, qui a modifié la loi sur l’éducation n° 95-696) pour proscrire le harcèlement sexuel dans les écoles. Incorporer des objectifs supplémentaires ventilés par sexe dans le plan de développement national, éventuellement à l’occasion d’un examen de mi-parcours en 2018. Renforcer la collecte et l’analyse des données ventilées par sexe par les agences publiques. Revoir et renforcer le rôle des coordonnateurs pour l’égalité des sexes dans les ministères concernés. Réformer l’état civil et son système de statistiques pour simplifier l’enregistrement.
Les jeunes filles et femmes en Côte d’Ivoire font face à de nombreuses difficultés, en ce qui concerne la participation au marché du travail, à l’éducation et à la formation professionnelle. Les insuffisances en matière de qualité de l’éducation – incluant le manque d’écoles de proximité pour les communautés rurales, des classes de grande taille, la formation et les performances médiocres des enseignants, ainsi qu’une organisation des horaires scolaires peu pratique – découragent les étudiants de poursuivre leurs études. Les pressions socioculturelles, y compris la violence sur le chemin de l’école, aux alentours et à l’école même, réduisent la présence et la réussite des jeunes filles dans le secondaire. En conséquence, le taux d’analphabétisme augmente chez les femmes et leurs bases de connaissances et de compétences diminuent, ce qui signifie qu’elles sont moins en mesure d’avoir accès à l’emploi dans le secteur formel, où les exigences en matière de compétences sont généralement plus élevées.[2] Leur activité se concentre donc plutôt dans l’agriculture et les secteurs commerciaux de l’économie où des occupations moins exigeantes en termes de compétences sont plus abondantes.[3] Même si des exemples de femmes repoussant les barrières pour apprendre un métier, diriger des entreprises et emprunter d’autres parcours professionnels existent, le retour à l’éducation eu égard à de meilleures perspectives professionnelles et de revenus plus élevés, n’est pas très bien compris ni promu, et les modèles publiquement visibles sont rares.
Voici les recommandations destinées au gouvernement de Côte d’Ivoire concernant le marché du travail, l’éducation et la formation : Travailler avec l’Institut National de la Statistique (INS), le Ministère du Travail et la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) afin de développer de meilleures données ventilées par sexe sur les salaires, classées par poste, éducation et niveau de compétences, dans les emplois du secteur formel. Les analyses peuvent être accompagnées d’un programme de sensibilisation afin de communiquer de telles informations aux filles et garçons et leurs familles afin de les aider à comprendre la valeur à long terme que représente l’investissement dans l’éducation. Préparer les descriptions de postes pour la gamme d’occupations non traditionnelles qui existent actuellement en Côte d’Ivoire auxquelles autant les femmes que les hommes pourraient aspirer. Travailler avec les spécialistes des médias féminins sur une stratégie multiple pour diffuser, dans les journaux, à la télévision, à la radio, dans les théâtres itinérants et sur les réseaux sociaux, les portraits de femmes en Côte d’Ivoire qui travaillent dans des postes non conventionnels. Étudier la possibilité de travailler avec l’UNICEF et le Ministère de l’Éducation Nationale pour développer la formation sur le code de comportement sexuel dans les écoles. Renforcer le développement et la mise en place de programmes d’éducation sexuelle dans les écoles primaires et secondaires. Revoir les horaires des journées d’école afin de consolider le temps passé à l’école et faciliter le déplacement des enfants entre leur domicile et l’école. Étendre les programmes de repas gratuits afin d’encourager davantage l’inscription des enfants à l’école. Associer l’apprentissage de la lecture et du calcul à tous les programmes de formation technique et professionnelle.
Recommandations pour le gouvernement de Côte d’Ivoire d’améliorer la participation des femmes dans l’enseignement secondaire : Introduire une formation participative sur l’égalité hommes-femmes à l’ENS pour les étudiants et les étudiantes. Introduire de la flexibilité dans les horaires des examens afin de les adapter aux étudiantes enceintes ou gravement malades. Verser des allocations aux étudiants de l’ENS sur une base mensuelle, plutôt que semestrielle. Envisager des moyens de rendre les affectations en milieu rural moins stressantes pour les nouveaux diplômés de l’ENS. Fournir une formation pratique en psychologie et services de conseil des adolescents à l’ensemble des professeurs de l’ENS. Passer en revue l’utilisation des ressources en personnel afin de rendre les charges de travail plus gérables pour les professeurs, et aider les enseignantes à parvenir à mieux équilibrer travail et responsabilités familiales. Soutenir le Ministère de l’Éducation dans le développement d’une approche systémique des questions de sécurité.
La promotion de l’industrialisation à travers l’expansion des zones industrielles et l’amélioration de la logistique et la connectivité des transports dans et hors Abidjan peut concerner les femmes en tant qu’employées d’usine, propriétaires d’entreprises, opératrices informelles ou stagiaires. Les industries n’emploient pas toutes de femmes dans la même mesure, ce qui signifie que la nouvelle zone industrielle de PK24 devrait prendre en considération les secteurs étant les plus susceptibles d’engager des femmes, et les moyens de cibler les femmes propriétaires d’entreprises, opératrices informelles et stagiaires afin de s’assurer qu’elles ont un accès équitable aux informations et aux opportunités dans cette nouvelle zone.
Voici les recommandations, à fin de considération par le gouvernement de Côte d’Ivoire et les partenaires internationaux pour le développement, dans le domaine de l’entrepreneuriat et du développement de zones industrielles : Sensibiliser, dans les associations d’entreprises, sur le besoin d’étendre la participation aux femmes dirigeantes. Encourager les stratégies futures dans le cadre des initiatives d’« urbanisation intelligente » du Programme Compact afin d’intégrer des possibilités pour les deux sexes. Favoriser le dialogue au sujet de la place à libérer pour les petites et moyennes entreprises (PME) avec les associations professionnelles féminines afin d’accroître la participation de leurs membres. Encourager la collaboration rapprochée des associations professionnelles féminines avec le Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire. Informer les programmes pour l’emploi à Abidjan au sujet de la zone industrielle PK24 et discuter des meilleurs moyens de sensibilisation pour attirer des candidates. Aider les employeurs à définir les besoins de leur future main-d’œuvre en matière d’éducation et de formation afin que les jeunes filles et les femmes (ainsi que les jeunes hommes et les hommes) puissent prendre des décisions éclairées parmi les options de formation et d’éducation. Concevoir l’espace physique de PK24 en tenant compte des besoins des travailleuses (formelles et informelles). Définir une stratégie pour « organiser » les activités informelles dans et en dehors des zones.
Les femmes, en tant qu’usagères des infrastructures et transports, sont particulièrement vulnérables face aux risques de violences dans les transports des biens et des personnes. En tant que productrices de récoltes alimentaires périssables (contrairement aux productions industrielles moins périssables), les femmes sont également vulnérables car en position de faiblesse pour négocier des services de transport de leurs biens vers les marchés. Pourtant, du fait de leurs responsabilités familiales, en plus de la nécessité de gagner leur vie, les femmes comptent énormément sur la sécurité, l’éclairage, la largeur, la fiabilité et le prix abordable de tout ce qui concerne le transport, depuis le trottoir (même à Abidjan, par exemple, la marche est le moyen de transport le plus courant pour aller au travail ou à l’école) et les espaces de marchés aux bus, trains et camions.
Voici les recommandations, à fin de considération par le gouvernement de Côte d’Ivoire et les partenaires internationaux pour le développement, dans le domaine des infrastructures et des transports : Développer un code de conduite sur le harcèlement sexuel pour les professionnels et usagères des transports. Construire des aires de repos bien éclairés avec des places de stationnement adaptées, des toilettes séparées et des caméras de sécurité le long de l’autoroute Abidjan-Ouagadougou. Intégrer l’égalité des sexes dans les structures, politiques et planifications du département des transports urbains. Développer un plan sur le genre pour les ministères concernés par les transports et infrastructures. Ventiler par sexe, analyser et diffuser les données existantes sur les transports urbains. Œuvrer pour faciliter la formation des femmes en matière de commerce transfrontalier.
Voici les recommandations, à fin de considération par le gouvernement de Côte d’Ivoire et les partenaires internationaux pour le développement, afin d’assurer la participation des femmes aux marchés publics et aux équipes de voirie : Modifier le cadre juridique en matière de marchés publics afin d’y inclure des préférences pour l’obtention d’un quota de marchés issus d’entreprises détenues par des femmes ou par des entreprises promettant d’utiliser un pourcentage défini de femmes dans les effectifs proposés. Travailler avec le gouvernement de Côte d’Ivoire pour développer des directives en matière de passation des marchés publics en termes d’égalité des sexes, pour la mise en œuvre du Programme Compact. Ces directives pourraient inclure l’exigence de plans d’action visant à garantir l’égalité des sexes, comme élément des soumissions d’offre, ou incluant des « points de préférence » associés à l’égalité des sexes lors de l’évaluation des offres. Inclure une variable sur la composition hommes-femmes des postes d’équipe de travail sur la liste des variables à suivre dans l’évaluation du Programme Compact. Collaborer avec l’ensemble des agences publiques impliquées dans le nettoyage et l’entretien des routes afin de développer des quotas hommes/femmes ou des objectifs à atteindre pour les équipes de travail. Envisager une solution hybride, modelée sur les programmes « argent contre travail » avec une formation entrepreneuriale mise en œuvre par le gouvernement, afin d’accroître les avantages de la participation post-équipe pour les membres des équipes, y compris les femmes.
Ce rapport présente des résultats basés sur un examen de la littérature, des briefings avec l’équipe de développement du Compact de Côte d’Ivoire, ainsi que des réunions et discussions des groupes de réflexion tenues avec un ensemble d’intervenants à Abidjan et Bouaké en décembre 2016 et mars 2017.
Les auteurs ont traité deux objectifs : 1) comprendre les facteurs déterminant la participation économique des filles et des femmes en Côte d’Ivoire aujourd’hui, et 2) envisager les divers moyens dont les projets proposés, en vue d’un financement dans le cadre du Compact, peuvent affecter une telle participation, ainsi que les initiatives à envisager, par le gouvernement de Côte d’Ivoire et les partenaires internationaux pour le développement, pour renforcer les chances d’un impact positif maximal pour les filles et les femmes.
L’évaluation a permis de dégager un thème transversal, que les risques et les actes de violence basée sur le genre touchent de nombreux domaines dans lesquels jeunes femmes et femmes font des choix économiques aujourd’hui en Côte d’Ivoire, y compris dans/près des écoles et marchés, le long des routes, dans les transports et aux frontières. Dans certains cas, les risques et les actes de violence auxquels font face les femmes sont semblables à ceux auxquels sont confrontés les hommes (par exemple, banditisme le long des routes dans le nord), provenant du lent rétablissement post-conflit du pays. Dans d’autres cas, les filles et les femmes payent un prix plus élevé en raison des violences sexuelles à leur encontre.
Prenant en compte de tels risques, les filles (et leurs familles) et les femmes décident de la durée de leurs études, de l’âge auquel elles se marient, où acheter, comment travailler, quand se déplacer jusqu’au/aux et depuis les marchés et le lieu de travail, avec quels conducteurs et expéditeurs faire des affaires, et quand et comment traverser la frontière. Ces risques et actes de violence à l’encontre des femmes ont un coût économique pour les individus, les entreprises et les économies.
Comprendre la portée et l’importance de ces coûts est essentiel, non seulement pour les groupes de femmes et points focaux pour l’égalité au sein des ministères, mais également pour les chefs de gouvernement et planificateurs recherchant à dépasser les problèmes du passé et aller de l’avant, en tant que puissance industrielle émergeante.
Les idées offertes dans ce rapport révisé sont destinées à stimuler la discussion avec et au sein du gouvernement de Côte d’Ivoire et les partenaires internationaux pour le développement. Certaines des actions suggérées sont envisagées plus adéquatement comme des critères de conception du Compact du MCC, d’autres sont nouvelles ou des développements d’initiatives existantes pouvant être promues, de façon plus appropriée, directement par le gouvernement de Côte d’Ivoire.
Avec le retour à la stabilité politique, au bout d’une décennie d’agitation, la Côte d’Ivoire (CIV) a renoué avec une croissance économique vigoureuse. Dans les Perspectives de l'économie mondiale d’octobre 2016, le Fonds Monétaire International (FMI) mentionnait le pays au nombre des principales économies subsahariennes et prévoyait que cette expansion se poursuivrait[4]. Cependant, même si les marques laissées par les violences tendent à s’effacer, et même si le fragile état de droit se consolide progressivement, ces facteurs contribuent toujours à façonner les opportunités économiques de la population ivoirienne, et notamment des filles et des femmes, et plus particulièrement de celles dont les conditions de vie sont les plus difficiles, par exemple, celles qui vivent en milieu rural ou qui sont confrontées à la pauvreté, ou les deux. Et, comme le démontrent les troubles civils de janvier 2017, un mécontentement sous-jacent continue d’agiter l’opinion, dans un contexte où divers groupes font pression pour accéder plus largement aux bénéfices de cette croissance.
Selon le Plan National de Développement du pays pour la période 2016-2020, la Côte d’Ivoire cherche à « émerger » du conflit et d’une faible croissance au plus tard en 2020, et vise à devenir une puissance industrielle d’ici 2040 (Ministère du Plan et du Développement (MPD) 2015b, 8)[5]. Pour y parvenir, une nouvelle manière de penser, des compétences nouvelles et une stabilité politique et économique accrue seront nécessaires. Il faudra également renforcer l’autonomie des femmes en Côte d’Ivoire et leur permettre de participer sur un pied d’égalité à la renaissance économique du pays. Rares sont les pays qui sont parvenus à concrétiser leurs espoirs en termes de transformation de leurs structures économiques sans une évolution sociale et culturelle se traduisant par une urbanisation accrue, une amélioration de l’éducation et plus d’opportunités pour les femmes de contribuer à leur économie. Des chercheurs du FMI expliquent qu’« un ensemble de preuves empiriques de plus en plus important laisse penser que l’inégalité (liée au revenu et au sexe) peut compromettre la croissance économique » (Hakura et al., 2016, 2). Ils concluent en outre que la réduction des inégalités liées au sexe (et de revenu) peut entrainer une croissance significative et soutenue des dividendes.
Pour soutenir la transformation économique structurelle de la Côte d’Ivoire, le Millennium Challenge Corporation et son partenaire, le Gouvernement de la Côte d’Ivoire (GoCI), à travers le Comité National pour la Mise en Œuvre du Programme Compact du Millennium Challenge Corporation (CNPC-MCC, ou CNPC), ont analysé, en 2016, les principales contraintes à la croissance économique : 1) l’offre limitée de compétences de base, techniques et professionnelles sur le marché du travail ivoirien ; 2) la faible disponibilité des terrains industriels; 3) la faible mobilité des marchandises et des personnes dans la ville d’Abidjan et sa périphérie, et 4) les lourdeurs et l’imprévisibilité administratives auxquelles sont confrontés les contribuables.
Le but de cette évaluation du genre et de l’inclusion sociale (GIS) est d’analyser les facteurs ayant une incidence sur la participation économique des femmes en Côte d’Ivoire aujourd’hui, de déterminer quel pourrait être l’impact de ces trois projets sur les filles et les femmes en situation de vulnérabilité dans le pays, et de recommander des mesures destinées à renforcer les effets positifs, ou à atténuer les répercussions négatives, de ces initiatives sur la population cible.
Pour appréhender les réalités auxquelles sont confrontées les femmes en Côte d’Ivoire[6] et les facteurs générateurs d’évolution des dynamiques sociales ivoiriennes, l’équipe en charge de l’évaluation de la situation en termes d’égalité des sexes et d’inclusion sociale a pris en compte un éventail d’influences sur la structure et les dynamiques du pays :
Le changement social allant dans le sens d’un renforcement des droits des femmes, ainsi que d’une diversification et d’un élargissement des rôles qui sont les leurs, est un processus lent. Il y a quelques décennies de cela seulement, les femmes des sociétés industrialisées avaient, de manière similaire, le sentiment que leurs perspectives étaient limitées. Un ensemble de facteurs a fait reculer les horizons économiques féminins, et notamment : 1) une mutation structurelle des économies industrialisés qui a créé des emplois de bureau acceptables pour les femmes ; 2) un accès à des technologies destinées à faciliter les tâches domestiques et une infrastructure ménagère qui ont réduit la charge de travail des femmes à la maison ; et 3) un accès à des techniques contraceptives qui ont donné aux femmes les moyens de contrôler leur fécondité. La combinaison de ces facteurs externes a entraîné un changement de l’image que les femmes se faisaient d’elles-mêmes. Au lieu de se regarder comme des candidates à un mariage précoce, nombre d’entre elles ont commencé à penser leur avenir dans une perspective à plus long terme dans laquelle le monde du travail prenait toute sa place, c’est-à-dire, à réfléchir en termes de carrière et non plus simplement d’emploi, ce qui, en retour, a accru les incitations à investir dans leur propre éducation. Au fil du temps, dans les sociétés industrialisées, les femmes ont eu tendance à se marier plus tard, à donner naissance à un moins grand nombre d’enfants, à effectuer des études secondaires et supérieures, et à accéder à des domaines professionnels et des métiers plus divers. Les pays industrialisés n’ont toutefois pas réglé la totalité de leurs propres difficultés concernant « la place des femmes dans l’économie » : les discriminations et les violences contre les femmes existent toujours, et dans bien des ménages, les responsabilités en matière de production et de tâches ménagères pèsent toujours plus lourdement sur les femmes qui travaillent que sur les hommes. Nombre de femmes tendent, en conséquence, à choisir des professions et emplois moins stressants qui peuvent leur offrir une meilleure flexibilité en termes de gestion de l’équilibre travail/vie familiale, au prix d’une moindre rémunération pour un travail comparable. Dans les pays industrialisés, les femmes disposent toutefois d’une gamme de choix considérablement plus large qu’il y a soixante ans.
Si la Côte d’Ivoire est à même de préserver sa stabilité politique et de poursuivre sur sa lancée en termes de croissance économique, il est probable que son économie commencera à se transformer et à créer plus d’opportunités d’emplois dans le secteur structuré pour les femmes. Un certain nombre de conditions doivent néanmoins être réunies pour que les femmes puissent en profiter. Si, en Côte d’Ivoire, les filles prennent de plus en plus conscience des avantages d’un meilleur niveau d’éducation et de l’acquisition de compétences sur le marché du travail, leurs familles seront de plus en plus désireuses d’offrir ces investissements dans le capital humain à leurs filles, aussi bien qu’à leurs fils. Si les systèmes de soins s’améliorent, les filles et les femmes ivoiriennes auront un meilleur accès à la contraception, et seront encouragées à y recourir pour contrôler leur fécondité et repousser l’âge du mariage. Si plus de filles peuvent poursuivre leur scolarité, leurs connaissances et leurs compétences en seront renforcées, et la productivité et les salaires des travailleuses augmenteront. Plus de femmes trouvant leur place dans l’économie formelle, que ce soit en tant que travailleuses, propriétaires d’entreprise, entrepreneurs ou enseignantes, ou encore dans d’autres domaines qui, aujourd’hui encore, sont considérés comme extérieurs à la sphère « féminine », elles créeront de nouveaux modèles que les filles pourront être enclines à imiter.
La participation accrue des femmes à l’économie entraînera une évolution des valeurs socioculturelles marquée par une réduction de la tolérance à l’égard des pratiques sociétales qui empêchent les femmes de progresser. Les femmes exigeront de plus en plus que les droits qui leur sont reconnus par la loi ivoirienne soient appliqués, et elles oseront de plus en plus dénoncer ceux qui leur nuisent. De plus en plus de filles pourront achever leur parcours éducatif. Elles jouiront aussi d’un meilleur accès aux femmes enseignantes dans les établissements d’enseignement où elles seront scolarisées. Il existera une plus grande variété de modèles pour les femmes ivoiriennes. Et en 2040, le pays ne sera pas seulement devenu une puissance industrielle, il aura offert de réelles opportunités économiques à la moitié de sa population, qui pour l’instant est à la traîne. Cette moitié qui est constituée de femmes qui, dans leur grand nombre, n’ont même jamais rêvé de poursuivre des études jusqu’au bout du premier cycle de l’enseignement secondaire, sans même parler du lycée ou de l’enseignement supérieur, ou de diriger une entreprise, de se présenter à une élection ou encore, d’assumer les plus hautes fonctions à l’échelle nationale.
Hommes et femmes, mineurs et adultes, participent à l’économie ivoirienne à divers titres : en tant qu’employeurs, travailleurs, homme ou femme au foyer, soignants, investisseurs, fonctionnaires et agents publics, entrepreneurs et décideurs politiques, producteurs de biens et services, ou consommateurs de ceux-ci, commerçants transportant des marchandises à l’intérieur du pays, à l’échelle régionale ou mondiale, commerçants sur les marchés locaux ou vendeurs de rue, ou encore travailleurs à domicile intégrés à des filières mondiales, qui échangent aussi bien avec des groupes multinationaux que des PME locales, et toutes manières d’entreprise entre les deux, etc.
Hommes et femmes sont aussi présents à la fois dans le secteur formel et le secteur informel de l’économie ivoirienne. Il ne s’agit pas là d’une distinction antinomique. Une entreprise peut exister dans un large continuum fait de degrés variables de conformité à une partie plus ou moins importante ou à la totalité des obligations déclaratives et réglementaires incombant au secteur privé (La Porta et Shleifer, 2014). Un consensus se dégage autour des définitions conceptuelles suivantes de l’informalité :
il existe deux définitions ou termes statistiques officiels concernant l’économie informelle : l’expression « secteur informel » fait référence à la production d’entreprises non constituées en société ou qui ne sont pas enregistrées, ainsi qu’à l’emploi par celles-ci (Conférence internationale des statisticiens du travail (CIST), 1993) ; et l’expression « emploi informel » désigne l’emploi n’ouvrant pas droit à protection sociale sur la base du travail, aussi bien dans le cadre du secteur informel que du secteur formel (CIST, 2003). La notion ou le terme d’« économie informelle » fait référence à toutes les unités, les activités et les travailleurs ainsi définis, ainsi qu’à leur production. Ensemble, ils constituent une large part de la main d’œuvre et de l’économie dans nombre de pays, et en particulier, dans le monde en développement (Chen, 2016, 2).
L’informalité est importante pour l’étude de la condition de la femme car, partout dans le monde, une grande partie du travail des femmes n’est pas prise en compte (ce qui conduit à penser que la part de l’économie informelle à l’échelle mondiale serait effectivement plus importante que les estimations actuelles ne le laissent entrevoir). La grande majorité des femmes qui travaillent dans le secteur informel exercent en effet des activités à domicile ou de vente dans la rue (dont la productivité est extrêmement faible. Il convient d’ajouter à cela le manque de représentation organisée de leurs intérêts, encore que, de ce côté-là, la situation tend à évoluer). Une part importante du travail informel est le fait d’une main d’œuvre occasionnelle ou précaire réduite à la pauvreté (tel est notamment le cas des femmes dans le secteur informel) (Chen, 2001). Certains observateurs ont suggéré qu’il était possible que les femmes préfèrent l’informalité en raison de la flexibilité qu’il permet en termes de gestion du temps (Maloney, 2004). Les travailleurs du secteur informel sont moins bien rémunérés (Gindling et al., 2016), l’écart le plus important entre les hommes et les femmes étant observé sur ce secteur de l’économie. La probabilité qu’ils reçoivent un salaire régulier, que leur lieu de travail soit décent ou qu’ils bénéficient de dispositifs de protection sociale tels qu’une assurance maladie ou d’un régime de retraite est aussi plus faible. Ils sont également plus vulnérables aux risques environnementaux, sociaux, politiques et financiers, et ne disposent, à cet égard, d’aucun outil d’atténuation des risques, tels qu’une assurance ou un accès au crédit. Les travailleurs du secteur informel sont aussi plus dépendants de leur corps, qui constitue leur principal actif pour le travail physique. En cas d’accident ou de maladie, leurs ressources en termes de soins sont plus limitées.
Les conséquences de l’informalité sur la productivité des entreprises varient. Il est intéressant de remarquer incidemment qu’aucune différence sensible n’a été observée en matière de capital humain des travailleurs (mesuré par l’éducation) entre les entreprises du secteur formel et celles du secteur informel (La Porta et Shleifer, 2014). Les travailleurs hautement qualifiés et éduqués sont néanmoins plus recherchés par les entreprises du secteur structuré. Le manque de formation de la main d’œuvre est cité, dans l’enquête réalisée auprès des entreprises par la Banque mondiale, comme représentant un obstacle par 6 % des entreprises ivoiriennes formelles contre 2 % seulement de celles du secteur non structuré. De manière plus cruciale, le niveau d’éducation du propriétaire, plutôt que le degré de formalisme, représente une variable importante pour la productivité et le dynamisme d’une entreprise.
Pour la Banque mondiale, les entreprises des secteurs structuré et non structuré sont en compétition, les secondes jouissant d’un certain nombre d’avantages liés au fait qu’elles ne paient pas d’impôts et qu’elles n’ont pas à se conformer aux règles qui s’appliquent à celles entrant dans la première catégorie. Les trois quarts des entreprises du secteur formel ivoirien interrogées en 2016 disent être en concurrence avec des entreprises informelles, contre 52 % de celles de l’ensemble des pays à revenu intermédiaire (tranche inférieure) (Banque mondiale, 2016d). L’idée selon laquelle les entreprises des secteurs structuré et non structuré seraient en « concurrence » sur les mêmes marchés de biens et de consommation est toutefois réfutée dans La Porta et Shleifer, qui souligne que, dans les pays en développement, la plupart des sociétés informelles vendent « extremely low-quality goods for low prices to low-income consumers » [des marchandises de très mauvaise qualité, à des prix très bas, à des clients à bas revenu) (2014, 113).
Même si la plupart des entreprises du secteur structuré tendent à être moins productives que celles du secteur non structuré, des éléments recueillis récemment conduisent à penser qu’au moins certaines entreprises informelles peuvent contribuer à la croissance. En fait, en Tanzanie, certaines d’entre elles (appelées dans Diao et al., « in-between firms » [entreprises intermédiaires], pour décrire des entités disposant d’une comptabilité écrite et tendant à conserver leur épargne sur des comptes bancaires formels) contribuent à la fois à la croissance de l’emploi et à l’amélioration de la productivité du travail (Diao et al., 2016). Moyennant un appui ciblé, de telles entreprises peuvent apprendre à contribuer plus efficacement à une croissance inclusive sous l’égide du secteur privé.
Au lieu de considérer le secteur informel comme constitué d’entreprises à intégrer à la sphère structurée, des organisations telles que Women in Informal Employment: Globalizing and Organizing (WIEGO) militent pour la reconnaissance et la légitimation du secteur informel comme représentant la base (en expansion) de la plupart des économies en développement, et plaident en faveur de l’apport d’aides à la fois aux entreprises et aux travailleurs du secteur non structuré, pour encourager la croissance et combattre les inégalités et la pauvreté (Chen 2016, 27). Dans leur article, La Porta et Shleifer s’inquiètent également de ce qu’un effort de formalisation ne se traduise concrètement par une intensification du harcèlement visant les entreprises informelles, ce qui aurait pour effet de menacer les moyens d’existence des populations pauvres. Ils défendent l’idée que l’amélioration de la productivité du secteur informel, et indirectement de la croissance, passe par une augmentation de l’offre d’entrepreneurs éduqués.
La majorité de la main d’œuvre ivoirienne travaillant dans le secteur informel, une attention accrue est indispensable pour veiller à ce que ce segment de l’économie trouve sa place dans le contexte du programme Compact.
En gardant à l’esprit ce contexte stratifié et comparatif, cette évaluation du genre et de l’inclusion sociale (GIS) consacrée à la participation économique des femmes en Côte d’Ivoire présente l’information en fonction de thèmes transversaux s’articulant autour de la problématique des « femmes et de l’économie » : les femmes et les actifs économiques ; les femmes, leur représentation, leur voix et leur mandat ; les femmes et les dynamiques socioculturelles ; les femmes et la santé reproductive ; et les femmes et les violences sexistes dans la section 2. La promotion de l’inclusion des femmes par la loi, les politiques publiques et les institutions est explorée dans la section 3. La section 4 est consacrée aux femmes, à leur place sur le marché du travail, dans l’éducation et aux formations qu’elles reçoivent en vue de l’employabilité. Dans la section 5 sont étudiées les modalités de participation des femmes à l’entrepreneuriat et aux zones industrielles. La section 6 porte sur l’accès des femmes aux infrastructures et aux transports. Une présentation plus détaillée de la manière dont sont construits les indices mondiaux décrivant les différences hommes-femmes, en mettant en évidence les variables indicatrices d’un retard ivoirien, des présentations synthétiques d’initiatives choisies d’autres pays visant à apporter des solutions à des problèmes similaires à ceux auxquels se heurte la Côte d’Ivoire, une liste d’organisations auxquelles a rendu visite l’équipe GIS dans le pays, les références utilisées, ainsi qu’une carte des régions ivoiriennes telles que définies par l’Institut national de la statistique (INS) dans ses comptes rendus des résultats d’enquête, figurent en annexe.
Dans chaque section, les intérêts des filles et des femmes (ainsi que les défis auxquels elles sont confrontées), sont identifiés, et des initiatives ciblées sont proposées pour y répondre. Ces initiatives ne doivent pas être considérées comme une liste exhaustive de solutions possibles à un problème donné, mais comme répondant à une logique distincte débouchant sur des projets susceptibles d’être entrepris par le MCC en partenariat avec le gouvernement de Côte d’Ivoire.
Graphique 1: Évolution de l’Indice mondial d’inégalités de genre Note : les classements de l’indice sont convertis en taux par rapport au nombre total de pays entrant dans le calcul de l’indice lors d’une année donnée. Ainsi, la Côte d’Ivoire qui, en 2010, arrivait au 130ème rang sur 134 pays, se voit-elle attribuer un taux de 3 % du pays arrivant en tête du classement, dont le taux serait de 100 %. Source: Forum économique mondial, multiples années |
En dépit de la récente adoption par l’État ivoirien de lois et de politiques publiques destinées à améliorer la situation des femmes, d’importantes inégalités perdurent entre les hommes et les femmes au niveau sociale, économique et politique. La Côte d’Ivoire se classe au 136ème rang sur 144 pays dans l’Indice mondial d’inégalités de genre du Forum économique mondial. Alors que plusieurs autres pays d’Afrique ont progressé dans le classement au cours des dix dernières années, les positions relatives du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire sont restées relativement inchangées entre 2011 et 2016, tandis que le Mali reculait effectivement entre 2006 et 2011, avant de se stabiliser (Graphique 1).
Tableau 1: Taux d’activité des femmes et des hommes, 2014
Source : Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde |
Dans l’édition 2015 de l’Indice de l'égalité de genre en Afrique, (Banque Africaine de Développement (BAfD)), la Côte d’Ivoire arrivait au 43ème rang global sur 52 pays africains. L’indice de la BAfD repose sur trois catégories : les femmes et les opportunités économiques (la Côte d’Ivoire était 49ème au 52 pays) ; les femmes et le développement humain (37ème) et les femmes en tant que citoyennes actives et responsables (29ème) (BAfD, 2015b).
Dans l’Indice de l'égalité entre les genres, la Côte d’Ivoire affiche un retard particulier dans le domaine des opportunités économiques, dont l’un des éléments est le taux d’activité relatif des femmes et des hommes[7]. Le rapport du taux d’activité femmes-hommes en Côte d’Ivoire est très inférieur à celui d’un certain nombre de pays de référence (Tableau 1; voir taux d’activité spécifique par genre dans le Schéma 8).[8] La probabilité pour les femmes d’être salariées (24 % contre 43 % des hommes) est également moindre (Graphique 7). Plus d’informations sur les femmes et les marchés du travail sont présentées dans la section 4.
Au moins deux des variables utilisées dans le sous-indice des opportunités économiques de l’Indice de l'égalité de genre de la BAfD ont été mises à jour depuis l’estimation de l’indice (le rapport de la part des femmes et des hommes dans les revenus du travail et le pourcentage de femmes parmi les salariés). Ces données seront reflétées dans la prochaine édition de l’Indice de l'égalité de genre en Afrique, dont la publication était annoncée pour le mois de mai 2018. Ce nouvel indice est actuellement en cours de développement conjointement par la BAfD et la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique. En 2011, cette dernière a produit son propre Indicateur africain de développement et des inégalités de genre. L’indice commun est actuellement en phase de pilotage dans cinq pays et pourra inclure de nouveaux groupes d’indicateurs (par exemple, liés au changement climatique). La BAfD collabore également avec des institutions locales ivoiriennes, au nombre desquelles l’INS, l’ONEG et ONU-Femmes, dans le but d’améliorer la base statistique du pays du point de vue des variables de genre. La Côte d’Ivoire travaille actuellement à un Annuaire Statistique sur le Genre, qui constituera un portail cohérent permettant d’accéder à des statistiques sur le genre. Une analyse plus poussée de variables et de sous-indices pris en compte figure en Annexe A.
L’accès aux biens meubles et immeubles est primordial, puisqu’ils peuvent être utilisés comme garantie et ouvrir ainsi la porte du crédit ou de financements commerciaux permettant de créer ou de développer une entreprise. En Côte d’Ivoire, les femmes sont confrontées à un certain nombre de contraintes juridiques et culturelles qui rendent difficile l’accès aux actifs fonciers ou autres, ainsi qu’aux services financiers.
La constitution ivoirienne garantit à tous le droit de propriété. Dans la réalité cependant, peu de femmes en Côte d’Ivoire sont propriétaires de parcelles de terre. Selon la loi sur le domaine foncier rural en Côte d’Ivoire, femmes et hommes disposent de droits de propriété égaux. La mise en œuvre de ce texte a toutefois été lente, presque inexistante. Le gouvernement a donc adopté, en 2013, un certain nombre de réformes destinées à faciliter sa traduction dans les faits, en permettant la conversion de la propriété coutumière en certificats fonciers, lesquels pouvaient, à leur tour, être transformés en titres fonciers. L’obtention d’un certificat est une tâche complexe et onéreuse, et la plupart des parcelles de terre se trouvent toujours sous le régime des droits coutumiers, lesquels ne reconnaissent que rarement les droits des femmes à hériter de la propriété foncière (Human Rights Watch, 2016). 37 % des hommes déclarent être propriétaires d’une parcelle de terre contre 25 % des femmes. Seules 7 % des femmes sont propriétaires d’un bien foncier, 18 % en étant copropriétaire avec une ou plusieurs autres personnes (Enquête démographique et de santé (EDS) 2011-2012). Durant le conflit en Côte d’Ivoire, des personnes ont été illégalement dépossédées de leurs terres et cela a également eu pour effet d’affaiblir les droits fonciers[9]. Depuis la fin du conflit, un certain nombre de situations de dépossession ont été réglées par médiation, mais celle-ci est fréquemment discriminatoire à l’égard des femmes (Human Rights Watch, 2016).
Le code civil ivoirien traite les femmes et les hommes de la même manière s’agissant de l’accès à la propriété autre que foncière. En pratique néanmoins, moins de femmes que d’hommes sont propriétaires d’une maison. Seulement 7 % des femmes sont propriétaires en propre d’une maison contre 29 % des hommes (EDS 2011-2012). Si l’on ajoute à cette tranche la part représentée par la copropriété, les chiffres pour les femmes et les hommes passent respectivement à 29 % et 37 %.
De manière générale, l’accès aux financements est limité : « only 15 percent of adults have an account in a financial institution, with access to financial services being particularly low for women and in rural areas » [15 % seulement des adultes disposent d’un compte auprès d’un établissement financier, l’accès aux services financiers étant particulièrement faible pour les femmes et dans les régions rurales] (FMI 2016b, 17). Le fait que l’accès des femmes au crédit soit plus limité est également en partie imputable au fait que leurs actifs (tels que la joaillerie) ne sont pas considérés comme des garanties, telles que définies par la réglementation de la Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO). Le secteur bancaire est aussi notoirement frileux en matière de risque et ne finance donc pas, d’ordinaire, les activités informelles dans les secteurs agricole et commercial, c’est-à-dire, ceux dans lesquels les femmes sont les plus actives.
Les filles et les femmes pâtissent de la médiocrité des infrastructures, en particulier en milieu rural. Le faible accès à des voies de circulation en bon état, l’insuffisance du réseau électrique, l’absence de toilettes dans les lieux publics et le manque d’adduction d’eau peuvent avoir une incidence directe sur la participation économique des femmes. En effet, ces facteurs alourdissent leurs tâches domestiques, réduisent le temps disponible[10], diminuent leur mobilité et les empêchent de profiter de ressources éducatives et économiques disponibles. L’approvisionnement en eau est l’affaire des filles et des femmes, qui y consacrent un temps et des efforts considérables. 17 % de l’ensemble des ménages ivoiriens (pourcentage qui atteint 25 % dans le cas des ménages ruraux) résident à au moins une demi-heure d’une source d’eau potable (EDS 2011-2012). Les filles scolarisées doivent souvent accomplir des tâches ménagères, telles qu’aller chercher de l’eau, avant de se rendre à l’école, de sorte que les longues distances à parcourir pour se rendre jusqu’à un point d’eau et en revenir peuvent être cause d’absentéisme et de mauvais résultats scolaires (MCC, 2016)[11]. Au Niger, par exemple, chaque établissement d’enseignement construit dans le cadre du programme Threshold du MCC pour améliorer l'éducation des filles (IMAGINE) comporte un point d’eau, ou bien se situe à proximité immédiate d’une source d’eau potable, afin de réduire le temps nécessaire aux élèves pour se rendre à l’école et approvisionner leur famille en eau (Plan USA 2010). Le conflit en Côte d’Ivoire est à l’origine d’une détérioration des infrastructures d’adduction d’eau, en particulier dans le nord, et les sources d’alimentation en eau n’ont pas fait l’objet de réparation ou d’un entretien régulier depuis la fin des hostilités. 35 % de la population de Côte d’Ivoire ne dispose pas d’installations d’assainissement adéquates (pourcentage qui atteint 78 % en milieu rural), et 20 % de celle-ci consomme toujours de l’eau non potable (35 % en zone rurale) (EDS 2011-2012).
Les filles sont particulièrement affectées par le défaut d’installations d’assainissement dans les établissements d’enseignement, et peuvent être dissuadées de se rendre à l’école par l’absence de toilettes séparées ou décentes[12].
En Côte d’Ivoire, la voix des femmes n’est bien souvent pas entendue dans les positions de direction au sein des assemblées qui président aux destinées du pays, dans les entreprises ou de son système éducatif, ce qui contribue à perpétuer le cercle vicieux des inégalités.
Tableau 2: Élues femmes au parlement national, 2015
Source : Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde |
S’il n’existe pas d’obstacle formel à la participation des femmes à la vie politique ivoirienne, les normes culturelles qui définissent traditionnellement leur rôle tendent à limiter leur implication. La représentation des femmes dans la vie politique et au sein de l’État est faible par rapport à ce qu’elle est dans des pays comparables : en Côte d’Ivoire, 24 seulement des 230 sièges que compte le parlement national sont occupés par des femmes (un peu plus de 10 %), ce qui représente approximativement la moitié de la moyenne pour l’Afrique subsaharienne (Tableau 2)[13]. En 2015, seuls 11 des 197 maires étaient des femmes, et une seule présidence de conseil régional, sur les 31 que compte le pays, était occupée par une femme. Quelques femmes exercent des fonctions au sommet de l’État, au nombre desquelles la première vice-présidente de l’Assemblée nationale et cinq postes ministériels. Deux des dix candidats présidentiels dont la candidature a été déclarée recevable en relation avec le scrutin d’octobre 2015 étaient des femmes (département d’État des États-Unis, 2015). Lors des élections législatives de décembre 2016, 12 % des 255 sièges à pourvoir ont été remportés par des femmes[14]. Pour encourager le recrutement de femmes qualifiées aux échelons les plus élevés de l’État, le Compendium des Compétences Féminines de Côte d'Ivoire, agence recevant le soutien de l’UNESCO, tient une base de données réunissant des candidates qualifiées.
La Côte d’Ivoire n’a pas fixé de quotas de participation politique des femmes au niveau national, bien que certains partis en aient adopté d’eux-mêmes. Ainsi, le Front populaire ivoirien (FPI) soutient-il l’adoption de quotas de femmes de 30 % à tous les niveaux, y compris les listes de candidats aux élections. Le rapport de 2016, consacré à la Côte d’Ivoire, afférent à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, indique que les organisations de femmes militent en faveur de l’adoption de tels quotas (elles appellent, par exemple, à un quota de femmes de 30 % au sein des parlementaires), mais aussi pour que les listes des partis politiques comptent un tiers de femmes (Ministère de la promotion de la femme, de la famille et de la protection de l’enfant (MPFFPE), 2016, 22).
Graphique 2: Attitude à l’égard des femmes et des hommes exerçant des responsabilités politiques en Côte d’Ivoire Source : Afrobarometer 2014 |
Au nombre des obstacles à la présence de femmes aux niveaux les plus élevés de l’appareil d’État, il convient de mentionner l’accès à l’éducation, le partage inégal des responsabilités ménagères entre hommes et femmes, qui ralentit ces dernières dans leur carrière, les stéréotypes concernant les femmes et les fonctions de leadership, et les problèmes liés à l’équilibre travail-vie personnelle. Dans une déclaration révélatrice des attitudes culturelles au sujet des femmes en politique, un responsable public ivoirien a ainsi expliqué que la politique était une affaire « trop sale » pour que son épouse s’en mêle (BAfD, 2015, 19). Cette attitude se retrouve dans une enquête randomisée de grande ampleur, conduite en 2014, qui a montré que près de 30 % des hommes et 11 % des femmes en Côte d’Ivoire considéraient que les hommes étaient de meilleurs responsables politiques, et qu’il convenait donc de leur donner la priorité par rapport aux femmes en matière de fonctions politiques ; à l’inverse néanmoins, des proportions bien plus importantes de la population, les hommes comme les femmes, étaient d’accord, ou tout à fait d’accord, avec l’énoncé affirmant que les femmes devaient avoir les mêmes opportunités que les hommes d’exercer des fonctions électives (Graphique 2).
Tableau 3: Appartenance aux associations bénévoles ou aux groupes locaux en Côte d’Ivoire
Source : Afrobarometer 2014 |
La constitution de Côte d’Ivoire de 2016 garantit les libertés d'association, de réunion et de manifestation pacifiques, et reconnaît la société civile comme l’une des composantes de l'expression de la démocratie qui contribue au développement économique, social et culturel de la Nation. Les Organisations de la Société Civile (OSC) représentant les femmes militent vigoureusement contre le mariage forcé, les mutilations génitales féminines, les inégalités successorales, ainsi que contre les autres lois et normes discriminatoires à l’égard des filles et des femmes. Les groupes de femmes ont également œuvré pour encourager la participation des femmes à la vie politique (département d’État des États-Unis, 2015). Toutefois, l’écart qui sépare les hommes et les femmes en termes de participation aux organisations de la société civile ou communautaires, ou de direction de celles-ci, est important (Tableau 3). Plus de 80 % des femmes de Côte d’ivoire, soit n’ont pas la qualité de membre, soit ne jouent aucun rôle actif au sein des organisations bénévoles et des groupes locaux, contre 67 % des hommes. Le rôle des organisations de la société civile dans le domaine de la défense et de la promotion des droits des femmes est étudié plus en détail dans la section 3.
En Côte d’Ivoire, rares sont les femmes qui occupent des fonctions de direction d’entreprise ou qui siègent au sein du conseil d’administration. En Afrique de l’ouest, les femmes représentent 11 % des titulaires de telles fonctions, contre 20 % en Afrique du sud (McKinsey and Company, 2016). Le fait d’employer des femmes à des postes de dirigeants permet aux sociétés de puiser dans un réservoir de talents plus large. En outre, les femmes apportent à la direction d’entreprise un ensemble de compétences et de points de vue différents, mais complémentaires. Des études ont montré que les conseils d’administration qui comptent le plus de femmes connaissent moins de scandales touchant à la gouvernance, par exemple, lié à des faits de corruption ou de trafic d’influence, de fraude et de batailles d’actionnaires (MSCI 2014). Les sociétés dont le conseil d’administration et le comité de direction comportent la proportion de femmes affichent les résultats financiers les plus brillants. Le rendement des sociétés africaines dont le conseil d’administration est constitué pour un quart de femmes est supérieur de 20 % à la moyenne du secteur (McKinsey and Company, 2016).
L’intégration du point de vue des femmes dans les médias, ainsi que des femmes elles-mêmes en tant que modèles, est aussi importante pour amplifier leur voix et leur offrir de nouveaux modèles. Car les femmes sont également sous représentés dans les médias d’information. Une enquête réalisée en 2010 sur les hommes et les femmes à tous les niveaux des organes de presse dans 60 pays du monde a montré que les femmes occupaient 35 % de l’ensemble des postes dans le monde, et 42 % en Afrique subsaharienne (International Women’s Media Foundation, 2011). En Afrique subsaharienne, les femmes sont particulièrement sous-représentées dans la sphère managériale et professionnelle (c’est-à-dire, autre que technique), et notamment parmi les reporters de tous niveaux, avec des pourcentages compris entre 24 % et 32 %.
La société ivoirienne traditionnelle continue à assigner aux femmes un rôle secondaire, ce qui a pour effet de les placer dans une situation de dépendance économique et émotionnelle, ainsi que de restreindre leur liberté de parole et de mouvement. En Côte d’Ivoire comme dans d’autres pays, la famille demeure la structure fondamentale autour de laquelle s’articulent tous les rapports sociaux, et son organisation hiérarchique et patriarcale est généralement admise comme un fait inéluctable. La structure et la fonction de la famille traditionnelle contribuent fréquemment à perpétuer les discriminations contre les filles et les femmes. Les filles, en particulier les plus pauvres, celles dont la condition est la plus rigoureuse, apprennent très jeunes à accepter qu’elles doivent se plier aux exigences des corvées domestiques, aider leur mère à vendre au marché, surveiller leurs frères et sœurs et se marier jeunes, souvent au détriment de leurs propres études et de leurs aspirations. 61 % des femmes ivoiriennes indiquent que leur mari prend seul les décisions concernant les achats importants du ménage (EDS 2011-2012).
Le mariage occupe une place centrale dans les sociétés africaines. Il a une incidence directe sur la situation sociale des femmes. Il arrive qu’une femme mariée soit mieux considérée qu’une autre qui ne l’est pas. Les femmes qui ne sont pas mariées sont l’objet de pressions familiales incessantes destinées à remédier à cette anomalie. Dès leur plus jeune âge, les femmes en Côte d’Ivoire apprennent que le rôle qui les attend est celui d’épouse. C’est la raison pour laquelle bien des femmes choisissent de rester mariées en dépit des violences familiales dont elles sont les victimes, au risque de perdre la vie, pour préserver leur honneur et celui de leur famille.
L’institution du mariage a également des conséquences importantes en termes d’accès des femmes aux actifs. Bien qu’interdite par le code civil ivoirien, la polygamie est courante. Elle représente environ 30 % des unions des femmes âgées de 15 à 49 ans (EDS 2011-2012), cette proportion étant plus élevée en milieu rural (34 % contre 22 %). Les mariages coutumiers sont synonymes, pour les femmes, de moins de droits matrimoniaux et successoraux. Après le décès d’un époux, les coutumes traditionnelles réduisent encore les droits des femmes.
L’emprise exercée par le patriarcat s’étend aux communautés. Elle organise les rapports hommes-femmes et la division sexuelle du travail. Les hommes dominent la sphère productive tandis qu’il est attendu des femmes qu’elles se concentrent sur la sphère reproductive. Certains métiers sont considérés comme « masculins », d’autres comme « féminins ». Les femmes ne sont, de ce fait, ainsi pas à même de profiter pleinement des opportunités d’emploi qui s’offrent à elles, ou sont réduites à des activités précaires ou marginales. Certains maris refusent que leur femme travaille hors du domicile, ou sont réticents à donner leur accord pour cela. Bien qu’en principe, elles n’y soient plus tenues depuis l’adoption de la nouvelle loi sur le mariage (sur laquelle nous reviendrons dans la section 3), certaines femmes ont toujours besoin du consentement de leur époux pour entreprendre une activité économique. À titre d’exemple, le coordinateur d’une organisation locale de Bouaké a expliqué que la présidente de l’une des associations de femmes partenaires n’avait pu accepter un poste de responsable local au sein de son organisation en raison du refus de son mari d’autoriser celle-ci à assumer cette fonction, en dépit des capacités et des compétences de son épouse.
Les indicateurs en matière de santé reproductive illustrent le retard pris par la Côte d’Ivoire par rapport aux autres pays à revenu intermédiaire (tranche inférieure) d’Afrique subsaharienne et aux nations de référence, ainsi que le montre le Tableau 4.
Tableau 4: Données comparées dans le domaine de l’hygiène de la reproduction
Indicateur | Cote d'Ivoire | Ghana | Indonésie | Kenya | Nigeria | Rwanda | Sénégal | Afrique sub-saharienne | Pays à revenu intermédiaire |
Taux de natalité chez les adolescentes pour 1 000 femmes âgées de 15 à 19 ans (2006-2015) | 123 * | 65 | 48 | 96 | 122 | 45 | 80 |
127 W/C 109 E/S |
56 L 109 LDC |
Prévalence de la contraception, méthodes modernes (% de femmes âgées de 15 à 49 ans) | 14.3 * | 22.2 | 57.9 | 53.2 | 9.8 | 44.0 | 20.3 | 24.6 | 40.3 |
L’épouse prend les décisions concernant sa propre santé (%) | 10.2 | 27.4 | 34.0 | 38.6 | 6.2 | 23.2 | 6.6 | 21.3 | 28.0 |
Mortalité maternelle (décès pour 100 000 naissances en vie) | 645 | 319 | 126 | 510 | 814 | 290 | 315 | 547 | 251 |
Notes : pour les taux de natalité chez les adolescentes, les moyennes africaines sont différenciées sur une base régionale ouest et centre (O/C), d’une part, et est et sud (E/S) de l’autre. Au lieu d’une moyenne pour les pays à revenu intermédiaire (tranche inférieure), les taux de natalité chez les adolescentes sont présentés pour les régions les moins développées (M) et les pays les moins avancés (PMA).
Sources : Fonds des Nations Unies pour la population (2016) ; EDS ; Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde. Les données les plus récentes disponibles pour chaque pays datent de 2010-2015 ; *les statistiques ayant trait à la Côte d’Ivoire proviennent de l’enquête par grappes à indicateurs multiples (MICS), 2016.
De nombreuses communautés traditionnelles de Côte d’Ivoire considèrent que les filles sont pleinement responsables de leur sexualité dès leur première menstruation, ce qui est loin d’être le cas puisqu’à cet âge elles ne sont pas parvenues à maturité physique et émotionnelle. En Côte d’Ivoire, les filles n’ont bien souvent pas accès à l’éducation sexuelle, que ce soit à l’école ou dans la famille, et l’accès aux services de santé reproductive est faible (Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), 2014). Le taux de natalité chez les adolescentes de 123 pour 1 000 femmes âgées de 15 à 19 ans qui en résulte est le plus élevé des références présentées dans le Tableau 4. Les taux sont les plus hauts dans le nord-ouest (217), le sud-ouest (183) et l’ouest (173).
L’enquête MICS indique que 15,5 % des femmes utilisent des moyens contraceptifs d’un type ou d’un autre, la plupart employant des méthodes modernes (14 %). Seules 10 % des femmes mariées répondent prendre leurs propres décisions concernant leur santé, alors que 24 % disent décider conjointement avec leur partenaire et 64 % expliquent que leur époux ou leur famille prend les décisions à leur place (EDS 2011-2012).
Au cours du conflit, de nombreuses installations de santé de la reproduction ont été endommagées et ont dû être reconstruites, ce qui a eu pour effet de limiter l’accès aux services. Le transport et le coût contribuent également à limiter l’accès aux soins, en particulier dans les campagnes. À l’échelle du pays, seules 57 % des naissances ont lieu dans un établissement de soins. Cette proportion va de 26 % dans le nord-ouest à 90 % à Abidjan (EDS 2011-2012). Ces facteurs contribuent au taux élevé de mortalité maternelle que connaît la Côte d’Ivoire et qui, en 2015, atteignait 645 pour 100 000 naissances en vie, ce qui situe le pays en queue de peloton des pays d’Afrique subsaharienne, avec un taux qui est le double de celui du Ghana voisin (Tableau 4).
Encadré 1 : Si vous ne deviez changer qu’une seule chose ? Des représentants du secteur ivoirien de la production agricole, aussi bien des femmes que des hommes, se sont entendus pour dire que depuis la fin du conflit civil, les violences s’étaient aggravées en Côte d’Ivoire. L’équipe GIS a posé au groupe la question suivante : « si vous ne deviez changer qu’une seule chose pour améliorer la vie des femmes exploitantes agricoles, qu’est-ce que ce serait ? » Au nombre des réponses que nous avons recueillies figuraient :
|
Les femmes sont confrontées à de multiples difficultés personnelles qui affectent leur participation économique : l’accès et l’éducation à la santé, santé sexuelle et reproductive, santé et sécurité au travail, l’équilibre travail/vie privée et les violences basées sur le genre[15]. Cette dernière a été systématiquement évoquée par les interlocuteurs de l’équipe GIS et décrite comme un problème lié à la fois à l’accès des filles à l’éducation et à la participation économique des femmes.
L’attachement aux valeurs traditionnelles légitime la marginalisation des femmes et justifie les actes de violence qui leur sont infligés. Une étude des droits économiques, sociaux et culturels des femmes dans l’ouest de la Côte d’Ivoire a montré que les responsables locaux étaient parfaitement au fait des violences commises contre les femmes (Organisation nationale pour l’enfant, la femme et la famille (ONEF) 2009). Ils ne considèrent cependant pas que les mutilations génitales féminines ou le mariage précoce/forcé relèvent de la violence, ils estiment qu’il s’agit là simplement de traditions. La banalisation des actes de violence commis sur les filles et les femmes, le fait qu’ils ne soient pas décrits comme des infractions graves et l’impunité de fait dont jouissent leurs auteurs ont encouragé la population à les considérer comme « normaux ». Pour avancer dans ce domaine, il faut commencer par déconstruire des valeurs culturelles qui encouragent les violences sur les filles et les femmes. De multiples actions visant à combattre les violences sexistes en Côte d’Ivoire ont d’ores et déjà été engagées. Nous allons y revenir.
Mariage des enfants, traite d’êtres humains, harcèlement sexuel, mutilations génitales féminines, viol et violences familiales sont autant de risques réels pour les filles et les femmes ivoiriennes. Des statistiques sur les violences sexuelles faisant l’objet d’un suivi par le MPFFPE laissent entrevoir un léger recul depuis 2012 ; il est probable que ces chiffres ne reflètent pas toute la réalité et que nombre de faits ne sont pas pris en compte. Cette tendance n’est pas corroborée par les observations des organisations de femmes en Côte d’Ivoire, qui ont, au contraire, fait part à l’équipe GIS, fin 2016, de leur conviction que les violences s’étaient aggravées récemment. Les chiffres existants mettent en évidence la fréquence des agressions physiques et des viols (ensemble, 60 % des cas enregistrés), ainsi que l’importance des faits relevant d’une catégorie appelée « déni de ressources, d’opportunités et de services »[16] (25 %). Le système national d’intervention inclut des organisations qui luttent contre les violences sexistes, des centres sociaux, des centres d’accueil implantés au sein des commissariats de police et des centres de soins pour les victimes de violences sexistes.
Mariage d’enfants. Le mariage forcé a des répercussions sur tous les aspects de la vie des filles, en particulier au niveau de leur éducation. Chaque année, environ 14 millions d’adolescentes sont mariées dans le monde[17], dans la quasi-totalité des cas sous la pression des parents. En mariant leurs filles, parfois à des hommes dont l’âge est le double de celles-ci, les familles cherchent à échapper à la pauvreté, à réduire le nombre de bouches à nourrir, à se soumettre aux exigences de la tradition et/ou à préserver leur honneur en évitant une grossesse hors mariage.
Tableau 5: Statistiques comparées sur les mariages d'enfants
Rang | Pays et régions | % de filles mariées au plus tard à 18 ans | Rang | Pays et régions | % de filles mariées au plus tard à 18 ans |
1 | Niger | 76 | 32 | Côte d’Ivoire | 33 * |
2 | Tchad | 68 | 36 | Sénégal | 32 |
3 | République centrafricaine | 68 | 37 | Bénin | 32 |
4 | Mali | 55 | 55 | Kenya | 23 |
5 | Bangladesh | 52 | 68 | Ghana | 21 |
6 | Guinée | 52 | 86 | Indonésie | 14 |
7 | Burkina Faso | 52 | |||
8 | Soudan du sud | 52 | Pays le moins avancés | 41 | |
9 | Mozambique | 48 | Afrique subsaharienne | 38 | |
10 | Inde | 47 |
Note : l’UNICEF indique le pourcentage de femmes âgées de 20 à 24 ans mariées ou vivant en concubinage au plus tard à l’âge de 18 ans. Plus la place d’un pays dans le classement est élevée, plus son taux de mariage d’enfant est haut, de sorte que, dans ce tableau, une place au bas du classement indique une situation plus positive.
Sources : UNICEF, statistiques sur les mariages d’enfants extraites de diverses enquêtes démographiques et de santé conduites entre 2008 et 2014. Voir https://data.unicef.org/topic/child-protection/child-marriage/.
En Côte d’Ivoire, les mariages précoces sont interdits. L’âge minimum fixé par la loi pour se marier est actuellement de 18 ans pour les femmes et de 21 ans pour les hommes. Le gouvernement étudie actuellement un projet de réforme destiné à aligner l’âge minimum du mariage des femmes et des hommes. La tradition n’en continue pas moins à prévaloir sur la loi et les mariages précoces et forcés continuent en Côte d’Ivoire, en particulier en milieu rural. 12 % des femmes âgées de 25 à 49 ans ont été mariées à l’âge de 15 ans ou avant, 36 % au plus tard à 18 ans et 52 % à 20 ans (EDS 2011-2012). L’enquête MICS 2016 indique que 8,4 % des femmes âgées de 20 à 49 ans ont été mariées avant l’âge de 15 ans et 32 % avant 18 ans ; lorsque les femmes plus jeunes sont incluses (par exemple, lorsque la fourchette d’âges inclut les femmes de 15 à 49 ans), le premier de ces chiffres (mariage au plus tard à l’âge de 15 ans) tombe à 7,7 %.
Dans le classement établi sur la base de la définition de l’UNICEF, présenté dans le Tableau 5, la Côte d’Ivoire arrive au 32ème rang sur 123 pays, c’est-à-dire, à une place similaire à celle du Sénégal, du Bénin, du Kenya, du Ghana et de l’Indonésie. Mariage forcé et paiement de dot sont également prohibés par la loi (loi n° 98/756). En pratique, ces textes ne sont pas appliqués, encore qu’ainsi qu’en atteste le cas de Bouaké, la sensibilisation devient un moyen de plus en plus répandu de lutter contre le mariage précoce des enfants, avec le soutien à la fois des organisations locales et forces de l’ordre pour la prévention et la répression.
Encadré 2: Le combat d’une adolescente contre le mariage précoce À Bouaké, l’équipe GIS a eu connaissance du cas d’une adolescente de 15 ans qui a résisté à la pression de ses parents pour la marier. La responsable d’une organisation locale de femmes, l’Association des épouses de chauffeurs, a expliqué qu’après que la jeune fille ait été battue une semaine durant par ses parents pour « son entêtement », son organisation était intervenue. Informée du refus de l’adolescente d’être contrainte au mariage et de son souhait de poursuivre ses études, l’organisation l’a aidée à contacter un centre social qui a, à son tour, prévenu la police. Des fonctionnaires de police se sont rendus au domicile des parents pour les mettre en garde solennellement : « nous sommes en 2016, et les mariages forcés ne sont plus autorisés en Côte d’Ivoire ». La présidente de l’organisation locale de femmes a toutefois déclaré : « nous demeurons vigilantes, nous voulons être certaines qu’elle ne court aucun danger ». |
Les filles ne souhaitent pas et n’acceptent pas toujours la voie qui leur est tracée, mais en Côte d’Ivoire beaucoup d’entre elles ne reçoivent pas le soutien dont a bénéficié l’adolescente de Bouaké dont l’expérience est décrite ci-dessous. Et nombre de filles endurent toujours en silence cette violation des droits humains fondamentaux.
Graphique 3: Prévalence comparée des mutilations génitales féminines chez les jeunes filles et les femmes âgées de 15 à 49 ans Source : UNICEF ; l’étude MISC 2016 a confirmé que la moyenne nationale en Côte d’Ivoire était, en 2016, de 36,7 %. |
Les mutilations génitales féminines. Les MGF sont toujours pratiquées en Côte d’Ivoire, en dépit de la loi 98/757 qui les déclarait illégales. En tant que signataire de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 20 décembre 2012, n° A/RES/67/146, sur l’intensification de l’action mondiale visant à éliminer les mutilations génitales féminines, la Côte d’Ivoire met en œuvre des mesures destinées à éduquer le public et à punir les personnes qui continuent à pratiquer les MGF. En 2016, 37 % des femmes ivoiriennes âgées de 15 à 49 ans avaient subi des mutilations génitales féminines, ce qui représente une part plus élevée que celle de nombre de pays voisins et de référence, ainsi qu’indiqué dans le Graphique 3.
Encadré 3: Les femmes et la traite d’êtres humains Lors de la rencontre de l’équipe GSI avec un groupe de femmes exerçant des activités de production en milieu rural, un homme a expliqué que les enlèvements de femmes travaillant dans les champs constituaient un problème. Au cours de l’année écoulée, dans son district des environs de Bouaké, au moins 15 femmes ont disparu pour ne jamais revenir. |
La traite d’êtres humains.Les filles et les femmes représentent 71 % des victimes de la traite d’êtres humains dans le monde, aussi bien à l’intérieur des frontières nationales que par-delà celles-ci[18]. Dans son rapport de 2016 sur la traite d’êtres humains, le département d’État américain souligne que la Côte d’Ivoire est à la fois un pays source, de transit et de destination pour les femmes et les enfants, et il le classe parmi les États de niveau 2 sur sa liste de surveillance[19]. Les filles et les femmes victimes de la traite d’êtres humains sont le plus souvent destinées à alimenter les marchés de la main d’œuvre domestique asservie ou du travail forcé dans le secteur des services, mais aussi de l’industrie du sexe. De leur côté, les garçons viennent souvent grossir les rangs des travailleurs forcés des plantations. Les efforts de surveillance de la Côte d’Ivoire sont plus centrés sur la traite des enfants, de sorte qu’il est possible que celle des adultes soit sous-estimée.
Le harcèlement sexuel. Il n’existe pas de données sur l’incidence du harcèlement sexuel. Néanmoins, l’équipe GSI a entendu des récits décrivant des pratiques de harcèlement des filles et des femmes très répandues: brimades à caractère sexuel, transactions économiques dont la validité est conditionnée à l’octroi de faveurs sexuelles, attouchements pratiqués par des fonctionnaires et agents publics des services de contrôle des frontières, manque de respect à l’égard de la clientèle féminine dans les hôtels et harcèlement sexuel dans les écoles. Plusieurs institutions ont en charge la prévention et la répression du harcèlement sexuel. Toutefois, le harcèlement sexuel est relativement marginalisé et les ressources financières qui lui sont allouées sont maigres.
Le viol. Bien qu’il ne soit pas défini dans le code pénal ivoirien , le viol est illégal, encore que le viol dit « conjugal » ne le soit pas. En raison du coût d’un certificat médical (une centaine de dollars), la plupart des affaires de viol sont réglées par des mécanismes traditionnels. En mars 2015, le ministre de la justice, des droits de l’homme et des libertés publiques a décidé qu’un certificat médical n’était plus nécessaire à l’ouverture d’une enquête sur les faits présumés de viol ; en pratique, néanmoins, la production d’un tel document est toujours attendue. Les cours d’assise , auxquelles il revient de juger les affaires de viol, n’ont pas fonctionné entre 2001 et 2014, ce qui a eu pour effet de créer un engorgement dans le système judiciaire et de dissuader les victimes et les témoins de dénoncer les faits dont ils avaient connaissance (Human Rights Watch, 2016). Il convient d’ajouter à cela que les victimes hésitent souvent à porter plainte pour viol, craignant la stigmatisation dont elles pourront faire l’objet ou d’éventuelles représailles exercées par l’auteur des faits.
Violences familiales. En Côte d’Ivoire, aucune loi ne traite des violences familiales. Elles sont pourtant répandues : un quart des femmes vivant actuellement en couple en Côte d’Ivoire ont, au cours de leur vie, été victimes de violences physiques ou sexuelles commises par un partenaire ; ce chiffre atteint 30 % lorsque les violences émotionnelles sont incluses et 36 % lorsque sont prises en compte les violences physiques ou sexuelles imputables à d’autres personnes. Ce chiffre ne fluctue pas significativement d’un quintile de revenu à un autre ; il est cependant le plus élevé dans les régions nord-ouest et sud-ouest du pays, beaucoup plus haut au sein de certains groupes ethniques, et supérieur en zone urbaine à ce qu’il est en milieu rural (EDS 2011-2012). Toutefois, par rapport à d’autres pays d’Afrique, l’incidence de ces violences n’est pas particulièrement forte en Côte d’Ivoire (Tableau 6).
Tableau 6: Violences physique ou sexuelles
Note : les violences conjugales sont définies ici comme « le pourcentage de femmes mariées, ou l’ayant été, ayant subi, à un moment ou à un autre, des violences physiques ou sexuelles imputables à leur époux ou partenaire ». Source : Programme EDS, StatCompiler |
Les communautés rurales considèrent fréquemment certains faits de violences conjugales comme normales, et notamment le viol conjugal et divers autres actes (ONEF 2013, 51). Il est rare que les femmes signalent des faits de violences conjugales en raison de la stigmatisation sociale attachée à la question et du fait que la justice et la police considèrent qu’il s’agit d’un problème à régler dans le contexte familial. Il arrive que les victimes peu éduquées de violences familiales ne connaissent pas leurs droits ; rares sont celles qui portent plainte contre leur agresseur. L’attitude des femmes à l’égard des violences familiales atteste de l’acceptation culturelle de ce phénomène : plus de la moitié des femmes (mais seulement 30 % des hommes) de Côte d’Ivoire considèrent qu’il est justifié qu’un mari batte sa femme pour au moins l’une des raisons suivantes : être sortie sans son autorisation, avoir négligé les enfants, avoir manifesté un désaccord avec son époux, lui avoir refusé des rapports sexuels, avoir brûlé un repas ou avoir menti à son mari (MICS, 2016). Des initiatives en matière de changement culturel et comportemental ont reçu le soutien d’organisations de la société civile en diverses régions du pays, afin de faire évoluer les structures communautaires traditionnelles pour apporter des solutions à ces problèmes.
Si la question des violences basées sur le genre est depuis longtemps considérée comme touchant à la santé des femmes et aux droits de l’homme, elle apparaît également comme un problème considérable du point de vue de l’autonomisation économique des femmes. Dans une société post-conflit, aussi bien les hommes que les femmes de Côte d’Ivoire sont confrontés à des risques de vol et de préjudice corporel en relation avec de multiples aspects de la vie quotidienne[20]. Néanmoins, les risques encourus par les filles et les femmes, et les actes de violence dont elles sont les victimes nuisent à leurs chances d’effectuer des études, et les empêchent de circuler librement ou de gagner leur vie, et ont à cet égard des répercussions très différentes de celles qu’ont pour les hommes les violences et les risques qu’ils doivent affronter.
Les répercussions émotionnelles et sociales des violences contre les filles et les femmes sont multiples :
Il en résulte une modification des opportunités et des possibilités économiques pour les femmes :
Cette situation entraîne, pour les personnes, les entreprises et l’économie ivoirienne, des coûts multiples et divers, qui sont énumérés ci-après. Il est probable que certains se recoupent (par exemple, les résultats d’une éducation de mauvaise qualité et un faible pouvoir de négociation sont sans doute fortement corrélés), ce qui impliquerait des spécifications plus précises avant modélisation. Ces coûts économiques incluent notamment :
Les dividendes économiques de la lutte contre les violences basées sur le genre ou des efforts pour améliorer la santé des femmes peuvent être importants. L’analyse de données d’enquête conduite auprès des personnes et des entreprises conduit à conclure à une perte de 3,7 % du produit intérieur brut (PIB) due aux violences sexistes (Van Horna, 2013)[24]. La récente initiative de l’APEC, intitulée Healthy Women, Healthy Economies [Femmes en bonne santé, économie en bonne santé], a récemment permis de conclure que les économies de coûts annuels résultant de l’apport de solutions aux problèmes de santé qui affectent les femmes, y compris dans le domaine de l’hygiène et de la sécurité du travail, de l’information sur la santé et de l’accès aux soins, ainsi que des violences sexistes, se situent dans une fourchette de 1 % pour une économie développée (Australie) à 1,6 % pour un pays en développement (Philippines) (Nathan Associates 2016c)[25]. L’estimation de ces paramètres constitue une manière concrète et aisée à comprendre d’élaborer des estimations propres à donner aux planificateurs à l’échelon national une idée de l’ordre de grandeur de l’impact des violences basées sur le genre, dans le but de sensibiliser à la nécessité d’affecter des ressources permettant de les combattre.
La loi ivoirienne n° 98/757 du 23 décembre 1998 réprime certaines formes de violence à l'égard des femmes. Bien que, ces dernières années, les autorités se soient attaquées aux violences sexistes, elles demeurent très répandues et insuffisamment déclarées. La crise socio politique et l’utilisation des violences sexistes au cours de celle-ci ont créé une culture générale de violence qui persiste, renforcée par l’impunité actuelle des auteurs de viols et de violences sexuelles[26]. Dans son rapport de 2016 sur les violences sexuelles liées aux conflits, le Secrétaire général de l’ONU considère la Côte d’Ivoire comme un pays dans lequel la situation est préoccupante.
En septembre 2014, le gouvernement ivoirien a lancé une stratégie nationale contre les violences sexistes. Celle-ci comporte un volet préventif impliquant les collectivités locales et les autorités nationales, et prévoit l’ouverture d’enquêtes criminelles et de poursuites pénales contre les auteurs, une réforme de l’appareil de sécurité publique et la mise en place de dispositifs d’aide aux victimes (MPFFPE, 2014). Elle indique une volonté politique dont la traduction dans les faits est compromise par des moyens budgétaires insuffisants (Conseil de sécurité des Nations Unies, 2016). Des mesures ont été prises, au niveau national, des districts et local pour sensibiliser le public à la nécessité d’éliminer les pratiques traditionnelles préjudiciables (MPFFPE, 2016).
Qui y a intérêt ? Toutes les filles et les femmes ont intérêt à l’arrêt des violences sexistes. Le secteur privé et l’État gagneront également à une réduction des coûts supportés par les entreprises et à la charge de l’économie. La prise en compte de cette dimension et l’apport de solutions revêtent une importance particulière dans le contexte de l’effort national accompli pour atteindre les objectifs de développement définis.
Résumé des défis existants. L’éradication des violences sexistes passe par l’identification des causes et leur traitement, mais aussi par une prise de conscience par les auteurs de leur responsabilité à cet égard et leur punition. Il conviendrait également d’élargir le spectre du discours culturel pour inclure les droits des femmes parmi les valeurs humaines universelles.
Initiatives ciblées. Le tableau ci-après comporte un certain nombre de recommandations de mesures destinées à prendre en compte diverses dimensions du défi représenté par les violences sexistes. Ces propositions s’adressent au MCC, à l’État ivoirien aux autres partenaires pour le développement :
Tableau 7: Recommandations en matière de réponse aux violences sexistes
Pour… | Il est recommandé de… | Pourrait être envisagé par… |
EN TRAVAILLANT AVEC LES AUTORITES NATIONALES | ||
Estimer les avantages, à l’échelle de l’économie ivoirienne, de la lutte contre les violences sexistes, et ainsi renforcer l’incitation à les éliminer | Construire un modèle de quantification des coûts pour les personnes, sociaux et économiques, ainsi que de leur effet sur la croissance économique nationale | Partenaires internationaux pour le développement |
EN TRAVAILLANT AU NIVEAU DES POLITIQUES PUBLIQUES | ||
Mettre fin à l’impunité dont jouissent les auteurs de violences sexistes |
Renforcer l’application et le respect des lois en vigueur dans le domaine des violences sexistes, notamment en mettant l’accent sur les établissements d’enseignement en réformant le Statut général de la fonction publique pour l’enrichir de dispositions visant à prévenir et à réprimer les violences sexistes. Réviser et mettre à jour le Statut général de la fonction publique (n° 92-470) de 1992, qui régit les fonctionnaires et agents publics, de manière à interdire les discriminations et à prohiber clairement le harcèlement sexuel au travail (voir section 3). |
Gouvernement ivoirien |
Veiller à la durabilité des effets et tirer parti des efforts en cours pour réduire les violences contre les filles et les femmes au sein des établissements d’enseignement, ou en liaison avec ceux-ci | Évaluer l’incidence d’efforts soutenus de l’UNICEF pour promulguer un code de conduite national diffusé au sein des personnels de l’éducation nationale, et développer le potentiel requis à cet égard. |
Gouvernement ivoirien Ministère de l'éducation nationale |
EN TRAVAILLANT AU SEIN DES POPULATIONS LOCALES | ||
Apporter un soutien à l’émancipation des filles face aux violences basées sur le genre | Créer un programme d’aides sollicitant des idées de programme auprès d’organisations de la société civile, en partenariat avec des responsables dans le domaine de la sécurité publique, pour aider les filles à reconnaître le traumatisme associé aux violences sexistes, le signaler et le combattre. | Partenaires internationaux pour le développement |
Apporter un soutien à l’émancipation des femmes par l’éducation à leurs droits, et les aider à dénoncer publiquement les pratiques dont elles sont les victimes |
Soutenir les organisations de la société civile pour les aider à organiser des réunions régulières pour informer et sensibiliser les femmes à leurs droits, ainsi qu’aux voies de recours à leur disposition lorsqu’il y est porté atteinte ; mais aussi à diffuser ces informations plus largement au moyen des médias nationaux et locaux. Soutenir les organisations de la société civile pour les aider à orienter les victimes de violences vers des dispositifs de soutien (par exemple, des centres de soins, ONG, etc.) pour que des soins leur soient dispensés, s’il y a lieu. |
Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
Remarque : les lignes ombrées correspondent aux priorités recommandées par l’équipe GIS.
Depuis la fin de la crise socio politique, la Côte d’Ivoire a réformé de nombreux textes et adopté plusieurs politiques publiques nouvelles pour remédier aux inégalités entre hommes et femmes. Il ressort clairement des échanges qu’a pu avoir l’équipe avec un certain nombre d’autorités publiques et d’organisations de la société civile que la dimension des différences hommes-femmes est mieux prise en compte aujourd’hui qu’il y a quelques années. Ainsi que l’a déclaré un fonctionnaire : « il est bon de conserver à l’esprit le fait qu’il y a seulement cinq ans, nous étions en plein conflit civil, et qu’il n’était alors pas le moins du monde question de la condition de la femme ». L’analyse de l’égalité entre les femmes et les hommes, et les considérations qui entrent dans la conception de programme diffèrent considérablement, la condition féminine occupant une place plus importante dans des domaines relevant de la sphère des affaires sociales, tels que la santé publique et l’éducation, et au contraire, plus limitée, voire nouvelle, dans des secteurs comme l’aménagement urbain, les infrastructures et les transports. Coordination insuffisante et ressources financières inadéquates contribuent en outre à restreindre l’application de la loi et la mise en œuvre des politiques publiques.
Encadré 4: Les droits des femmes dans la nouvelle constitution La constitution de 2016 prévoit :
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Des avancées considérables ont eu lieu, ces dernières années, dans le sens de la création d’un cadre législatif propre à encourager la participation des femmes à l’économie. Le manque de ressources financières, le caractère limité de l’analyse des données et une coordination inégale empêchent toutefois sa mise en œuvre. Les représentants de l’État et des entreprises conviennent avec les organisations de la société civile que, si ces deux dernières années, des changements importants, propres à éliminer des obstacles à la participation des femmes à l’économie, sont intervenus, leur traduction dans la réalité se fait attendre.
Bien qu’adoptée à l’issue d’un référendum contesté, la nouvelle constitution renforce les droits des femmes et élargit le spectre des opportunités qui s’offrent à elles. En octobre 2016, une nouvelle constitution a été adoptée par la voie référendaire. Bien que le débat sur les changements proposés ait été trop bref pour être considéré comme pleinement démocratique, les nouvelles lois fondamentales renforcent les droits des femmes en matière d’égalité des chances et de refus de la discrimination (voir encadré).
La Côte d’Ivoire s’est dotée d’un Plan national de développement ambitieux destiné à faire du pays une nation émergente d’ici 2020. Le Plan national de développement (PND) 2012-2015, approuvé peu après la fin de la crise socio politique, a été adoptée pour rassembler le pays et en faire une nation émergente d’ici 2020. Ce plan, qui a précédé le plan actuel, s’articulait autour de cinq stratégies : 1) la sécurité et la bonne gouvernance ; 2) un développement économique inclusif ; 3) un accès aux services sociaux pour les femmes, les enfants et d’autres groupes vulnérables ; 4) des conditions de vie sûres et adéquates ; et 5) un retour sur la scène politique (et économique) régionale et internationale. Au cours du PND 2012-2015, plusieurs institutions publiques ont été créées pour renforcer l’égalité entre les sexes, et d’importantes réformes législatives, au nombre desquelles la reforme sur la loi du mariage, ont été adoptées dans le but de promouvoir le rôle des femmes dans l’économie.
Le PND 2016-2020 actuel proclame qu’une croissance inclusive est essentielle pour faire de la Côte d’Ivoire une économie émergente. Alors que le pays s’éloigne progressivement à la période post-conflit pour attacher une importance accrue au développement économique, le PND 2016-2020 a redéfini les cinq priorités principales : 1) le développement institutionnel et la bonne gouvernance ; 2) le renforcement des capacités des femmes et des hommes ; 3) la transformation institutionnelle ; 4) l’amélioration des infrastructures ; et 5) le repositionnement régional et international. Le PND 2016-2020 souligne que, si les réformes législatives et réglementaires destinées à renforcer l’égalité entre les sexes, intervenues lors du PND 2012-2015 étaient importantes, les normes culturelles et les retards de traduction dans la réalité des politiques publiques en matière d’égalité hommes-femmes constituaient des obstacles fondamentaux à l’autonomisation des femmes nécessaires pour leur permettre de contribuer pleinement à la vie politique et économique du pays.
La stratégie du PND 2016-2020 définit des objectifs spécifiques pour chacune de ces cinq priorités. Mais en dehors des domaines dans lesquels il est traditionnel de promouvoir l’avancement des femmes ou de sensibiliser au rôle qu’elles ont à jouer, peu d’activités spécifiques ont été définies ou d’objectifs fixés pour accroître la participation des femmes à l’économie. Afin d’être en mesure de mesurer les progrès réalisés par rapport aux objectifs choisis, le gouvernement a basé nombre de ces derniers sur des indices internationaux ou des statistiques élaborées à partir d’enquêtes, comme dans le cas des éléments recueillis lors de l’enquête démographique et de santé (EDS). Ainsi, dans le cas de la deuxième priorité (le potentiel humain), le plan comporte-t-il un certain nombre d’objectifs relevant des domaines de l’éducation, du développement de compétences et de capacités, ainsi que de la santé et de la nutrition. Pour certains d’entre eux sont définies des cibles très spécifiques pour les filles et les femmes. Au-delà de l’éducation, de la santé et de la nutrition, néanmoins, peu d’objectifs sont de nature à contribuer à la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes. Au regard de la nécessité de s’appuyer sur des indices existants, l’incorporation de données statistiques entrant dans le calcul de l’indice « Les femmes, l'entreprise et le droit » de la Banque mondiale, qui vise à décrire l’accès des femmes au crédit, au marché de l’emploi, aux institutions publiques et mécanismes de protection contre les violences, ou de l’Indice mondial d’inégalités de genre (Global Gender Gap Index) du Forum Economique Mondial (FEM), qui mesure la participation économique et politique, constituerait une addition bienvenue.
La stratégie du PND 2016-2020 identifie des activités détaillées en relation avec tous les domaines de priorité, et la matrice des stratégies et des priorités contient des propositions budgétaires correspondantes. La dimension de l’inégalité entre les sexes, désignée dans le budget par l’expression « solidarité avec les familles, les femmes et les enfants », a reçu une allocation de 0,17 % du budget total. Le budget effectivement alloué à des mesures affectant l’autonomisation des femmes est néanmoins plus élevé, puisque les budgets des ministères de la santé et de l’éducation comportent des mesures ciblant spécifiquement cette population. Il faut ajouter à cela les bénéfices découlant du financement d’autres activités dans d’autres domaines prioritaires. Le budget ivoirien n’a pas fait l’objet d’une analyse globale sous l’angle de l’égalité de genre.
Si l’homme n’est plus le chef de famille, il jouit toujours d’un pouvoir décisionnel plus important, tant dans la sphère privée que publique. Jusqu’en 2012, en Côte d’Ivoire, l’homme était légalement le chef de famille[27]. En janvier 2013, le parlement ivoirien a abrogé et remplacé divers articles de la loi sur le mariage pour établir une égalité entre hommes et femmes au sein de la famille (loi n° 2013-33). La nouvelle loi prévoit que la famille est gérée conjointement par les époux, qui pourvoient à l’éducation des enfants et contribuent aux charges du ménage en fonction de leurs facultés respectives. Elle prévoit également que le domicile de la famille est choisi d’un commun accord par les époux. La réforme confère également à chacun des conjoints le droit d’exercer la profession de son choix. La version précédente de la loi sur le mariage ne reconnaissait ce droit qu’au seul mari, ce que certains interprétaient comme signifiant que les femmes devaient obtenir l’autorisation de leur époux avant un choix professionnel.
Cette réforme a abrogé un certain nombre de restrictions juridiques qui, jusque-là, limitaient la participation économique des femmes : certaines banques imposaient aux femmes mariées d’obtenir l’autorisation de leur mari avant d’ouvrir un compte ou d’effectuer toute autre opération bancaire ; le régime fiscal désavantageait les femmes mariées ; un mari pouvait interdire à sa femme de demander un passeport ou de travailler ; et les aides familiales publiques demandées par les salariés du secteur formel étaient automatiquement attribuées au père de l’enfant.
La réforme législative, dictée par la volonté des autorités d’améliorer le cadre juridique de l’égalité hommes-femmes de manière à ce que le pays remplisse les conditions requises pour bénéficier du Programme compact du MCC, a rencontré localement l’opposition d’hommes et de femmes. Dans un éditorial, un quotidien proclamait ainsi qu’une « égalité parfaite entre hommes et femmes dans nos foyers [était] contraire à l’esprit africain » (Bax, 2013). Une parlementaire a expliqué s’opposer au changement car la société ivoirienne était centrée sur l’autorité du chef, qu’il s’agisse du responsable local, du chef de village, du chef de l’État ou du chef de famille (Bax, 2013). Des croyances culturelles profondément enracinées considèrent le mari comme le chef de famille, et plusieurs experts ont expliqué qu’en dépit de la réforme législative, cette vue des choses perdurait, et que l’homme était toujours largement considéré comme le chef de la famille. Des représentants des pouvoirs publics, du monde de la recherche et de l’enseignement supérieur, ainsi que de groupes de défense et de promotion des droits de la femme avec lesquels s’est entretenue l’équipe GSI ont souligné avec force que, si la suppression de la notion de chef de famille marquait une étape importante de l’effort accompli pour permettre aux femmes de participer pleinement, son acceptation par la population prendrait du temps.
La nouvelle constitution ivoirienne (2016) et le code du travail de 2015 attestent de la volonté des autorités de promouvoir l’égalité des sexes sur le lieu de travail, et pourtant, en pratique, ces textes ne s’appliquent qu’à une part limitée de la population. La constitution prévoit le droit de tous à une rémunération équitable. Elle dispose également que l’État œuvre à promouvoir la parité entre les hommes et les femmes sur le marché de l'emploi, et qu’il encourage la promotion de la femme aux responsabilités dans les institutions et administrations publiques, ainsi qu'au niveau des entreprises. Néanmoins, ainsi que nous y reviendrons plus en détail dans la section 4, qui est consacrée aux femmes et au marché du travail, l’écart de rémunération réel entre hommes et femmes en Côte d’Ivoire est inconnu. En outre, si nombre de parties prenantes ont confirmé que les femmes sont sous-représentées aux fonctions de direction, tant dans le secteur public que privé, du fait des normes sociales et des structures institutionnelles, aucune étude n’a été réalisée pour dresser un état de la situation du pays et l’analyser.
En 2015, la Côte d’Ivoire s’est dotée d’un nouveau code du travail destiné à renforcer les mesures de lutte contre la discrimination sur le lieu de travail. Ce code prohibe la discrimination fondée sur le sexe ou la grossesse, tant en matière de recrutement que de promotion, de salaires et de licenciement. Le champ d’application du code est toutefois restreint, puisqu’il ne concerne que le secteur privé. En outre, d’un point de vue concret, la loi ne vaut que pour les personnes travaillant dans l’économie formelle. Une enquête nationale a montré que 6 % des femmes et 10 % des hommes travaillaient dans l’économie du pays (Enquête sur le niveau de vie des ménages en Côte d’Ivoire (ENV) 2015). Dans la mesure où ces chiffres incluent l’emploi dans le secteur public, en pratique, le code du travail ne s’applique qu’à un très faible pourcentage de la main d’œuvre.
Les salariés du secteur public, et notamment les enseignants, ne sont pas soumis au code du travail, mais au Statut général de la fonction publique (n° 92-470), qui date de 1992. Celui-ci n’interdit pas la discrimination en fonction du sexe et ne prohibe pas directement le harcèlement sexuel. L’article 20 dispose cependant que la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes. Le décret d’application n° 93-607 du 2 Juillet 1993, portant modalités communes d’application du Statut général de la fonction publique, crée le congé de maternité. L’État est désireux de réformer et de mettre à jour le Statut général de la fonction publique[28] ; à la date de ce document, tel n’a pourtant pas été le cas. Cette révision est nécessaire. Il conviendrait qu’elle inclue une interdiction dépourvue d’ambiguïté de la discrimination, de même que la mise hors la loi du harcèlement sexuel au travail.
Le harcèlement sexuel est réprimé par le code pénal. Les poursuites en la matière sont néanmoins pratiquement inexistantes.
Le harcèlement sexuel existe à l’état endémique dans le système éducatif ivoirien, mais ainsi que le précise le rapport de la Banque mondiale sur « les femmes, l'entreprise et le droit », aucun texte ivoirien ne réprime le harcèlement et les violences à caractère sexuel dans l’enseignement (Banque mondiale, 2016a). La loi ivoirienne sur l’éducation (n° 2015-635[29], portant réforme de la loi n° 95-696) ne traite pas de la question du harcèlement sexuel. Elle constituerait toutefois un bon point de départ pour cela. Divers pays ont adopté des approches diverses de la législation en matière de répression du harcèlement sexuel dans l’éducation : le Sri Lanka, la Bolivie, l’Égypte et le Mozambique ont adopté des lois traitant particulièrement de ce problème ou modifié leur code pénal. La ville de Mexico a approuvé un protocole destiné à prévenir le harcèlement sexuel, tandis que la Haute cour kenyane jugeait que les violences basées sur le sexe dans les établissements d’enseignement constituaient une violation du droit constitutionnel à l’éducation (Santagostino et Kuoh, 2016).
Conformément aux recommandations de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), les femmes employées dans le secteur formel ivoirien ont droit à 14 semaines de congé de maternité. Comme dans d’autres pays néanmoins, les pères ont seulement droit à dix jours de congé de paternité rémunéré (OIT, 2014). Les femmes ont en outre droit quotidiennement à une pause d’une heure par jour pour allaiter leur enfant ou resserrer les liens affectifs avec celui-ci durant une période de 15 mois à compter du moment où elles ont repris le travail. Même si ces avantages sont conformes aux recommandations internationales, le fait de mettre l’accent sur les parents plutôt que sur les mères serait indicateur d’une responsabilité partagée accrue des deux parents en matière de soins aux enfants et de formation de liens affectifs avec ceux-ci, et contribuerait à réduire la prévention des employeurs à l’égard des femmes en âge de procréer.
Enfin, dans le but de les protéger, les femmes enceintes ne sont pas autorisées à travailler la nuit, à moins qu’elles ne disposent d’une autorisation médicale à cet effet. En outre, certains types d’activités professionnelles peuvent être interdits aux femmes, en particulier lorsqu’elles sont enceintes. Selon le ministère de l'emploi et de la protection sociale, aucun arrêté de ce type n’a encore été promulgué. L’équipe GSI n’a cependant pas été à même de déterminer s’il existait des plans ou des propositions en vue de la définition de telles catégories. Si les risques liés à l’exercice d’une activité professionnelle ou pour la santé sont plus élevés pour les femmes (Association de coopération économique Asie-Pacifique (APEC), 2016), la réglementation destinée à les protéger peut aussi avoir pour effet de priver de certaines opportunités d’emploi des femmes capables, d’un point de vue physique, d’effectuer les tâches requises par ceux-ci. La réglementation destinée à protéger les femmes des tâches dangereuses ou du travail de nuit doit être spécifique et, dans la mesure du possible, les critères édictés ne doivent pas prendre en compte le sexe des travailleurs.
La Politique nationale sur l’égalité des chances, l’équité et le genre a servi de feuille de route pour plusieurs réformes législatives récentes. Sa mise en œuvre suppose néanmoins de surmonter de multiples contraintes institutionnelles. Adoptée vers la fin de la crise sociopolitique, elle fait la part belle au rôle assigné aux femmes dans la reconstruction et le retour à la paix. Elle identifie des problèmes politiques, institutionnels et sociaux qui font obstacle à une véritable égalité pour les femmes, tels que la capacité insuffisante, à tous les niveaux de l’appareil d’État, à analyser et à prendre en considération les différences hommes-femmes lors de la conception et de la mise en œuvre de programme ; l’absence de processus budgétaires intégrant de la dimension du genre, ou le fait que celle-ci n’entre pas en ligne de compte dans l’approche des processus décisionnels, de la pauvreté, des services médicaux et de soins, l’éducation et l’analphabétisme privilégiée par les pouvoirs publics. La Politique nationale sur l’égalité des chances, l’équité et le genre a constitué un outil d’orientation important en matière de sensibilisation à la condition de la femme dans le discours public, et a débouché sur l’adoption d’un certain nombre de réformes législatives. Il n’en demeure pas moins que bien des limitations institutionnelles et administratives identifiées dans la politique lors de son élaboration en 2009 existent toujours aujourd’hui.
La Politique nationale sur l’égalité des chances, l’équité et le genre esquisse les grandes lignes de diverses réformes administratives qui n’ont pas encore vu le jour et qui faciliteraient la mise en œuvre de politiques et de programmes tenant mieux compte des différences hommes-femmes. Au nombre des principaux domaines dans lesquels un travail considérable reste à accomplir, il convient de mentionner la nécessité, évoquée dans la politique nationale, de statistiques par sexe plus détaillées, des procédures budgétaires prenant en compte la place des femmes et une meilleure coordination entre les ministères techniques. En 2009, seules des statistiques détaillées par sexe très limitées étaient disponibles. Ainsi qu’en a conclu l’équipe GIS, le problème perdure à ce jour, ce qu’ont confirmé plusieurs commentateurs. L’Enquête démographique et de santé comporte des statistiques par sexe, de même que l’Enquête sur le niveau de vie des ménages (ENV 2015), une revue du système éducatif réalisé par le ministère de l’éducation nationale et de l’enseignement technique (MENET 2015) et les annuaires statistiques 2015-2016 de l’enseignement (MEN 2016a et 2016b), mais malheureusement, la majorité des enquêtes et études susceptibles de faire la lumière sur la participation économique des femmes ne comportent pas de données désagrégées par sexe. Les recommandations contenues dans la politique nationale sur l’égalité des chances, l’équité et le genre concernant la réalisation d’études détaillées par sexe consacrées à l’économie informelle et à l’utilisation du temps par les femmes et les hommes demeurent pertinentes (et lettre morte) à ce jour. En outre, ainsi que l’ont indiqué diverses parties prenantes à l’équipe GIS, il existe fort peu d’informations détaillées par sexe sur le secteur des microentreprises et des PME, qui est celui dans lequel travaille le plus grand nombre de femmes.
Avec le soutien du FMI, l’État a identifié un certain nombre d’insuffisances du système national de statistiques, au nombre desquelles le manque de cohérence de la collecte de statistiques d’une agence publique à une autre, le caractère limité des ressources humaines disponibles, ainsi qu’une diffusion et une publication inadéquates des résultats des enquêtes et études statistiques (ministère du plan et du développement, 2015a). La rareté et l’insuffisance des données statistiques détaillées par sexe, ainsi qu’en fonction d’autres variables socioéconomiques et régionales fait notamment obstacle à une planification plus efficace du développement économique.
Alors que le programme de développement ivoirien passe d’une phase de gouvernance dans un contexte de sortie de conflit à une autre centrée sur la transformation économique et la croissance, il est clair que la Côte d’Ivoire ne saurait atteindre ses objectifs en termes de développement sans intensifier son effort pour permettre une meilleure participation des femmes à l’économie. L’efficacité des mesures de sensibilisation à la dimension du genre et de la coordination des dispositifs destinés à mieux intégrer les femmes diffère considérablement d’un ministère de tutelle à un autre.
Comme bien d’autres pays, la Côte d’Ivoire s’est dotée de pôles institutionnels, au sein de l’appareil d’État, pour que la question de la place des femmes ne soit plus considérée comme un aspect superfétatoire, mais intégrée aux politiques publiques et aux programmes sectoriels, ainsi que pour coordonner les efforts des divers ministères en la matière, et créer des synergies entre eux. Les auteurs de la politique nationale de 2009 sur l’égalité des chances, l’équité et le genre soulignait que ces pôles n’avaient pas encore été mis en place au sein des ministères de tutelle, et que lorsqu’ils l’avaient été, les ressources dont ils disposaient étaient insuffisantes pour leur permettre d’exercer une réelle influence sur les politiques publiques et les programmes sectoriels. La situation n’a guère évolué à ce jour. Certains ministères de tutelle ne disposent toujours pas d’un point focal genre et, lorsqu’il en existe un, il arrive que les autres services ignorent son existence, ce que l’équipe GIS a pu constater en une ou deux occasions.
Le ministère de la promotion de la femme, de la famille et de la protection de l’enfant procède à des consultations régulières avec le ministère du plan et du développement, le ministère de l’éducation nationale et celui de l'entrepreneuriat national, de l'artisanat et de la promotion des PME. Avec le soutien d’ONU-Femmes et de l’OIT, des audits pilotes consacrés à la place des femmes sont conduits par quatre ministères (le MPFFPE, le ministère de l’éducation nationale, celui de la jeunesse et celui du commerce) pour identifier des manières de mettre en œuvre le programme de développement national ivoirien en faisant une place plus importante à l’égalité hommes-femmes. Dans un cas au moins, celui du ministère de l’éducation nationale, un plan d’action a également été élaboré pour convertir les conclusions de l’audit en initiatives concrètes. Les audits participatifs sont destinés à examiner les performances d’un ministère à divers niveaux (politiques publiques, opérations, formation et innovation, et opinions des partenaires extérieurs et des bénéficiaires) par rapport à un éventail d’indicateurs d’égalité des sexes (Graphique 4).
Graphique 4: Niveaux d’analyse et des indicateurs d’audit de l’égalité hommes-femmes en Côte d’Ivoire
Dimensions d’analyse | Indicateurs |
Engagements en matière d’égalité des sexes dans les politiques publiques |
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Opérations (compétences, systèmes, procédures) engagées pour parvenir à l’égalité des sexes |
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Formation et innovation en matière d’intégration de l’égalité des sexes |
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Opinions des partenaires et bénéficiaires |
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Source : ministère de l’éducation nationale et de l’enseignement technique, « Audit genre sous-secteur éducation nationale », Abidjan, janvier 2017.
En dehors d’une coordination limitée, la répartition des missions et la division du travail entre le ministère de l’éducation nationale et de l’enseignement technique et l’Observatoire national de l'équité et du genre (ONEG) sont floues. Le mandat confié à l’ONEG, créé en 2015 sous l’égide des services du premier ministre, est d’œuvrer à la promotion et à l’intégration du genre dans les politiques publiques et les programmes de l’État, ainsi que d’évaluer les efforts des autorités pour réduire les inégalités entre les hommes et les femmes. L’observatoire avait été réclamé par les organisations de la société civile, qui citaient l’exemple d’autres pays francophones. Le problème tient au fait que le mandat du MPFFPE également inclut la coordination des ministères de tutelle et l’évaluation des avancées du pays en direction d’une plus grande égalité entre les sexes. Aussi bien le MPFFPE que l’observatoire ne disposent que de ressources financières très limitées. L’enveloppe allouée au ministère de la promotion de la femme, de la famille et de la protection de l’enfant représente seulement 1 % du budget de l’État. Quant à l’observatoire, il semble que son budget de mise en œuvre soit quasiment nul et qu’il ne dispose que d’une poignée de collaborateurs à temps plein.
Alors que le ministère de la promotion de la femme, de la famille et de la protection de l’enfant a engagé une action, quoique limitée, de sensibilisation aux procédures budgétaires prenant en compte la dimension du genre, la Côte d’Ivoire n’a pas encore conduit cet exercice. La budgétisation intégrant la question de l’égalité des sexes suppose un examen de la manière dont l’allocation de diverses ressources financières bénéficie aux hommes et aux femmes, ainsi que des modalités de réorganisation budgétaire dans le but de promouvoir l’égalité de genre et de générer un effet positif sur la croissance (Stotsky et al., 2016). La prise en compte de la dimension du genre dans les procédures budgétaires s’est traduite par un certain nombre de succès au Rwanda et en Ouganda. Dans ces deux pays, le ministère des finances a été à l’avant-garde. Il disposait en outre du pouvoir de donner aux ministères et aux agences publiques en charge de questions sociales ou de la condition féminine d’analyser leur budget du point de vue de l’égalité hommes-femmes et de remédier aux déséquilibres contraires à leurs politiques (Stotsky et al., 2016). Le ministère du plan et du développement procède actuellement à une analyse du budget national ivoirien sous l’angle de la réduction de la pauvreté ; il n’est pas exclu qu’il soit également intéressé par une analyse du point de vue de l’égalité des sexes.
Tableau 8: Relations entre les citoyens et l’État
Source: Afrobarometer 2014 |
En matière d’accès des femmes aux administrations publiques, formation continue, soutien et militantisme de la société civile seraient utiles. La plupart des gens ne sont pas amenés à entrer régulièrement en contact avec les administrations locales pour obtenir des services ou le bénéfice d’une protection (Tableau 8). De multiples facteurs peuvent expliquer cette situation, au nombre desquels la possibilité que certaines personnes ne demandent pas à bénéficier de ces services. Le fait que les femmes soient moins susceptibles que les hommes de contacter une entité publique pour bénéficier de prestations est révélateur. Les personnes intéressées avec lesquelles a pu s’entretenir l’équipe GIS ont insisté sur le fait que la proportion d’illettrés était plus importante chez les femmes, et que celles-ci étaient donc moins capables de compléter des formulaires ou craignaient peut-être de ne pas bien comprendre les agents de l’administration. Mais l’obtention de renseignements ou de services auprès des agences publiques locales est fréquemment indispensable à la conduite d’activités économiques, de même que la délivrance d’extraits de naissance et les contacts avec les autorités scolaires sont souvent inéluctables pour la scolarisation des enfants. Une action militante et en soutien de la société civile en faveur de l’alphabétisation des adultes, ainsi que l’amélioration de l’accès aux services publics, sont indispensables pour améliorer la place des femmes dans le monde économique.
Tableau 9: Les femmes dans les professions judiciaires, 2016
Source : MPFFPE 2016, 42 |
L’égalité hommes-femmes dans la fonction publique, et notamment dans la police et la justice, constitue un objectif important. La probabilité que les femmes se sentent à l’aise à l’idée de s’adresser aux enseignants, aux gendarmes, aux fonctionnaires de police ou de la police de l'air et des frontières, aux magistrats et aux fonctionnaires en général, sera plus grande si les femmes sont équitablement représentées dans ces corps. En 1989, le gouvernement ivoirien a autorisé l’entrée des femmes dans la police nationale : elles ne représentent à ce jour que 8 % de l’effectif. La première femme à accéder aux fonctions de général de l’armée de terre a été nommée à ce poste en 2012. Les femmes sont admises au sein de l’École militaire préparatoire technique depuis 2013 (BAfD, 2015). Les femmes constituent moins d’un quart des personnels judiciaires ; elles ne sont représentées de manière équitable qu’au sein du notariat (Tableau 9).
La société civile ivoirienne est active et en expansion. Un soutien financier durable sera crucial pour permettre au secteur d’intensifier et d’étendre les activités de soutien à la participation des femmes à l’économie. Le PND 2016-2020 décrit la société civile ivoirienne comme un partenaire essentiel du dialogue politique national (ministère du plan et du développement, 2015a, 36). Dans le domaine de l’égalité de genre, une douzaine d’organisations nationales militent, font du lobbying, promeuvent l’éducation civique, dispensent des formations et/ou mettent à disposition une aide judiciaire centrée sur la défense et la promotion des droits des femmes. Il existe, dans le pays, de nombreuses organisations locales œuvrant dans ce domaine. L’équipe GIS a rencontré des représentants de 30 groupes locaux, coopératives de producteurs et de commercialisation, organisations de jeunesse et initiatives éducatives au sein desquels les femmes jouent un rôle actif ou exercent des fonctions à responsabilité (ce qui laisse penser que les données d’Afrobarometer présentées dans le Tableau 4 pourraient être en train d’évoluer).
Des organisations de la société civile telles que le Groupe des organisations féminines pour l’égalité hommes et femmes (GOFEHF) et Leadafriques ont joué un rôle important dans la décision de faire figurer dans la nouvelle constitution la notion d’égalité de droits pour les femmes. De même, l’Association des femmes juristes de Côte d’Ivoire (AFJCI) a travaillé en étroite collaboration avec les pouvoirs publics à la réforme de la loi sur le mariage, évoquée précédemment pour donner aux époux des responsabilités et des droits égaux dans la gestion de la famille. Des organisations de la société civile s’investissent dans une multiplicité de questions touchant à la condition de la femme, et notamment dans la lutte contre les violences sexistes, l’élargissement de l’accès des femmes aux marchés et les efforts pour permettre aux filles d’achever leur scolarité. Plusieurs groupes luttent contre les violences sexistes par la sensibilisation et la formation. Le réseau de consultations juridiques de l’AFJCI apporte une aide judiciaire gratuite aux femmes victimes de violences. L’Association nationale des organisations paysannes de Côte d’Ivoire (ANOPACI) s’attache à améliorer les liaisons avec les infrastructures de marché pour les femmes commerçantes sur les marchés ruraux ; la Coopérative des commerçantes de vivriers de Cocody a amélioré l’environnement physique de l’espace de marché pour les commerçantes du quartier de Cocody à Abidjan ; le Bureau de vente des producteurs de Bouaké fournit des services destinés à améliorer l’information sur le marché et à faciliter l’acheminement des produits frais jusqu’aux marchés, ce qui présente un intérêt particulier pour les femmes exploitantes et a conduit à une représentation des femmes plus importante que celle des hommes au sein de l’organisation. Dans le monde de l’éducation, les organisations de la société civile comme l’École pour tous de Bouaké et le Club des mères des élèves-filles travaillent avec les populations locales, les familles et les mères de filles pour que les filles continuent leurs études.
Comme partout, les organisations de la société civile ivoiriennes dépendent du financement de donateurs et il leur est difficile de poursuivre sur la durée des efforts de sensibilisation, de formation, d’aide judiciaire ou de promotion et de défense des droits au gré de cycles de projets à court terme. Le PND indique que les partis politiques et l’administration interfèrent avec les activités des organisations de la société civile, ce qui nuit aux opérations de celles-ci (Ministère du plan et du développement 2015a, 36). En outre, du fait de la récente guerre crise socio politique qu’a connu le pays, nombre de ces organisations ont concentré leurs efforts sur les activités de sortie de conflit et de rétablissement de la paix ; leur action dans le domaine du développement économique est plus récente et reste à élargir.
Un système universel, permanent, exact et à jour d’état civil et de statistiques démographiques dans lequel sont consignés les événements essentiels de l’existence (naissance en vie, décès du fœtus, mariage, divorce et décès) est essentiel au développement humain et économique. En 2000, 40 % des enfants nés dans le monde en développement n’étaient pas enregistrés à la naissance, l’Asie du sud (63 %) affichant le pourcentage le plus élevé de naissances non enregistrées, suivie de l’Afrique subsaharienne (55 %) (Gelb et Clark, 2013, 7).
Sur les 3,4 millions d’élèves scolarisés dans l’enseignement primaire ivoirien, un million ne possède pas d’extrait de naissance.
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Parce que son système d’état civil et de statistiques démographiques a été laissé à l’abandon durant la crise socio politique, la Côte d’Ivoire rencontre des difficultés pour enregistrer sa population. Des enfants sont souvent déscolarisés, car ils ne disposent pas des certificats de naissance nécessaires pour passer les examens de fin d’études élémentaires ou pour entrer dans l’enseignement secondaire et continuer leurs études. Un extrait d’état civil est en outre nécessaire pour obtenir la délivrance d’une carte nationale d’identité. Celle-ci est requise pour de multiples activités économiques et civiques, telles que l’ouverture d’un compte bancaire, l’enregistrement d’une entreprise, l’obtention d’un passeport, un emploi salarié dans le secteur formel, le mariage ou l’inscription sur les listes électorales. Les personnes qui ne sont pas inscrites à l’état civil ou ne possèdent pas d’extrait de naissance se voient donc privées dès leur plus jeune âge de chances éducatives, financières et civiques. Un système d’état civil qui fonctionnerait mieux contribuerait à un meilleur fonctionnement de l’administration publique en permettant une meilleure planification des systèmes de santé publique, sociaux et éducatifs, et en renforçant le système électoral. Le système d’état civil et de statistiques démographiques apporte également de précieuses informations permettant d’analyser les inégalités de genre, sociales et régionales.
Un quart des mineurs de moins de 18 ans sur le territoire ivoirien ne sont pas inscrits à l’état civil et un sur trois ne possède pas d’extrait de naissance. Ainsi qu’il ressort du tableau 10, il existe d’importantes différences en termes d’inscription à l’état civil en fonction de l’âge, du statut socioéconomique et de la région. Si, dans l’ensemble du pays, un quart de tous les enfants ne sont pas inscrits à l’état civil, cette part atteint un tiers dans le centre et le nord du pays, et près de la moitié dans le sud-ouest. Moins de la moitié des enfants âgés de 0 à 4 ans possèdent un extrait de naissance. En outre, la probabilité qu’un enfant vivant en zone rurale dispose d’un extrait de naissance est sensiblement inférieure (48 %) à ce qu’elle est pour un enfant vivant en zone urbaine (84 %). Quatre-vingt pour cent des enfants nés dans un milieu pauvre ou très pauvre n’ont pas d’extrait de naissance, alors que 90 % des enfants des familles les plus aisées en possèdent un. Le pourcentage d’enfants sans extrait de naissance est le plus élevé dans le nord et l’ouest du pays. Les données ne sont pas détaillées par sexe ; il est donc impossible de déterminer si le sexe de l’enfant constitue un facteur dans l’inscription à l’état civil et la délivrance d’extraits de naissance pour les enfants, et dans quelle mesure.
Tableau 10: Pourcentage de naissances déclarées à l’État Civil, 2011-2012
Inscrits à l’état civil | Inscrits et possèdent un extrait de naissance | Inscrits, mais sans extrait de naissance | |
0-4 ans | 65% | 45% | 19% |
5-9 ans | 76% | 62% | 14% |
10-14 ans | 85% | 76% | 9% |
15-17 ans | 87% | 82% | 5% |
Urbain | 90% | 84% | 6% |
Rural | 66% | 48% | 18% |
Plus démunis | 57% | 36% | 21% |
Pauvres | 72% | 55% | 17% |
Intermédiaires | 75% | 60% | 15% |
Aisés | 85% | 77% | 8% |
Plus aisés | 94% | 90% | 4% |
Centre | 67% | 56% | 11% |
Centre-est | 78% | 71% | 7% |
Centre–nord | 85% | 70% | 15% |
Centre–ouest | 74% | 60% | 14% |
Nord | 67% | 47% | 20% |
Nord-est | 84% | 64% | 20% |
Nord-ouest | 69% | 47% | 22% |
Ouest | 66% | 43% | 23% |
Sud | 84% | 76% | 8% |
Sud-ouest | 54% | 43% | 11% |
Abidjan | 93% | 88% | 5% |
Total | 76% | 63% | 13% |
Source: DHS 2011-2012; voir carte des régions en Annexe D.
Les parties prenantes confirment l’existence d’obstacles importants à l’inscription et au maintien des mineurs dans l’enseignement secondaire créés par les difficultés rencontrées pour obtenir des extraits de naissance. À Bouaké, un représentant de la direction régionale de l’éducation nationale a expliqué que les autorités s’efforçaient d’appliquer, chaque année, une dérogation à l’obligation de production d’un extrait de naissance pour l’examen du certificat d'étude primaire élémentaire (CEPE), à l’issue de l’enseignement primaire (Tableau 11). Elles ne peuvent cependant pas faire la même chose pour l’examen du brevet d'études du premier cycle (BEPC) ou du baccalauréat, en fin de lycée. Le système de dérogation constitue toutefois une solution ponctuelle, temporaire et décentralisée, susceptible de fluctuer d’une année sur l’autre.
Tableau 11: Schéma descriptive du système éducatif
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Les enfants nés à l’hôpital sont inscrits à l’état civil à la naissance, mais les naissances hors des établissements de soins étant courantes, les parents peuvent déclarer leur enfant à la sous-préfecture ou en mairie dans un délai de 90 jours de la naissance de l’enfant (code civil, loi n° 99-691 du 14 décembre 1999). Pour obtenir un extrait de naissance délivré par la sous-préfecture ou la mairie, il est nécessaire qu’un parent de l’enfant, un membre de la famille ou un praticien accoucheur présente un document établi par le praticien accoucheur et acquitte une somme de 500 CFA. Si le processus de déclaration dans les 90 jours est relativement simple, l’extrait de naissance n’est pas délivré lors de la déclaration. L’enquête réalisée en 2014 par Afrobarometer a montré que 41 % des personnes qui avaient essayé d’obtenir de l’administration un extrait de naissance lors de l’année écoulée avaient dû payer un dessous-de-table pour qu’il leur soit délivré. Il arrive que des parents soient obligés de faire appel à un intermédiaire travaillant avec l’administration locale pour que leur soit remis un extrait de naissance. Visites répétées à la mairie et paiements informels supplémentaires allongent les délais et alourdissent le coût, ce qui explique pourquoi l’écart est si important entre le nombre d’enfants inscrits à l’état civil et ceux qui disposent d’un extrait de naissance (Tableau 10). Des experts précisent qu’une période de 90 jours n’est pas suffisante pour que des parents déclarent leur enfant.
Après le délai de 90 jours, l’obtention d’un extrait de naissance pour les enfants qui n’ont pas été déclarés implique une procédure administrative et judiciaire complexe et onéreuse (jugement supplétif d'acte de naissance). Une enquête nationale a montré que près des deux tiers des ménages pauvres (et un tiers des autres) vivaient loin du siège d’une juridiction (ENV 2015). La demande écrite à soumettre au tribunal nécessite notamment une copie de la carte nationale d’identité de chacun des parents. Or nombre d’adultes n’en disposent pas. Un certificat médical du praticien accoucheur, ou (à défaut) d’un médecin, est également requis pour déterminer l’âge de l’enfant. Un expert a estimé que le coût d’une décision de justice en vue de la délivrance d’un extrait de naissance pouvait se situer dans une fourchette de 15 000 CFAF à 30 000 CFAF (25 USD-50 USD), ce qui inclut des frais de dépôt de demande de 5 000 CFA (8 USD), auxquels il convient d’ajouter le coût du transport et des examens médicaux.
Le défaut de pièces d’identité, la distance, le coût, le manque d’information et l’analphabétisme sont autant de facteurs contributifs qui expliquent pourquoi les parents, et notamment les parents pauvres vivant en milieu rural, ne déclarent pas leurs enfants à la naissance. Bien que l’inscription à l’état civil soit décentralisée, la proximité et le découpage administratif correspondant aux sous-préfectures sont inadéquats pour le nombre d’habitants. Une enquête nationale a montré que 28 % des ménages résidaient dans des zones échappant au maillage des sous-préfectures (ENV 2015). En outre, 22 % de ceux qui habitent dans la circonscription administrative d’une sous-préfecture indiquent qu’il leur faut plus d’une heure de trajet pour s’y rendre (ENV 2015). Le coût du transport, les 500 CFA de frais d’inscription et les frais non officiels perçus à la sous-préfecture (Gogoua, 2013) font ainsi obstacle à l’obtention d’extraits de naissance. En particulier dans les zones les plus rurales, des organisations de la société civile ont constaté que les parents ne comprenaient pas l’importance de l’obtention d’un extrait de naissance pour leurs enfants et qu’ils ne savaient pas comment déclarer un enfant. Les parents ou personnes ayant la charge d’un enfant qui sont illettrés ont notamment besoin d’une assistance supplémentaire pour déclarer leur enfant (Gogoua 2013).
En plus des défis décrits ci-dessus, il est bon de rappeler que la crise sociopolitique a paralysé les administrations publiques, et les agences des autorités locales en charge de la gestion des inscriptions à l’état civil, notamment dans les régions nord, ouest et centrale du pays, n’ont pas fonctionné entre 2002 et 2009 (MPD 2012). En outre, les registres de l’état civil ont été endommagés durant la crise ; par exemple, les Nations Unies estiment qu’à Bouaké, 43 % des documents ont été détruits (UNICEF/HCR/FNUAP, 2012). La Côte d’Ivoire demeure confrontée au défi gigantesque que constitue la reconstruction du processus d’inscription à l’état civil et l’enregistrement des événements devant être inscrits à l’état civil survenus durant la crise sociopolitique.
Le gouvernement a lancé, en 2008, un projet de modernisation de l’état civil de la Côte d’Ivoire dont la portée paraît limitée. Les autorités ont, en outre, promulgué, en 2011, une ordonnance prorogée en 2013, mettant en place une dérogation à l’obligation de déclaration en sous-préfecture ou en mairie dans un délai de 90 jours de la naissance d’un enfant (ordonnance n° 2011-258 du 28 septembre 2011 ; loi n° 2013-35 du 25 janvier 2013). En 2012, le gouvernement a lancé, en partenariat avec les Nations Unies, des campagnes d’information et d’inscription dans les zones les plus gravement touchées par le conflit. Le régime dérogatoire a pris fin le 31 juillet 2014. Depuis lors, les enfants doivent être déclarés dans un délai de 90 jours ; au-delà, l’inscription d’un enfant à l’état civil requiert un jugement.
Le PND 2016-2020 reconnaît que le système d’état civil et de statistiques démographiques ivoirien souffre d’insuffisances administratives. Le pays s’efforce de le moderniser conformément aux recommandations du programme d’Amélioration accélérée de l'enregistrement des faits d'état civil et de l'établissement de ses statistiques de l'état civil en Afrique (Africa Program on Accelerated Improvement of Civil Registration and Vital, APAI-CRVS), et diverses initiatives sont actuellement en cours. L’UNICEF dispose d’un programme de renforcement de l’inscription des enfants à l’état civil. Le gouvernement a rendu public ses plans pour faciliter la déclaration par les personnes en charge de l’enfant et le déploiement d’un système régional d’inscription mobile (Régionale.info 2016). Il est cependant clair que le système d’état civil et de statistiques démographiques ivoirien empêche des enfants d’achever leurs études et des adultes d’exploiter pleinement les opportunités économiques s’offrant à eux. Le cadre régional et l’expérience d’autres pays du continent constitueront des outils importants pour faire face à ces défis urgents, mais un large soutien politique aux réformes et des ressources financières suffisantes sont indispensables.
Encadré 5: Comment le Burkina Faso utilise la technologie pour identifier les « enfants fantômes » Au Burkina Faso, un cinquième des enfants de moins de cinq ans sont considérés comme des « enfants fantômes ». Sans extrait de naissance ni inscription à l’état civil, ces enfants n’existent pas. Ils ne peuvent donc pas être inscrits à l’école, passer des examens, ni bénéficier d’une protection sociale ou juridique. Sans identité, ils sont sans droits. Il est des enfants dont telle est la condition partout dans le monde. Aujourd’hui, des applications technologies sont développées pour offrir des réponses efficaces à bas coût. Un spécialiste burkinabé a, par exemple, inventé ICivil, application susceptible d’être utilisée par les sages-femmes des régions rurales disposant d’un smartphone pour déclarer chaque naissance à laquelle elles assistent. La sage-femme remet alors à chaque nouveau-né un bracelet en plastique (voir photo à gauche), qui comporte un code à barres, un numéro d’identification et une « étiquette bulle », c’est-à-dire, une constellation tridimensionnelle de bulles polymériques servant de carte d’identité unique. La sage-femme numérise le code à barres du bracelet et l’envoie par le réseau portable, au moyen d’un SMS crypté, à un serveur central d’inscription à l’état civil. Les parents n’ont plus à se rendre en ville et aucune personne n’ayant pas été déclarée n’a à revenir sur son lieu de naissance pour faire établir un extrait de naissance. Avec ce code, tout le monde peut accéder à ses informations d’identité par le biais du bureau de l’état civil et s’inscrire à l’école. La technologie ICivil n’a pas encore été adoptée par le Burkina Faso. Source : Le Cam (2017) |
Les économies du continent africain rencontrent des difficultés pour conserver des systèmes d’état civil et de statistiques démographiques complets et à jour. C’est pour contribuer à apporter une réponse à ce besoin que la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique, la Commission de l'Union africaine, la BAfD, les Nations Unies et d’autres organisations internationales ont développé un cadre de politique publique en matière de systèmes d’état civil et de statistiques démographiques appelé programme d’Amélioration accélérée de l'enregistrement des faits d'état civil et de l'établissement de ses statistiques de l'état civil en Afrique (Africa Program on Accelerated Improvement of Civil Registration and Vital, APAI-CRVS). L’APAI-CRVS a élaboré des lignes directrices et réalisé des études régionales ; il organise également des rencontres semestrielles. La plus récente a eu lieu sous l’égide de la Commission de l'Union africaine. Elle était consacrée aux systèmes d’état civil et de statistiques démographiques et s’est déroulée à Yamoussoukro. Parallèlement, diverses solutions technologiques telles que celle décrite dans la case de droite sont élaborées sur le continent et ailleurs dans le monde.
Qui y a intérêt ?Tous les citoyens ont intérêt à une égale protection de la loi. Pour qu’une économie se développe, il est également important que tous aient une chance égale d’effectuer des études et d’exercer des activités économiques, et que le cadre légal et réglementaire permette ces efforts, et qu’il ne bride les ambitions d’aucun groupe. Si les droits des femmes en Côte d’Ivoire sont bien énoncés dans la Constitution de 2016, la loi et les politiques publiques, il s’agit dans certains cas plus d’aspirations que d’obligations juridiques réelles par lesquelles chacun est lié.
Résumé des défis existants. Le défi principal consiste à surmonter les vestiges d’un rejet de la loi qui restent le fléau de bien des dimensions de la société ivoirienne. Il arrive que les « traditions » soient synonymes de maltraitance des femmes, et pourtant elles sont considérées comme allant de soi, aussi bien par les auteurs de ces mauvais traitements que par leurs victimes. Pour que l’économie de la Côte d’Ivoire entre en phase d’émergence, se transforme et réduise de manière significative la pauvreté pour tous dans le pays, des mesures doivent être prises pour identifier, analyser, mesurer et inverser les effets de l’impunité et de l’acceptation culturelle.
Initiatives ciblées. Les recommandations suivantes sont destinées à favoriser la promotion d’une réelle inclusion du genre :
Tableau 12: Recommandations en matière de renforcement des protections légales et institutionnelles
Pour… | Il est recommandé de… | Pourrait être envisagé par… |
En travaillant au niveau des politiques publiques | ||
Mettre en place une protection légale plus forte contre le harcèlement sexuel dans les établissements d’enseignement | Réformer le droit de l’éducation pour interdire le harcèlement sexuel par toutes les personnes faisant partie du système éducatif, aussi bien entre enseignants/personnels administratifs et élèves, qu’au sein de chacun de ces groupes. |
Gouvernement Ivoirien Partenaires internationaux pour les développement |
En développant le potentiel institutionnel | ||
Améliorer la compréhension qu’ont les pouvoirs publics des questions liées aux différences hommes-femmes | Incorporer des objectifs détaillés par sexe dans le plan national de développement, soit dans le cadre d’un examen à mi-parcours du plan 2016-2020, soit en vue de la préparation du plan suivant. |
Gouvernement Ivoirien |
Poser les fondations analytiques d’une analyse plus profonde et plus large du genre | Renforcer la collecte et l’analyse de données détaillées par sexe par les agences publiques ; accroître la sensibilisation et développer le potentiel au sein de l’INS, ainsi que des unités de planification, de monitoring et d’évaluation des ministères de tutelle. |
Gouvernement Ivoirien Partenaires internationaux pour les développement |
Renforcer la capacité de l’état ivoirien à identifier, analyser et mettre en place des mesures destinées à prendre en compte les questions liées au genre |
Réexaminer et renforcer les rôles des points focaux genre au sein des ministères de tutelle, en dressant l’inventaire de leurs ressources, de leurs missions et de leurs capacités concrètes à exercer une influence sur les décisions des ministères ; préciser les missions du MPFFPE et de l’observatoire national du genre. Élaborer un plan destiné à renforcer le rôle des pôles et de la coordination interministérielle ; et améliorer les rapports destinés au public et aux échelons supérieurs de la hiérarchie. Organiser un atelier plus large consacré aux « enseignements tirés avec les quatre ministères ayant réalisé des audits pilotes du genre pour identifier les étapes suivantes et des donateurs susceptibles d’y apporter leur soutien. |
Gouvernement Ivoirien ONU-Femmes ou d’autres partenaires internationaux pour le développement |
En améliorant l’inscription à l’état civil pour éliminer les obstacles à la scolarisation | ||
Réduire l’obstacle à la scolarisation et à la réussite des parcours scolaires que représente le système d’état civil et de statistiques démographiques |
Collaborer avec le gouvernement, les Nations Unies, l’Union africaine et des organisations de la société civile pour faciliter l’accès au système d’état civil et de statistiques démographiques. Étudier des exemples internationaux dans lesquels l’emploi des technologies de l’information a permis de faciliter l’inscription à l’état civil. |
Gouvernement Ivoirien Partenaires internationaux pour les développement |
Remarque : les lignes ombrées correspondent aux priorités recommandées par l’équipe GIS.
Certaines des variables nécessaires à une analyse approfondie d’un marché du travail sont disponibles pour la Côte d’Ivoire. Toutes ne le sont cependant pas, ce qui limite les possibilités d’une telle analyse pour le pays. Idéalement, une bonne appréhension des déterminants du taux d’activité des femmes requiert la prise en compte de l’offre et de la demande de travail, ainsi que des institutions qui facilitent la circulation de l’information d’offre et de demande pour leur permettre d’accéder au marché de l’emploi. Les services d’orientation professionnelle et de placement mettent en rapport offre et demande d’emploi, et peuvent aider les jeunes, les diplômés, ainsi que les hommes et les femmes, à suivre le chemin de leur choix sur le marché du travail. Au nombre des autres initiatives de développement de la main d’œuvre peuvent figurer une collaboration facilitée entre les organisations d’employeurs et les fournisseurs de services éducatifs et de formation, afin de veiller à ce que des candidats à l’emploi dotés de connaissances et de compétences adéquates soient disponibles sur le marché local du travail. Des données détaillées par sexe, telles que les taux d’activité[30], la répartition de l’emploi par secteur ou branche de l’économie, les rémunérations (salaires et primes)[31] payées pour les diplômes de l’enseignement supérieur et compétences, les taux de chômage[32], les chiffres de la scolarisation, de l’abandon scolaire et de l’acquisition de compétences (par exemple, les taux d’alphabétisation), dans chaque cas, détaillés par sexe (dans la mesure du possible), constituent d’ordinaire l’ossature de l’analyse du marché du travail.
La structure de l’offre et de la demande sur le marché du travail affecte les rémunérations, ce qui a une incidence sur les incitations dont les hommes et les femmes ont connaissance lorsqu’ils décident comment répartir leur temps à un moment donné et à l’avenir. Lorsque les rémunérations totales augmentent sous l’effet d’une hausse de la demande de main d’œuvre ou quand la prime que sont prêts à payer les employeurs pour les compétences qu’ils recherchent s’accroît en raison de l’augmentation de la demande de travailleurs qualifiés, les jeunes et les membres les plus jeunes de la main d’œuvre sont encouragés à investir dans leur éducation et dans la formation aux compétences pour profiter de ces augmentations de rémunération. Cette prise de décision suppose que l’information sur la structure des rémunérations et les tendances à cet égard soit bien connue.
La discrimination en matière d’emploi et de salaires peut affecter les incitations relatives pour les hommes et les femmes sur le même marché du travail. Certains emplois peuvent être considérés comme inadaptés aux femmes ou, à l’inverse, leur être réservés. Les employeurs peuvent proposer des rémunérations inférieures ou des conditions d’emploi moins permanentes aux femmes parce qu’ils craignent qu’une grossesse puisse interférer avec leur capacité à travailler.
L’incitation pour les femmes à investir dans leur avenir est également modelée par la structure de la demande de main d’œuvre. Lorsque de nouveaux emplois sont dans des secteurs ordinairement considérés comme inaccessible aux femmes (par exemple, des secteurs de l’industrie lourde tels que la métallurgie, la chimie industrielle, etc.), elles seront moins enclines à se former. Si, à l’inverse, les nouveaux emplois sont dans des secteurs qui emploient plus volontiers des femmes, comme la transformation de produits agricoles, les industries manufacturières légères (vêtement, chaussure, bagages, jouets), ou encore lorsqu’il s’agit d’emplois de bureau, la probabilité que les femmes accomplissent les efforts nécessaires pour acquérir les compétences requises à cet effet est plus importante.
En raison de leurs responsabilités reproductives et domestiques (grossesse, éducation des enfants, soins aux personnes âgées, préparation des denrées alimentaires et repas, collecte de ressources énergétiques et d’eau), les femmes tendent à être moins disponibles pour travailler à l’extérieur[33]. L’accès à la technologie (contraception), aux services domestiques modernes (gaz de cuisson, adduction d’eau), aux aliments préparés[34] et à des dispositifs de soutien (flexibilité des horaires de travail, systèmes de garde d’enfants et de personnes âgées) peut contribuer à alléger cette charge et les aider à travailler plus facilement à l’extérieur de leur domicile. Des données recueillies à l’occasion d’une enquête sur l’utilisation du temps réalisée en Guinée (2002-2003) soulignent les compromis faits par les femmes entre corvées domestiques et travail à l’extérieur : en Guinée, la durée du travail des femmes excède de 27 % celle des hommes, à l’échelon national, le temps qu’elles consacrent aux tâches domestiques excédant de loin celui qu’y passent les hommes, tandis que celui qu’elles affectent au marché de l’emploi est inférieur de 20 % à celui des hommes.
Graphique 5: Pyramide des âges de Côte d’Ivoire, 2014 Source : Recensement General de la Population et de l’Habitat 2014 |
La structure démographique d’une nation dicte son offre de main d’œuvre. Les populations dont la croissance démographique est importante sont souvent jeunes. Ces 25 dernières années, la taille de la population ivoirienne a quasiment doublé, puisqu’elle est passée de 12 millions en 1998 à près de 24 millions en 2014. Cette année-là, les femmes représentaient 48 % de la population totale. La pyramide des âges la plus récente (à droite) montre qu’une part importante de la population (près de 42 %) est âgée de moins de 15 ans (Graphique 5). La Côte d’Ivoire a engagé des efforts pour réduire sa natalité et la croissance de sa population. Alors qu’en 1990, les femmes ivoiriennes avaient en moyenne plus de six naissances au cours de la période durant laquelle elles étaient en âge de procréer, ce chiffre était descendu à 5 en 2015, d’où une croissance démographique qui, de 3,5 % par an en 1990, avait été ramenée à 2,4 % en 2015[35].
La cohorte de population jeune, qui demeure importante, pousse à une baisse des salaires en Côte d’Ivoire. La pyramide des âges à base large qui décrit une telle cohorte de population jeune est typique de nombreuses économies en développement à forte croissance démographique. Elles se caractérisent fréquemment par un pool abondant de travailleurs jeunes, peu qualifiés, mais également mal rémunérés. Cette ressource disponible peut être employée dans des secteurs à forte intensité de main d’œuvre, tels que ceux de la fabrication de vêtements ou de chaussures, lorsque d’autres conditions économiques sont réunies pour des investissements de ce type. En Asie, d’importantes populations de travailleurs jeunes, relativement peu qualifiés mais mobiles, se sont montrées prêtes à quitter les campagnes pour migrer vers les villes, ce qui a contribué à alimenter la croissance d’un secteur manufacturier en expansion et a permis une transformation structurelle. En Côte d’Ivoire, à l’inverse, alors que la croissance démographique moyenne pour l’ensemble du pays a été de 2,55 % par an entre 1998 et 2014, cinq districts ont connu des taux supérieurs à celui d’Abidjan : Savanes, 3,62 % ; Woroba, 3,43 % ; Montagnes, 3,15 % ; Goh Djiboua, 2,89 % ; Bas Sassandra, 2,85 % ; et Abidjan, 2,67 %. Ce qui conduit à penser qu’au cours de cette période, l’exode rural n’a guère été important en Côte d’Ivoire. Il pourrait néanmoins s’intensifier si la croissance devait devenir plus sensible à Abidjan qu’ailleurs, dans un environnement par ailleurs stable[36].
Les économies de pays dont la pyramide des âges repose sur une large base diffèrent de celles de nations dont l’expansion démographique a beaucoup ralenti, et dont les catégories d’âge se répartissent de manière plus égales (voir la pyramide des âges 2016 de l’Indonésie (Graphique 6, à gauche), dont la base de population jeune ne s’étend plus au bas du graphique), ainsi que de celles d’États industrialisés, dont la population peut être en déclin, et dont la démographie se caractérise par des catégories de population âgées boursouflées reposant sur une base considérablement plus étroite de jeunes travailleurs (voir la pyramide des âges 2016 du Japon (Graphique 6, à gauche), dont les classes d’âge abondantes des années de l’après-guerre et du miracle économique vieillissent).
Graphique 6: Pyramides des âges de l’Indonésie et du Japon, 2016
Source : U.S. Census Bureau, base de données internationale
Graphique 7: Composition de la main d’œuvre de Côte d’Ivoire
Décomposition de la main d’œuvre de 7,5 millions de personnes |
Les 7,5 millions d’habitants de la Côte d’Ivoire en âge de travailler (définis comme les personnes âgées de 14 ans et plus) qui sont employés (52 % de la population active totale) se répartissent comme suit :
Plus de 90 % des hommes et des femmes travaillent dans le secteur informel.
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Plus de 40 % des hommes sont salariés, contre seulement 24 % des femmes.
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Selon l’Organisation internationale du travail :
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Source: EDS 2015
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Les femmes sont bien plus impliquées que les hommes dans les activités commerciales, à un niveau équivalent à leur engagement dans les activités agricoles.
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Remarque : un employé est considéré comme travaillant dans le secteur informel lorsque son rapport d’emploi n’est pas, régi par les lois nationales en matière de droit du travail, d’impôt sur le revenu, de protection sociale ou qui régissent le droit à divers avantages sociaux (OIT 2003)
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En Côte d’Ivoire, les filles et les femmes participent au monde du travail pour survivre, gagner leur vie, aider leur famille et, dans le cas de celles qui ont ce privilège, pour s’exprimer, développer une activité, effectuer des recherches, fournir des services et réaliser leurs rêves de multiples autres manières.
Les informations les plus récentes sur la main d’œuvre et les ménages ivoiriens ont été publiées en 2015 (Enquête sur le niveau de vie des ménages en Côte d’Ivoire, ENV) : une population en âge de travailler totale (14 ans et plus), représentant 62,8 % de la population totale (23 millions). Une moitié seulement de celle-ci recherche activement un emploi. Le taux de chômage est de 3,4 % et 45 % de cette population est inactive (Graphique 7). Afin de permettre les comparaisons entre les pays, les taux d’activités sont extraits de la base de données des indicateurs clé du marché du travail (KILM) de l’OIT. Les taux d’activités présentés ici pour la Côte d’Ivoire sont supérieurs à ceux qui figurent dans l’ENV 2015.
Graphique 8: Taux d’activité, 15-64 ans
Source : Organisation internationale du Travail, indicateurs clé du marché du travail (KILM), consultés en novembre 2016
Encadré 6: Le prix du professionnalisme pour les femmes qui travaillent L’équipe GSI a rencontré des femmes exerçant des professions dans le domaine des sciences de la terre, ainsi que des étudiantes de 3ème cycle dans ce domaine. Elles ont décrit la discrimination dont étaient victimes les doctorantes en termes d’accès restreint au travail de terrain, d’absence des femmes des commissions scientifiques qui décident de l’allocation des financements en matière de recherche, ainsi que de réticence des employeurs, aussi bien dans le secteur public que privé, à recruter des femmes susceptibles de devenir enceintes et de sortir de la main d’œuvre (au moins provisoirement). « Mais nos laboratoires sont plus nets et mieux organisés, soulignent-elles, et nous sommes également plus flexibles et innovantes dans notre recherche ; nous n’avons pas le choix si vous voulons nous tailler un pré carré propre à nous valoir une réelle reconnaissance professionnelle ! » Plusieurs groupes de femmes exerçant des professions intellectuelles ou libérales ont également décrit les pressions exercées par leurs familles désireuses de les voir achever leurs études et commencer une activité professionnelle au plus vite. Une enseignante de lycée a déclaré qu’elle aurait aimé enseigner dans le supérieur mais que, du fait de contraintes financières et de pressions familiales, elle avait opté pour un cursus plus court qui l’avait conduite à accepter un emploi de professeure dans un lycée technique. Une doctorante en géosciences a raconté une histoire similaire : sa famille ne comprenait pas son souhait d’achever ses études ; elle aurait préféré qu’elle se marie, qu’elle ait des enfants et qu’elle exerce une activité professionnelle dès que possible. |
Les taux d’activité agrégés de Côte d’Ivoire, de même que ceux des hommes, se situent dans la limite des taux observés pour les pays de référence. Toutefois, l’écart entre le taux d’activité des hommes et celui des femmes est particulièrement élevé en Côte d’ivoire. Seul celui de l’Indonésie est plus élevé parmi les cinq pays de la comparaison ci-dessus (Graphique 8).
La participation des femmes âgées de 15 à 64 ans est moins élevée en Côte d’Ivoire qu’elle ne l’est au Ghana et au Kenya. Au Ghana, les taux d’activité des hommes et des femmes sont relativement similaires, mais diffèrent foncièrement de ceux du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et de l’Indonésie[37]. Ces écarts entre les taux d’activité des deux sexes semblent faire écho aux tensions socioculturelles évoquées précédemment. Ces tensions sont ressenties dans de nombreux secteurs du marché du travail, sinon tous. L’encadré qui précède comporte un aperçu des pressions dont font l’objet des femmes ivoiriennes ayant fait des études supérieures.
L’analyse économétrique réalisée par Houffoue (2016) à partir de données recueillies à l’occasion d’une enquête sur l’emploi conduite en 2013[38] suggère que les principaux facteurs d’amélioration de la participation économique des femmes en Côte d’Ivoire sont le fait qu’elles résident en zone urbaine, qu’elles soient le chef de famille, qu’elles aient fait des études secondaires dans une filière technique et qu’elles ne soient pas mariées. Dans le cas des hommes, les études supérieures constituent un facteur plus important que des études techniques dans l’enseignement secondaire.
Si les taux d’activité suffisent à décrire en partie l’offre de main d’œuvre, ils diffèrent en termes de niveau de formalisme, ainsi qu’en fonction des secteurs économiques ou industriels. Des données provenant de l’enquête sur le niveau de vie des ménages en Côte d’Ivoire indiquaient que seulement 27,6 % des hommes et 5,6 % des femmes étaient salariés, les autres étant travailleurs indépendants ou au foyer (Mammen et Paxson, 2000). Depuis lors, la part du travail salarié a considérablement augmenté. Selon l’ENV 2015, 44 % des hommes et 25 % des femmes exercent une activité professionnelle (voir Graphique 7 et Graphique 9). Les travailleurs indépendants constituent toujours la catégorie la plus importante de travailleurs non-salariés. Soixante-treize pour cent des femmes qui travaillent, soit exercent une activité indépendante, soit sont au foyer. Ce pourcentage n’est que de 56 % pour les hommes. L’ENV 2015 comporte également une ventilation de l’emploi des hommes et des femmes entre secteurs formel et informel : 9 % et 92 % respectivement pour les hommes, et 7 % et 93 % respectivement pour les femmes. Ces chiffres montrent que le nombre des salariés excède celui des salariés du secteur formel.
Graphique 9: Répartition de l’emploi en Côte d’Ivoire par type d’activité, 2015
Source: ENV 2015, Tableau 6.3
En 2012, la main d’œuvre agricole et commerciale, représentait les deux tiers de l’emploi total (Tableau 13). La main d’œuvre était majoritairement composée d’hommes (5,4 millions contre 4,1 millions de femmes). La main d’œuvre était majoritairement féminine dans l’hôtellerie et la restauration, le commerce de détail et de gros, les services ménagers et la fabrication de vêtements. Dans l’industrie, les femmes représentaient près de 50 % et de 30 %, respectivement, de l’emploi total dans les secteurs de la fabrication de vêtements et de la transformation des produits agricoles. Les femmes sont notoirement sous-représentées dans la construction, les services de réparation, le transport et la communication, l’élevage et le négoce de bétail. Les hommes dominent les activités agricoles (61 % du total), industrielles (79 %) et de services (66 %), alors que les femmes sont mieux représentées dans le commerce (65 % du total).
Tableau 13: Répartition de l’emploi en Côte d’Ivoire par branche d'activité, 2012
Hommes | Femmes | Part des femmes | TOTAL | ||||
Agriculture | 2,586,158 | 47.8% | 1,751,601 | 42.9% | 40.4% | 4,337,759 | 45.7% |
Exploitation forestière, activités fourragères | 92,827 | 1.7% | 21,335 | 0.5% | 18.7% | 114,162 | 1.2% |
Élevage, chasse, pêche | 73,252 | 1.4% | 6,709 | 0.2% | 8.4% | 79,961 | 0.8% |
Industries agroalimentaires | 37,851 | 0.7% | 15,357 | 0.4% | 28.9% | 53,208 | 0.6% |
Fabrication de vêtements | 80,240 | 1.5% | 74,538 | 1.8% | 48.2% | 154,778 | 1.6% |
Autres activités industrielles | 241,982 | 4.5% | 39,418 | 1.0% | 14.0% | 281,400 | 3.0% |
Construction | 147,662 | 2.7% | 3,551 | 0.1% | 2.3% | 151,213 | 1.6% |
Commerce de détail | 663,000 | 12.3% | 1,290,090 | 31.6% | 66.1% | 1,953,090 | 20.6% |
Commerce de gros | 101,218 | 1.9% | 155,596 | 3.8% | 60.6% | 256,814 | 2.7% |
Services de réparation | 168,162 | 3.1% | 4,638 | 0.1% | 2.7% | 172,800 | 1.8% |
Hôtellerie et restauration | 63,767 | 1.2% | 136,816 | 3.3% | 68.2% | 200,583 | 2.1% |
Transports et communication | 327,486 | 6.1% | 24,235 | 0.6% | 6.9% | 351,721 | 3.7% |
Services ménagers | 284,534 | 5.3% | 393,259 | 9.6% | 58.0% | 677,793 | 7.1% |
Administration, services sociaux | 538,698 | 10.0% | 168,169 | 4.1% | 23.8% | 706,867 | 7.4% |
TOTAL | 5,406,838 | 100.0% | 4,085,312 | 100.0% | 43.0% | 9,492,150 | 100.0% |
Source: EEMCI 2012, Tableau 12
Le Tableau 14 présente une ventilation de l’emploi par secteurs d’activité plus généraux. En 2015, la taille de la main d’œuvre avait diminué, passant de 9,5 millions à 7,5 millions. Cette baisse pourrait être imputable à des raisons très différentes. Ainsi est-il possible que la part des personnes scolarisées ait augmenté ou que plus d’adultes en âge de travailler aient choisi de sortir de la population active. Les hommes constituent toujours la majeure partie de la main d’œuvre (4,6 millions contre 2,9 millions de femmes). La répartition par genre et par grands secteurs économiques n’a pas évolué de manière significative : l’agriculture, l’industrie et les services sont toujours dominés par les hommes, qui représentent respectivement 70 %, 68 % et 60 % de la main d’œuvre de ces secteurs, tandis que les femmes sont le mieux représentées dans le secteur du commerce (60 % du total).
Tableau 14: Répartition de l’emploi en Côte d’Ivoire par secteur d'activité, 2015
Agriculture | Industrie | Commerce | Services | TOTAL | ||||||
Nbre | % | Nbre | % | Nbre | % | Nbre | % | Nbre | ||
Sexe | Homme | 2,292,158 | 70% | 672,590 | 68% | 644,926 | 40% | 989,621 | 60% | 4,599,295 |
Femme | 977,162 | 30% | 311,300 | 32% | 948,103 | 60% | 646,693 | 40% | 2,883,258 | |
Résidence | Abidjan | 66,645 | 2% | 359,308 | 37% | 562,774 | 35% | 664,358 | 41% | 1,653,085 |
Au centre urbain | 602,351 | 18% | 356,832 | 36% | 620,673 | 39% | 639,161 | 39% | 2,219,017 | |
Milieu rural | 2,600,324 | 80% | 267,750 | 27% | 409,581 | 26% | 332,796 | 20% | 3,610,451 | |
Éducation | Aucune | 2,203,846 | 67% | 473,975 | 48% | 940,636 | 23% | 543,741 | 33% | 4,162,198 |
Primaire | 620,075 | 19% | 234,455 | 24% | 307,767 | 59% | 270,959 | 17% | 1,433,256 | |
Secondaire | 402,384 | 12% | 224,053 | 23% | 294,736 | 19% | 541,541 | 33% | 1,462,714 | |
Supérieure | 28,305 | 1% | 44,887 | 5% | 33,757 | 2% | 261,855 | 16% | 368,804 | |
Inconnue | 14,710 | 0% | 6,520 | 1% | 16,133 | 1% | 18,218 | 1% | 55,581 | |
TOTAL | 3,269,320 | 100% | 983,890 | 100% | 1,593,029 | 100% | 1,636,314 | 100% | 7,482,553 |
Source: ENV 2015, Tableau 6.6
Tableau 15: Emploi et rémunération des hommes et des femmes vivant en couple
Source : EDS 2011-2012 |
Les femmes travaillent moins fréquemment et reçoivent donc moins de rémunérations en espèces que les hommes, encore que plus de femmes que d’hommes soient rémunérées en espèces et en nature (Tableau 15). Les quatre cinquièmes des femmes âgées de 15 à 49 ans gagnent moins bien leur vie que leur conjoint, bien que les deux tiers des femmes disent contrôler les modalités de dépense de leur revenu (EDS 2011-2012).
En dépit de l’attention nouvelle portée par l’État au secteur de l’éducation dans la période post conflit, la mauvaise performance ivoirienne, aussi bien en termes d’écarts entre hommes et femmes, que par rapport aux pays de référence, en Afrique et ailleurs, ressort de manière criante du Tableau 16.
Tableau 16: Statistiques comparées en matière d’éducation, 2015
Côte d'Ivoire | Ghana | Indonésie | Kenya | Nigeria | Rwanda | Sénégal | Afrique sub-saharienne | Pays à revenu intermédiaire | |
École primaire | |||||||||
Scolarisation primaire, filles (% net) | 70.8 | 92.1 | 92.4 | 88.0 | 60.0 | 97.4 | 75.9 | 76.4 | 89.2 |
Scolarisation primaire, garçons (% net) | 79.6 | 91.7 | 93.4 | 84.4 | 71.1 | 94.8 | 69.8 | 80.8 | 91.1 |
Études primaires achevées, filles (% net) | 50.4 | 100.7 | 100.1 | 104.1 | 71.6 | 72.1 | 62.7 | 68.9 | 90.7 |
Études primaires achevées, garçons (% net) | 63.3 | 101.5 | 105.6 | 102.9 | 80.3 | 60.9 | 55.3 | 71.7 | 90.4 |
Enseignement secondaire | |||||||||
Scolarisation secondaire, filles (% brut) | 33.2 | 69.1 | 82.2 | 65.2 | 41.2 | 40.9 | 38.2 | 39.5 | 64.7 |
Scolarisation secondaire, garçons (% brut) | 47.0 | 72.9 | 82.8 | 70.1 | 46.4 | 37.3 | 41.9 | 45.9 | 65.9 |
Études secondaires achevées, filles (%) | 26.9 | 75.2 | 89.6 | 83.5 | N/A | 37.6 | 40.1 | 39.1 | 74.3 |
Études secondaires achevées, garçons (%) | 38.1 | 79.7 | 83.2 | 82.7 | N/A | 33.7 | 40.5 | 45.3 | 72.2 |
Alphabétisation | |||||||||
Alphabétisation adultes, 15 ans et plus, femmes (%) | 32.5 | 71.4 | 91.5 | 74.9 | 49.7 | 68.0 | 43.8 | 53.0 | 66.8 |
Alphabétisation adultes, 15 ans et plus, hommes (%) | 53.1 | 82.0 | 96.3 | 81.1 | 69.2 | 73.2 | 68.5 | 69.2 | 80.9 |
Note : selon les Indicateurs du développement dans le monde, la scolarisation « brute » inclut les élèves de tous âges de chaque classe, y compris les redoublants. La scolarisation « nette », qui ne prend en compte que les enfants dont l’âge correspond à un niveau donné, est préférée comme offrant une représentation plus exacte de la couverture et de l’efficacité interne. Les Indicateurs du développement dans le monde ne comportant pas de données de scolarisation nette pour la Côte d’Ivoire, les taux figurant dans le tableau sont donc bruts.
Sources : Banque mondiale, statistiques de l'éducation ; Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde ; base de données de l’Institut de statistique de l’UNESCO. Les données présentées sont les plus récentes pour chaque pays, 2010-2015.
Tableau 17: Taux bruts d’inscription à l’école et de non-scolarisation
Source: EDS 2011-2012 |
Il existe des disparités importantes dans les performances en matière d’éducation entre les régions du pays (Tableau 17), ainsi qu’en termes de statut socioéconomique, de revenu et de genre. La scolarisation est la plus faible dans les régions centre, nord et ouest, qui étaient gouverné par les rebelles durant le conflit. Cinquante-trois pour cent des mineurs âgés de 6 à 18 ans dans le nord et 46 % des jeunes dans le nord-ouest n’ont jamais été scolarisés. Il existe des écarts importants entre les sexes en termes de scolarisation et d’achèvement de scolarité au niveau de l’enseignement primaire et secondaire, ainsi qu’au niveau de l’alphabétisation. Le ratio de scolarisation des filles par rapport aux garçons est de 89 % au niveau de l’enseignement primaire et de 71 % pour l’enseignement secondaire. En 2015, le taux d’alphabétisation des femmes d’âge adulte était de 33 %, tandis que celui des hommes adultes était de 53 %. Ainsi qu’il ressort de l’enquête MICS, les taux d’alphabétisation des jeunes adultes (15-24 ans) étaient de 64 % pour les femmes et de 74 % pour les hommes. Ils attestent de progrès importants, tant en termes d’amélioration des taux en général que de réduction de l’écart entre les sexes.
Les inégalités de genre en matière d’assiduité scolaire sont plus important en Côte d’Ivoire que dans tout autre pays dont les résultats en matière éducative sont très inégaux, bien plus que la prospérité économique (Banque mondiale, 2012, 108). Bien qu’en Côte d’Ivoire la scolarité soit obligatoire jusqu’à 16 ans, les parents qui n’envoient pas leurs enfants à l’école n’encourent aucune sanction.
Les raisons de l’abandon scolaire des filles, en particulier dans les régions rurales ou plus conservatrices/traditionnelles, sont complexes. Il s’agit notamment :
Le nombre important des facteurs qui expliquent le manque d’assiduité et l’abandon prématuré de la scolarité est décrit dans l’Enquête nationale 2013 sur la situation de l’emploi et du travail des enfants (ENSETE), dont les résultats sont résumés dans le Rapport d’État Ivoirien sur le Système Educatif National (RESEN) (UNESCO et UNICEF 2016), et présentés ci-après. Si la pauvreté est la cause principale de ces comportements, tant pour les hommes que pour les femmes, la grossesse et le mariage précoce sont mentionnés au nombre des motifs d’abandon scolaire par plus de 10 % des femmes âgées de 16 à 18 ans.
Tableau 18: Raisons de l’absentéisme et de l’abandon des études, 2014
Défaut d’assiduité | Abandon prématuré | |||||
6-11 ans | 12-15 ans | 16-18 ans | ||||
Garçons | Filles | Garçons | Filles | Garçons | Filles | |
Contraintes financières | 41.6 | 41.8 | 28.6 | 25.7 | 39.7 | 27.3 |
Préférence pour l’apprentissage | 1.9 | 0.6 | 10.0 | 3.2 | 6.1 | 4.5 |
Échec scolaire | N/a | N/a | 6.7 | 19.1 | 9.4 | 16.4 |
Grossesse ou mariage précoce | N/a | N/a | N/a | 2.5 | 0.7 | 10.9 |
Corvées domestiques | 1.7 | 6.0 | 1.0 | 0.4 | 2.0 | |
Handicap ou maladie | 2.9 | 2.2 | 2.3 | 2.0 | 0.6 | 2.0 |
Éloignement ou absence d’établissement d’enseignement | 2.6 | 1.7 | -- | 1.2 | 1.3 | 1.0 |
Enfant trop jeune | 21.5 | 18.1 | N/a | N/a | N/a | N/a |
Autres aspects liés à la demande | 2.1 | 1.2 | 1.5 | 1.1 | 1.0 | 0.1 |
Non spécifié | 25.7 | 28.4 | 50.9 | 44.3 | 40.8 | 35.7 |
Total | 100 | 100 | 100 | 100 | 100 | 100 |
Source : UNESCO and UNICEF, RESEN 2016, Tableaux 6.4 and 6.5
En Côte d’Ivoire, les filles sont exposées, tout au long de leur parcours éducatif, à de multiples formes de harcèlement et de violence. Les abus sexuels dont elles sont victimes sont fréquents et souvent traités comme relevant de la banalité. Ils se produisent dans les établissements d’enseignement ou à proximité de ceux-ci. Leurs auteurs sont en général des hommes ou d’autres salariés de l’établissement, des soldats, des chauffeurs, des commerçants ou d’autres élèves. Selon une étude du ministère de l’éducation nationale de 2016, 4 élèves sur 10, en particulier dans les établissements d’enseignement secondaire, sont victimes de harcèlement sexuel, et 2 sur 10 de viol, parfois commis par des enseignants (UNICEF 2016b)[42].
Les établissements d’enseignement secondaire se trouvent fréquemment à bonne distance du domicile des familles vivant en milieu rural, de sorte que les filles sont souvent contraintes de quitter leur famille et de vivre souvent dans des conditions extrêmement précaires. De nombreuses filles sont obligées, en raison de la pauvreté de leur famille, de participer, à un jeune âge, à des rapports sexuels transactionnels avec leurs enseignants ou d’autres adultes en contrepartie d’un soutien financier de ceux-ci leur permettant de poursuivre leurs études. Il arrive que ces arrangements soient connus des familles et qu’elles les acceptent. Dans certains cas, une fille devient, de fait, une source de revenu familial, car elle doit non seulement subvenir elle-même à ses besoins, mais encore apporter une contribution à la famille. Avec le temps, ce type de relation a été normalisé, voire banalisé, par les filles elles-mêmes, mais aussi leurs familles et la société dans son ensemble. La violence n’est pas réellement visible, car elle n’est souvent pas considérée comme de la violence. Les jeunes filles n’en parlent guère et, le moment venu, se soumettent à ces pratiques et s’en accommodent. Confrontées à cette épreuve, d’autres choisissent d’abandonner leurs études.
Ces pratiques contribuent aux grossesses scolaires. De 2008 à 2013, le nombre de grossesses en milieu scolaire recensées par le ministère de l’éducation nationale est passé de 1 300 à 5 000, ce qui correspond à une augmentation annuelle moyenne de 31 %. En 2014, le gouvernement a lancé une campagne intitulée « zéro grossesse en milieu scolaire », qui a permis de ramener le nombre de grossesses de 6 800 lors de l’année scolaire 2013-2014 à 5 992 durant l’année 2014-2015[43]. La situation s’explique également par la sexualité précoce des filles et des garçons à l’école, qui est liée au fait que les filles sont éloignées de leur famille, à la médiocrité de l’éducation sexuelle dispensée par les établissements scolaires, aux mariages précoces et au manque d’internats ou de pensions pour filles. Les droits des filles à l’éducation sont violés lorsqu’elles tombent enceintes[44].
Ainsi qu’il ressort de la section 3, le harcèlement sexuel est réprimé par la loi de deux manières. Le code du travail l’interdit, mais cette prohibition ne vaut que pour les salariés du secteur privé, ce qui signifie qu’elle ne s’applique pas aux enseignants. Le code pénal qui, à l’inverse, s’applique à tous, met le harcèlement sexuel hors la loi, mais les difficultés liées à son application sont importantes. La Côte d’Ivoire a publié, en décembre 2014, un code de conduite applicable à l’ensemble des personnels éducatifs, qui est actuellement diffusé, et qui est destiné à prévenir, détecter et réprimer les comportements considérés par l’UNICEF comme abusifs ou dangereux pour les élèves (Abidjan.net 2016). Ainsi qu’indiqué dans la section 3, la législation dans le domaine de l’éducation ou de la fonction publique pourrait être renforcée à cet égard.
L’équipe GIS a rencontré 16 jeunes femmes élèves au collège d’enseignement technique (CET) de Bouaké inscrites dans diverses spécialités (mécanique générale et réparation ; mécanique auto ; métallurgie ; secrétariat ; comptabilité financière ; des formations courtes étaient également disponibles en maçonnerie et plomberie). La plupart de ces filières sont considérées comme des domaines d’études non traditionnels pour les femmes en Côte d’Ivoire. Selon le ministère de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, 30 % des élèves du CET sont des filles. L’établissement dispose d’un certain nombre de programmes de formation destinés à insérer des ex combattants dans la société. Ces initiatives reçoivent le soutien de l’aide japonaise au développement. En plus des programmes de formation sur trois ans, du type de ceux que suivaient les élèves sélectionnées pour les rencontres, le CET proposait aussi des cycles de formation professionnelle de trois mois dans les domaines de la mécanique auto et deux roues, de la métallurgie, de la mécanique générale, de la maçonnerie, de la plomberie sanitaire et du câblage électrique pour la construction. Les élèves viennent de tout le pays pour étudier ici. Au CET, l’équipe a rencontré des jeunes filles déterminées à réussir dans le secteur de leur choix mais qui se heurtent à des difficultés dans leurs efforts pour mener leurs études jusqu’à leur terme, ainsi qu’indiqué dans l’encadré qui suit.
Au nombre des motivations individuelles invoquées par les jeunes filles pour expliquer leur choix en matière d’études figuraient notamment :
Encadré 7: des modèles pour les filles L’équipe GIS a expliqué au groupe d’élèves du CET de Bouaké qu’elle souhaitait leur poser des questions pour être à même d’intégrer leur voix à notre rapport adressé au gouvernement. En réponse, l’une de ces jeunes filles a dit : « faites passer à nos sœurs, à toutes les filles de Côte d’Ivoire, le message suivant : ‘elles peuvent, elles aussi, faire ce que nous faisons ». |
Les élèves du CET de Bouaké ont dû, pour être à même de poursuivre leurs études et de suivre une formation dans un domaine professionnel non traditionnel, surmonter des défis familiaux, émotionnels et financiers. Une jeune fille qui étudiait la mécanique auto a déclaré : « lorsque j’étais au lycée, je voulais devenir spécialiste des ressources humaines. Mais j’ai échoué à trois reprises au baccalauréat à la fin du secondaire, de sorte qu’il m’était impossible d’accéder à l’université. J’ai versé tellement de larmes, sans arrêt. Je ne voulais absolument pas étudier dans un établissement d’enseignement professionnel. Mon père m’a dit que je devrais faire de la mécanique ; il a dit que c’était ce que je devais faire. Je me suis inscrite. Et vous voyez, finalement je suis devenue curieuse… et j’ai décidé, au bout du compte, que c’était plutôt intéressant. Dans l’intervalle j’ai également passé mon bac. Bientôt j’aurai aussi mon diplôme technique. Qui sait ce que je pourrai faire alors ! » Une autre jeune fille a expliqué qu’elle vit avec son cousin et l’épouse de celui-ci : « je suis musulmane, mais la femme de mon cousin est chrétienne. Elle ne m’aime pas. Elle n’est pas contente que je pratique ma religion dans sa maison. Elle a refusé de partager un repas avec moi. J’ai appelé ma mère et je lui ai demandé ce que je devais faire. Elle m’a répondu que je pouvais cesser de prier si cela devait me faciliter la vie. Il fallait tout de même que je me lève à 4h30 pour faire les tâches ménagères qui m’incombaient avant de pouvoir aller au collège ».
L’argent constitue un réel problème pour certaines de ces jeunes filles. L’une d’elles a expliqué : « mon père me donne 5 000 CFAF par mois (environ 8,5 USD). Le coût du transport entre le collège et mon domicile est de 1 000 CFAF par semaine. Je n’aurais alors plus rien pour manger. Alors, je marche énormément. Et parfois, simplement pour arriver à manger, il faut faire des choses inimaginables pour se débrouiller ».
La Chambre des métiers de Bouaké est également consciente de la forte demande des filles pour des formations dans des domaines non traditionnels. À Bouaké, un programme de formation non traditionnel forme à un certain nombre de compétences dans le domaine de la construction, sur huit chantiers situés en ville, 366 stagiaires âgés de 15 à 35 ans ; cinquante-cinq femmes ont été acceptées (elles ne sont pas toutes allées jusqu’au bout de la formation de six mois pour des raisons au nombre desquelles figuraient la grossesse et le mariage, mais aussi d’autres facteurs).
Encadré 8: Les femmes et les services pour l’emploi Le directeur de l’un des programmes nationaux d’emploi a expliqué que le programme de travaux à haute intensité de main d'œuvre (THIMO) de son organisation recevait bien plus de candidatures de femmes que d’hommes pour ses services. Il est plus facile de fournir des services d’emploi aux femmes ; elles sont moins exigeantes que les hommes quant aux travaux qu’elles acceptent. Elles sont aussi plus méticuleuses. « Les jeunes femmes pensent toujours qu’elles veulent se diriger vers le commerce, précise-t-il, alors qu’en fait, elles ont besoin d’apprendre un ‘métier’, c’est-à-dire, quelque chose qui leur permettra de trouver du travail ». À la question de savoir quelle était la probabilité que des femmes soient employées par des entreprises industrielles de la nouvelle zone, il a répondu que « les femmes pourraient travailler dans de nombreuses industries… encore faut-il qu’elles sachent qu’elles le peuvent ». |
Un certain nombre d’initiatives en matière de développement de main d’œuvre visent à faire correspondre l’offre et la demande de travail. À Abidjan, le ministère du travail a créé, en 2011, le Bureau de coordination des programmes emploi (BCPE) auquel il a confié la mission de coordonner des programmes financés par des fonds de donateurs destinés à « réinsérer » les « jeunes »[45].
Une récente évaluation a permis d’établir que les femmes profitaient mieux des stages, des travaux manuels rémunérés[46], des formations à l’entrepreneuriat et d’autres programmes dans le domaine de l’emploi, parce qu’elles épargnent une part plus importante de leur rémunération (salaire) et investissent cet argent dans de petites entreprises qui génèrent des bénéfices jusqu’à plus d’une année après la fin de la formation reçue (BCPE 2016). Les conclusions de l’évaluation ont encouragé les programmes pour l’emploi à faire preuve de plus d’ambition et à porter la part des femmes de 30 % à 50 %[47].
Des représentants d’organisations de jeunesse se sont plaints de la mauvaise qualité de l’enseignement scolaire, une classe type du secondaire comptant en moyenne une centaine d’élèves. Le mécontentement quant à la qualité de l’éducation a trouvé un écho au sein d’un autre groupe de discussion à Bouaké. D’autres interlocuteurs ont confirmé le grand nombre d’élèves par classe, qui a conduit à dédoubler les journées scolaires pour accueillir tous les élèves, le manque d’enseignants qualifiés, les longues périodes d’absence de ces mêmes enseignants sans explication, ainsi que l’état déplorable des infrastructures scolaires physiques (certains établissements n’ont pas été rénovés depuis la guerre et les murs démolis ou endommagés n’ont pas été reconstruits, pour ne rien dire des infrastructures d’enseignement). Un expert des questions d’éducation travaillant à Bouaké s’est interrogé sur la probabilité que soient construits des collèges de proximité en périphérie de la ville dans la mesure où le besoin d’établissements scolaires en ville était déjà considérable.
La jeunesse de Bouaké est frustrée des opportunités économiques limitées qui s’offrent à elle. Les jeunes gens des deux sexes avec lesquels nous nous sommes entretenus dans le cadre d’un groupe de discussion (voir encadré à droite) se considèrent comme condamnés au chômage et ne s’attendent pas à un avenir professionnel sérieux. Certains d’entre eux connaissent des jeunes qui ont quitté la région pour se rendre à Abidjan. Cependant, les jeunes, membres des organisations de jeunesse ne sont toutefois pas désespérés. Une organisation souligne avec fierté les rapports qu’elle a établis avec les autorités policières locales en liaison avec les activités policières et de maintien de l’ordre. Une autre évoque la création de syndicats des étudiants dans le but de lutter contre les violences en milieu scolaire. Une jeune femme parle de créer ce qu’elle appelle des « centres d’écoute » pour aider les lycéennes à mieux connaître leurs droits et à alerter les autorités lorsqu’elles sont victimes de violences, pour en dénoncer les auteurs et rompre ainsi le cercle vicieux. Nombre d’entre eux disent avoir le sentiment que le Conseil des organisations de la jeunesse leur permet de se faire entendre des autorités.
Les préoccupations des organisations de jeunesse de Bouaké trouvent un écho auprès de la Fédération ivoirienne des petites et moyennes entreprises (FIPME) de la ville. Sept représentants de celles-ci, dont deux femmes, ont rencontré l’équipe GIS. Ils se sont inquiétés de ce que le développement de la Côte d’Ivoire soit excessivement centré sur Abidjan. Des investissements sont indispensables à Bouaké pour dynamiser la croissance, tels que la zone industrielle, un incubateur pour le développement de PME et un autre pour les jeunes entrepreneurs. L’entrepreneuriat doit être enseigné à grande échelle aux élèves dans le cadre scolaire. Les PME représentées étaient des entreprises de construction, informatique, de marketing et de vente au détail. Le manque d’accès aux capitaux, que ce soit aux fins d’investissement ou de financement de trésorerie, était considéré comme une contrainte fondamentale. Auparavant, c’est-à-dire, jusqu’à la crise sociopolique, quelques 250 membres de la Fédération versaient chacun 25 000 CFAF par mois (50 USD) à un groupe d’épargne. Depuis la crise cependant, la Fédération ne compte plus que 50 membres, et le montant de l’aide mutuelle qu’ils sont à même d’apporter a également diminué. La viabilité financière est devenue une préoccupation essentielle, la durée de vie moyenne d’une PME étant de cinq ans à Bouaké.
La décision de continuer des études, qu’elle soit le fait des élèves ou de leur parents, implique de peser les coûts directs et implicites de la poursuite de la scolarité contre la probabilité de l’avantage futur représenté par l’obtention d’une meilleure rémunération en contrepartie des connaissances et des compétences acquises[48]. Le graphique qui suit comporte des estimations des taux de rendement moyens des années de scolarisation, calculés à partir d’une base de données des revenus des salariés dans 139 économies, à partir d’une enquête réalisée en 2014 par des chercheurs de la Banque mondiale. Le graphique illustre l’« écart de rémunération des femmes », c’est-à-dire, la différence entre les revenus salariaux moyens des femmes sur la base d’une année supplémentaire d’études primaires, secondaires ou supérieures et ceux des hommes déterminés à partir des mêmes critères. Il décrit les observations pour l’Afrique subsaharienne au cours de la décennie écoulée. Selon cette étude, le rendement sur le marché du travail de l’éducation primaire, secondaire ou supérieure est positif. Il est le plus élevé pour l’enseignement supérieur. Il est plus élevé dans les pays en développement (où l’offre de main d’œuvre éduquée et qualifiée est moindre) que dans les nations développées, et il est plus élevé pour les femmes (Montenegro et Patrinos, 2014)[49]. Le rendement de l’éducation est plus élevé pour les femmes que pour les hommes, en particulier en Côte d’Ivoire où l’écart hommes-femmes est le plus important à l’exception du Sénégal (Graphique 12).
Graphique 10: écart entre les rendements moyens de la scolarisation (femmes-hommes)
Note : le graphique montre les écarts de rendement moyen d’une année d’études supplémentaire pour les femmes et les hommes. Un « écart » positif indique que le rendement pour les femmes exerçant une activité salariée est supérieur à celui des hommes occupant un emploi salarié. Source : Montenegro et Patrinos (2014) ; voir également Patrinos (2016). |
En plus des informations présentées plus haut, les décisions d’investissement dans l’éducation prennent également en compte une évaluation de la probabilité d’obtention d’un emploi salarié. Ainsi qu’il ressort du Graphique 9, en Côte d’Ivoire, les hommes sont plus nombreux que les femmes dans les emplois salariés. La décision d’investir dans l’éducation des garçons peut ainsi sembler justifiée au regard de la structure actuelle du marché du travail.
Il n’est pas rare que les familles, en particulier dans les régions rurales, soient mal informées de la structure du marché du travail et des tendances qui l’affectent dans un contexte national plus large. Or ces informations sont importantes pour la planification de l’investissement dans le capital humain dans une perspective à plus long terme. Des tests de contrôle par sondage randomisés réalisés dans d’autres pays (et notamment au Sierra Leone, en Ouganda, en Inde et en République dominicaine) conduisent à penser que lorsque les familles sont conscientes du rendement de l’éducation ; elles réagissent en maintenant leurs enfants à l’école le plus longtemps possible (Jensen 2010, 2012 ; Bandiera et al. 2015).
Encadré 10: modifier la valeur que les parents attachent à leurs filles Dans les milieux socioéconomiques les plus défavorisés, les parents doivent, dans un contexte de ressources limitées du ménage, prendre en compte de multiples variables pour déterminer quel enfant envoyer à l’école. De manière générale, les opportunités sont considérées comme plus intéressantes pour les garçons sur le marché du travail. L’investissement éducatif leur reviendra donc prioritairement. À l’inverse, il est attendu des filles qu’elles se marient jeunes. Dans une sphère sociale déterminée, une fille a une valeur dotale. Celle-ci tend à s’effondrer si elle est enceinte avant le mariage. Mais elle a également une valeur à plus longue portée, en termes de protection sociale. Un responsable éducatif de Bouaké nous a indiqué que des organisations de la société civile aidaient les parents à comprendre que si leurs filles étaient mieux éduquées, elles attireraient des époux eux-mêmes mieux éduqués qui, en leur qualité de gendre, seraient mieux à même de les aider dans leurs vieux jours. |
La passion qui anime les élèves du collège d’enseignement technique rencontrées à Bouaké, ainsi que leur motivation, montrent qu’il existe en Côte d’Ivoire des jeunes femmes prêtes à acquérir des compétences professionnelles non traditionnelles. Les programmes du CET de Bouaké dotent les élèves de compétences pour des emplois qu’ils peuvent réellement identifier, comme le travail dans le garage d’un frère plus âgé ou avec leur père au sein de son entreprise de construction. Il sera important que les centres de formation envisagés dans le cadre du programme Compact soient associés à une demande émanant d’employeurs connue. La probabilité que les filles suivent une formation sera d’autant plus grande si elles savent qu’elles pourront, à l’issue de leurs études, l’utiliser dans un environnement de travail.
Les facteurs liés au genre qu’il serait utile de prendre en considération lors de la conception de nouveaux programmes TVET sont notamment les suivants :
Si la famille n’est pas d’accord, la femme se heurte à un problème. Nous avons vu des femmes abandonner parce que leurs beaux-parents n’approuvaient pas leur choix professionnel. Mais nous avons également une femme, mère de sept enfants, qui est maintenant maçonne. Son mari l’a soutenue dans sa décision de se former et elle contribue désormais à faire vivre sa famille. Organisation de la société civile spécialisée dans la formation, Bouaké |
Un nombre croissant d’études démontre qu’une présence accrue d’enseignantes s’accompagne d’une augmentation des inscriptions et de l’assiduité des filles à l’école (Stromquist et al. 2013 ; Haugen et al. 2014). Une étude réalisée à partir de données d’enquête recueillies dans 30 pays (dont 19 situés en Afrique) a établi que plus le pourcentage d’enseignantes augmentait, plus la probabilité que les filles soient scolarisées allait croissante (Huisman et Smits 2009).[51] En fait, l’étude a montré que les filles a fort risque d’abandon scolaire étaient celles qui profitaient le plus de la présence d’enseignantes. Dans les régions, la probabilité de scolarisation des filles par les parents était faible, la scolarisation des filles était la plus élevée dans les établissements d’enseignement employant des enseignantes. Celles-ci constituent également un modèle professionnel pour les filles, et les études ont montré que la probabilité que celles-ci poursuivent des études était plus élevée lorsqu’elles avaient des modèles positifs. La recherche a aussi permis d’établir que les parents étaient plus enclins à inscrire leurs filles à l’école et à les laisser poursuivre leur scolarité lorsque l’enseignant était une enseignante (Haugen et al. 2014). Il existe en outre des éléments tendant à montrer, encore que les études dans ce domaine manquent, que les enseignantes ont un effet positif sur les résultats scolaires des filles comme des garçons (Haugen et al. 2014).
Tableau 19: représentation des femmes au sein du corps enseignant
Source : ministère de l’éducation nationale, Annuaires Scolaires, 2015-2016, pour la région du Gbèkê et le district d’Abidjan |
En Côte d’Ivoire, en raison du faible nombre de jeunes filles et de femmes qui vont jusqu’au bout de leurs études secondaires, ou qui les achèvent sans poursuivre d’études supérieures, le pool de femmes éduquées susceptibles d’accéder aux professions enseignantes, et notamment de devenir professeur dans l’enseignement secondaire, est limité. Les filles ont également moins tendance à faire des études scientifiques, technologiques, techniques ou mathématiques, ce qui, selon un enseignant rencontré par l’équipe GIS, réduit également le nombre de femmes enseignant ces matières au collège et au lycée (ou exerçant des professions dans ces domaines). L’enseignement est également une profession exigeante en termes de temps, durant la journée scolaire, mais aussi une fois celle-ci achevée (préparation des cours, correction des devoirs et examens), ce qui les rend plus difficiles pour les femmes qui, du fait de leurs responsabilités familiales, manquent de temps. Il arrive aussi que les enseignantes soient la cible du harcèlement de leurs collègues masculins. Les interlocuteurs rencontrés par l’équipe GIS ne connaissaient aucune association d’enseignantes susceptible d’aider celles-ci. Alors que les femmes représentent entre 85 % et 95 % des enseignants en classes maternelles, elles ne sont plus que 10 % à 30 % des professeurs du secondaire (Tableau 19).
En Côte d’Ivoire, comme dans de nombreuses régions du monde, les enseignants du secteur public sont des fonctionnaires. La taille de la fonction publique a augmenté de près de 50 % entre 2009 et 2015, et la part des femmes représentait 31 % en 2015. Près des deux tiers des hommes et la moitié des femmes sont employés dans l’éducation, qui représente un peu plus de 60 % du total de la fonction publique.
Graphique 11 : la fonction publique ivoirienne, 2009-2015
Source: Ministère de la Fonction Publique et de la Modernisation de l’Administration (2016)
Des entretiens avec des enseignants et personnels administratifs de l’enseignement secondaire, ainsi qu’avec des décideurs en charge de l’élaboration de politiques publiques aux échelons régional et national, conduisent à penser que de multiples facteurs expliquent pourquoi les femmes sont sous-représentées dans le corps enseignant en Côte d’Ivoire :
Encadré 11: Salaires mensuels de départ Professeurs (diplômés de l’ENS) Lycée: ~350,000 CFA + 50,000 CFA (hébergement) +5,000 CFA (transport) + allocations familiales (2,500 CFA/enfant) Collège: ~295,000 CFA + 50,000 CFA (hébergement) +5,000 CFA (transport) + allocations familiales (2,500 CFA/enfant) Pour la plupart des fonctionnaires (diplômes de l’Ecole Normale d’Administration) ~180,000 CFA + 50,000 CFA (hébergement) +5,000 CFA (transport) + allocations familiales (2,500 CFA/enfant) Source : entretiens mission |
Deux années de formation au sein de l’École Normale Supérieure (ENS), qui se trouve à Abidjan et qui est l’unique institution de formation des professeurs de l’enseignement secondaire du pays, sont nécessaires pour devenir enseignant du secondaire en Côte d’Ivoire. Il existe deux voies d’accès au concours d’entrée. Les maîtres de l’enseignement primaire peuvent présenter leur candidature au concours professionnel, tandis que le concours direct est ouvert aux titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Les frais administratifs et d’examen médical obligatoire s’élèvent à 35 000 FCFA. Il faut ajouter à cela le fait que nombre de candidats déboursent 40 000 FCFA pour une formation préparatoire avant le concours. Les candidats doivent être de nationalité ivoirienne, posséder un diplôme de l’enseignement supérieur dans la matière de leur choix, avoir moins de 38 ans et présenter les documents requis, et notamment un certificat de non-bégaiement.
Au cours des trois dernières années universitaires, le nombre d’élèves formés par l’ENS a été quasiment multiplié par quatre pour tenir compte des besoins urgents du pays en enseignants. Parallèlement, le pourcentage de femmes dans les élèves a lui aussi augmenté, puisqu’il est passé de 17 % à 21 % (Tableau 20). L’ENS reste dominée par les hommes. Les femmes qui y enseignent estiment que leur progression de carrière est plus lente que celle de leurs collègues masculins. Elles font également état d’un certain manque de respect des hommes, enseignants ou élèves, à leur égard. Les élèves (enseignants-stagiaires) de sexe masculin font montre d’attitudes empreintes de préjugés envers les femmes. Ni les enseignantes ni les élèves de sexe féminin ne considèrent néanmoins le harcèlement sexuel comme un problème à l’ENS.
Tableau 20: Composition des élèves de l’ENS, par voie d’accès et par sexe
Année | Concours direct | Concours professionnel | Autre | Total | ||||||
Hommes (H) | Femmes (F) | H | F | H | F | H | F | TOTAL | % Femmes | |
2014-2015 | 1213 | 243 | 1 | 0 | 1 | 1 | 1215 | 244 | 1459 | 17% |
2015-2016 | 1888 | 436 | 888 | 134 | 6 | 3 | 2782 | 573 | 3355 | 17% |
2016-2017 | 2614 | 781 | 1854 | 376 | 11 | 3 | 4479 | 1160 | 5639 | 21% |
Source : statistiques obtenues après du service de la scolarité de l’ENS, le 14 mars 2017
L’administration de l’ENS n’a pas encore développé de protocoles flexibles pour gérer les grossesses des étudiantes. Bien qu’une antenne médicale étudiante située sur le campus dispense des soins prénataux aux étudiantes enceintes, l’administration a été prise de court cette année universitaire lorsqu’une quarantaine d’élèves, soit près de 4 % des femmes élèves de l’école, ont annoncé leur grossesse. Il est déconseillé aux candidates par l’administration de l’école de devenir enceinte avant et au cours de leurs études. Selon les femmes élèves à l’ENS avec lesquelles nous nous sommes entretenus, le message a toutefois du mal à passer dans une société qui encourage toujours fortement les jeunes femmes à se marier et à avoir des enfants. Une enseignante a déclaré que, pour encourager les candidatures féminines au concours d’entrée, l’ENS doit changer d’avis quant à l’interdiction des grossesses et se doter de politiques plus accommodantes à cet égard. L’école pourrait, par exemple, assouplir les calendriers des examens : ceux-ci ont actuellement lieu deux fois par an, de sorte que la plupart des femmes enceintes (et toute personne qui tombe gravement malade en cours d’année), à s’absenter durant au moins un semestre, et à être à la traîne par rapport à leur classe.
Les étudiants qui entrent à l’ENS savent qu’en début de carrière, ils seront probablement nommés à un poste dans une région éloignée, où le besoin en enseignants est le plus important. À la sortie de l’école, les étudiants indiquent leur trois choix d’affectation préférentiels. Les affectations sont effectuées par l’administration de la fonction publique, en coordination avec le ministère de l’éducation nationale, sur la base des notes obtenues. Toutefois, puisque la plupart des élèves préfèrent la proximité d’un centre urbain, et notamment d’Abidjan, nombre d’entre eux sont nommés ailleurs qu’à un des trois postes sélectionnés par eux. Le processus d’affectation suppose la prise en compte, entre autres facteurs, de la situation de famille des intéressés, dans un effort pour éviter que des conjoints ne soient nommés à une distance de plus de 100 km l’un de l’autre. Ce principe est cependant difficile à respecter dans un contexte caractérisé par de graves pénuries d’enseignants en dehors de la région d’Abidjan. À leur sortie de l’ENS, les enseignants s’engagent à servir l’État durant dix ans.
Le manque de logements adaptés dans de nombreuses régions, en particulier en cas d’affectation dans l’un des nouveaux collèges de proximité, ainsi que d’établissements scolaires adéquats pour leurs propres enfants, sont les deux problèmes les plus fréquemment évoqués par les élèves de sexe féminin de l’ENS. Elles s’inquiètent de leur lieu d’affectation, ainsi que de la nécessité de devoir vivre loin de leurs enfants et de leur mari. À l’inverse, les élèves de sexe masculin font preuve de plus d’optimisme et considèrent que les difficultés rencontrées dans leur vie professionnelle et personnelle se règleront d’elles-mêmes. Les élèves savent toutefois que le pays a besoin d’enseignants sur l’ensemble de son territoire et ils sont prêts à se rendre, pour un temps, dans une région reculée pour y enseigner. Un enseignant est affecté dans un établissement pour une période de cinq ans. Au bout de trois ans, il peut demander sa mutation dans un autre établissement de la même circonscription scolaire. Après cinq années passées à enseigner dans un district, il peut demander à être affecté ailleurs. Lorsqu’ils peuvent être affectés à Abidjan, la plupart des enseignants le font. Les déplacements avant l’expiration de ces délais sont rares. Ils ne sont accordés qu’en cas de force majeure, par exemple, lorsque l’enseignant souffre de problèmes de santé incompatibles avec son maintien sur son lieu d’affectation.
Le ministère de l’éducation est parfaitement conscient des difficultés liées au recrutement et au maintien en poste des enseignants affectés dans des zones éloignées, et il étudie actuellement un certain nombre de solutions possibles parallèlement à l’expansion de ses plans en matière de collèges de proximité. Un projet de création de campus satellites de l’ENS dans quatre régions du pays, pour décentraliser le recrutement et l’affectation des enseignants, est en cours d’examen. Il existe également des plans pour établir un lien entre les places disponibles au sein de l’ENS à des postes dans des régions spécifiques (postes budgétaires ciblés), de manière à ce que les candidats au concours sachent où ils seront affectés s’ils obtiennent leur diplôme. À titre de suggestion supplémentaire, et pour alléger le fardeau, l’ENS pourrait également envisager de raccourcir la période d’affectation initiale, et de la ramener de cinq à deux ou trois ans.
Certains interlocuteurs ont avancé l’idée de la mise en place de mesures d’encouragement financier destinées à inciter les élèves (garçons et filles) à accepter des postes dans des régions éloignées. Dans la mesure cependant où tous les enseignants d’un échelon donné perçoivent le même traitement, indépendamment du fait qu’ils soient basés à Abidjan ou, par exemple, à Korhogo, ceux qui sont nommés dans le nord du pays ou dans une autre région rurale reçoivent en fait, d’ores et déjà, une prime compte tenu de la cherté de la vie à Abidjan par contraste avec le reste de la Côte d’Ivoire. Les enseignants sont conscients de cette disparité. Une enseignante de lycée rencontrée s’exprimait ainsi avec envie en parlant de l’une de ses collègues qui pouvait se permettre de faire construire une très jolie maison dans le nord, alors qu’elle et son mari ne pouvaient pas l’envisager à Abidjan. Les incitations financières existent donc déjà dans les faits.
Une fois qu’elles exercent leur métier, les enseignantes ne sont pas pour autant à l’abri des défis. Plusieurs facteurs contribuent à faire de l’enseignement une profession difficile pour les femmes. Les effectifs des classes peuvent être importants, puisqu’en zone urbaine près d’un quart comptent plus de 60 élèves pour un professeur selon les chiffres du Rapport d’État sur le système éducatif national (RESEN) 2016 (Graphique 12). Les enseignantes interrogées dans les lycées de Marcory et d’Abobo, à Abidjan, ont indiqué que les classes comptaient couramment de 60 à 80 élèves, et qu’un enseignant avait habituellement la charge de cinq classes.
Graphique 12: Répartition des rapports numériques élèves/enseignant (en %)
Source : UNESCO et UNICEF RESEN (2016), Graphique 4.8
Ces taux signifient que, dans un établissement d’enseignement du second degré en zone urbaine, un enseignant peut avoir la responsabilité de 300 à 400 élèves, ce qui fait peser sur lui une charge considérable. Apprendre leurs noms, gérer leur comportement en cours, noter leurs devoirs à la maison et surveiller les examens de classes aussi importantes est une tâche difficile. Pour ne rien dire des efforts requis pour se familiariser suffisamment avec eux pour comprendre les difficultés d’apprentissage auxquelles ils peuvent être confrontés individuellement, pour découvrir ce qui les motive et pour apprendre à les connaître assez pour appréhender les problèmes de nature à perturber leur scolarité qu’ils peuvent rencontrer en dehors de l’établissement. Les enseignantes jouent un rôle clé en apportant à leurs élèves un soutien émotionnel et en contribuant à les guider. Lors des entretiens conduits par l’équipe de GIS dans le cadre de groupes de discussion, toutes les enseignantes ont reconnu que les femmes conseillaient plus leurs élèves que leurs collègues masculins.
J’étais professeur avant de me marier, et je savais que je ne voulais pas épouser une collègue. Je voulais une femme qui puisse s’occuper des enfants, de la maison et de moi après le travail. Après tout, les hommes ne sont pas différents des bébés, nous aussi nous avons besoin que l’on prenne soin de nous. Interlocuteur masculin, Abidjan |
Si la charge de travail est la même pour tous les enseignants, hommes ou femmes, ces dernières assument plus de responsabilités au sein de la famille lorsqu’elles rentrent chez elles à l’issue de leur journée de travail, et elles sont nombreuses à insister sur les très longues heures de veille qui leur sont nécessaires pour venir à bout de leurs tâches quotidiennes.
En l’absence de statistiques officielles sur le nombre d’enseignants qui quittent la profession chaque année, les responsables du ministère de l’éducation ne considèrent pas que les départs en cours de carrière constituent un problème important, principalement en raison de la rareté des autres opportunités d’emploi. Les participants aux groupes de discussion ont acquiescé, ajoutant que ceux qui ne souhaitent pas continuer à enseigner demandent à être transférés à des postes administratifs dans le système éducatif ou ailleurs au sein de la fonction publique (les enseignants continuent à profiter de leur traitement élevé lorsqu’ils sont détachés auprès d’autres corps).
Interrogées au sujet du harcèlement sexuel au sein des établissements d’enseignement, les enseignantes ne font pas état de préoccupations particulièrement graves. Dans certains collèges ou lycées néanmoins, les menaces physiques, les violences et la perturbation des cours sont monnaie courante. Si ces violences sont en grande partie le résultat de la pauvreté et témoignent d’une certaine insécurité résiduelle à l’issue du conflit, une évaluation systématique du ministère de l’éducation est requise pour déterminer l’importance et la gravité de ces problèmes dans les divers établissements d’enseignement, et engager un dialogue avec les populations scolaires pour améliorer l’environnement de sécurité, d’apprentissage et d’enseignement.
Les deux établissements d’enseignement secondaire dans lesquels s’est rendue l’équipe GIS à Abidjan ont indiqué que des bandes de jeunes violentes opéraient dans le quartier où ils étaient implantés, ce qu’ont confirmé les enseignantes, les proviseurs et les représentants de l’unité genre du Syndicat national des enseignants du second degré de Côte d'Ivoire (SYNESCI). L’infiltration des salles de classe par ces bandes, ainsi que les menaces et les actes de violence qui s’ensuivent perturbent les cours pratiquement chaque semaine. Pour assurer la sécurité des personnels enseignants, à Abobo par exemple, il est désormais demandé aux professeurs de ne quitter les locaux de l’établissement qu’ensemble, en fin de journée, pour réduire les risques. Quoique violences et menaces affectent l’ensemble des personnels de l’établissement, les enseignantes disent se sentir plus vulnérables que leurs collègues masculins.
Il n’existe pas de stratégie systémique pour faire pièce à ces menaces. Une récente rencontre organisée au lycée moderne d’Abobo 1, à laquelle assistaient des administrateurs de district, des enseignants, des élèves et des responsables locaux a débouché sur l’élaboration d’un plan temporaire de financement de personnels de sécurité pour l’établissement. Le district scolaire a accepté de financer un service de sécurité pour une période de trois mois, les parents d’élèves étant supposés contribuer à ce financement par la suite. Des représentants du SYNESCI ont fait état des difficultés rencontrées pour dialoguer avec le ministère de l’éducation sur ce point. Ils ont dit se sentir ignorés et ont expliqué que l’administration centrale n’agissait qu’au coup par coup. Le RESEN 2016 note également que le ministère de l’éducation ne dispose d’aucun plan, que ce soit à l’échelon national, de la commune ou de l’établissement pour atténuer les risques qui perturbent l’éducation.
Si les solutions à ce problème ne sont pas du ressort de l’équipe GIS, l’insécurité constitue incontestablement un problème pour les enseignantes dans les deux établissements visités. La question n’a pas été évoquée par les enseignants-stagiaires de l’ENS, ni soulevée par l’équipe GIS lors des entretiens avec ceux-ci, puisque son attention n’a été attirée sur ce problème qu’après que ces conversations ont eu lieu.
Qui y a intérêt ? Les filles et les femmes ont intérêt à prolonger la durée de leurs études pour se doter des connaissances et des compétences dont elles ont besoin pour participer de manière plus productive au monde du travail. Les entreprises ont également intérêt à renforcer le pool de main d’œuvre qualifiée à leur disposition, ce qui bénéficie aussi à l’économie, en contribuant à améliorer la productivité et à dynamiser la croissance.
Résumé des défis existants. La gamme des possibilités économiques ouvertes aux filles et aux femmes est limitée par les tensions socioéconomiques ; la pauvreté des familles, le besoin d’aide au sein des ménages pour libérer les femmes et leur permettre de travailler à l’extérieur, de même que la nécessité à court terme de préserver la « valeur » de leurs filles en âge de se marier en les fiançant avant qu’elles ne soient enceintes hors mariage ; les menaces et les violences visant les filles en milieu scolaire (ou dans des situations d’hébergement hors de la famille associée à la scolarisation dans un établissement éloigné de leur domicile), ce qui entraîne des taux importants d’abandon scolaire et d’analphabétisme, et de manière générale, de mauvais résultats éducatifs et de formation ; la visibilité limitée de modèles (en particulier, en qualité d’enseignantes du secondaire) susceptibles de pousser les filles à rêver d’avenirs non traditionnels ; ainsi que la médiocrité des données relatives au marché du travail concernant les rendements de l’éducation en termes d’opportunité d’emploi et de rémunérations plus élevées de nature à décider les filles et leurs familles à investir dans l’avenir. Les femmes sont sous-représentées dans le corps enseignant, en partie en raison des goulots d’étranglement qui réduisent l’offre décrits précédemment, et en partie du fait d’autres difficultés systémiques rencontrées lors de leur formation et de leur affectation, mais aussi en tant que professionnelles accablées de travail et (dans certains cas) sous la menace.
Initiatives ciblées. Aider les filles de familles vulnérables à planifier au-delà du lendemain, elles ont besoin d’une gamme de soutiens destinés à accroître leur autonomie, telles qu’une intensification des activités de modèles potentiels et des communications dans le but de faire évoluer l’état d’esprit des familles et des populations quant à la contribution des filles à l’avenir du pays. Aider les femmes à devenir et à rester professeures du secondaire, et à y exceller, nécessitera une réelle volonté de comprendre les problèmes auxquels elles se heurtent dans cette profession. Au nombre des initiatives possibles, il convient de mentionner les suivantes :
Tableau 21: Recommandations en matière de renforcement de l’autonomie des jeunes filles et des femmes dans le domaine économique
Pour… | Il est recommandé de… | Pourrait être envisagé par… |
En fournissant et en diffusant des preuves des dividendes de l’éducation en matière d’emploi | ||
Améliorer la compréhension du comportement du marché du travail pour les femmes et les hommes en Côte d’Ivoire |
Avec l’Institut national de la statistique, le ministère du travail et la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) :
Lorsqu’un ensemble d’informations plus détaillées par sexe sur le marché du travail, est disponible, passer à la ligne suivante. |
Gouvernement ivoirien |
Mettre à disposition des informations plus complètes concernant les perspectives professionnelles des hommes et des femmes, et faire évoluer la perception du rôle économique des femmes en Côte d’Ivoire |
Élaborer un programme d’information solide de manière à ce que des informations sur les perspectives professionnelles, et notamment des données salariales et sur le rendement de l’éducation, soient plus aisément disponibles pour les filles, les garçons et leurs familles, afin de les aider à mieux appréhender la valeur à plus long terme de l’investissement dans leurs filles et leurs fils. Travailler avec des spécialistes des médias à l’élaboration d’une stratégie de communication pour diffuser dans la presse écrite, l’audiovisuel, le théâtre itinérant et les médias sociaux des histoires de femmes ivoiriennes exerçant des métiers non traditionnels (et notamment des professions artisanales et manuelles, scientifiques, de technologie, d’enseignement, commerciales et à distance). |
Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
En améliorant l’environnement éducatif pour les filles | ||
Faciliter la scolarité des enfants |
Examiner les horaires scolaires quotidiens pour regrouper le temps scolaire ; éliminer les longues pauses-déjeuner à la mi-journée au profit d’horaires de début et de fin de journée plus tôt ; étendre les dispositifs de repas gratuits pour compenser la perte de la pause-déjeuner et donner aux familles plus de raisons d’envoyer leurs enfants à l’école. |
Gouvernement ivoirien |
Améliorer les chances que les collèges de proximité permettent aux filles d’apprendre en sécurité |
Explorer la possibilité de travailler avec l’UNICEF et le ministère de l’éducation nationale pour renforcer les formations au code de conduite en matière de comportement sexuel dans les établissements scolaires ; renforcer les programmes d’éducation sexuelle et étendre sa mise en œuvre à l’école primaire. |
Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
Améliorer la probabilité de succès du recrutement de femmes pour des programmes de formation et d’enseignement technique et professionnel (FETP) | Combiner l’alphabétisation et la formation aux compétences mathématiques de base des adultes dans tous les programmes de formation et d’enseignement technique et professionnel. |
Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
Répondre aux besoins de formation des femmes en relation avec la zone industrielle | ||
Répondre aux besoins en main d’œuvre des employeurs par une offre de main d’œuvre disponible formée au fur et à mesure que l’aménagement de la zone industrielle progresse |
Travailler, par le biais de l’Agence de gestion et de développement des infrastructures industrielles (AGEDI), avec des sociétés implantées dans les zones industrielles, ou par l’intermédiaire d’associations commerciales ou sectorielles, pour identifier les besoins futurs des employeurs en matière de main d’œuvre ; au fur et à mesure que des centres de formation et d’enseignement technique et professionnel (FETP) sont développés, inclure le Bureau de coordination des programmes emploi (BCPE) dans les activités de planification, de manière à ce que les divers programmes d’insertion professionnelle soient informés de ces nouvelles options de formation ; inclure le BCPE et ses partenaires de mise en œuvre dans les discussions concernant l’élaboration d’une stratégie de recrutement de femmes pour les centres de formation et d’enseignement technique et professionnel. |
Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
Améliorer les signaux du marché du travail | Intégrer des informations relatives aux besoins en main d’œuvre d’employeurs implantés dans les zones industrielles, identifiés ci-dessus, dans les programmes de diffusion d’information à l’intention des élèves et de leurs familles, pour les aider à prendre des décisions éclairées et à arbitrer entre diverses options d’éducation et de formation. |
Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
Remarque : les lignes ombrées correspondent aux priorités recommandées par l’équipe GIS.
Qui y a intérêt ? Le fait que le corps enseignant du secondaire ne compte pas suffisamment de professeures décourage les filles et peut contribuer à de moindres performances scolaires. Les enseignantes peuvent également jouer le rôle de conseillères auprès des élèves.
Résumé des défis existants. Femmes et hommes sont mus par une passion similaire pour l’éducation et l’enseignement qui les conduit à présenter leur candidature au concours de l’ENS. Un certain nombre de défis attendent toutefois plus particulièrement les femmes, tant lors de leur formation que par la suite, au cours de leur carrière. Elles doivent éviter une grossesse durant leurs études à l’ENS, ou risquer de compromettre le calendrier de leurs études. Il est probable qu’elles seront affectées en zone rurale au moins pour leur premier poste, ce qui est particulièrement difficile lorsqu’elles sont mariées ou ont des enfants. Les défis liés à l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle associés à des classes encombrées et de grands nombres d’élèves sont particulièrement lourdes pour les femmes, qui sont également responsables de leur famille et de leur ménage après la fin de la journée scolaire. Dans certains établissements, elles sont confrontées à des menaces physiques, des violences et des perturbations en cours causées par des élèves inscrits ou non dans l’établissement.
Initiatives ciblées. Encourager plus de femmes à choisir l’enseignement secondaire pour profession, ce qui suppose des efforts lors de la formation à l’ENS, en relation avec l’affectation par la suite et dans l’environnement scolaire. Entre autres initiatives possibles, il convient de mentionner :
Tableau 22: Recommandations en matière d’amélioration des parcours professionnels des femmes dans l’enseignement secondaire
Pour… | Il est recommandé de… | Pourrait être envisagé par… |
Improving the Environment for Women Teacher-Trainees at ENS | ||
Encourager une plus grande empathie des élèves de l’ENS de sexe masculin à l’égard de leurs collègues féminines ; former à des compétences et des pratiques d’enseignement contribuant au traitement égal des garçons et des filles, ainsi qu’une participation similaire des uns et des autres en cours | Introduire une formation et des discussions participatives pour les élèves des deux sexes concernant les attentes à l’égard des uns et des autres, ainsi que leurs rôles respectifs[53]. |
Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
Faciliter des études normales pour les élèves enceintes, celles qui ont accouché récemment, ou les autres étudiants ayant des problèmes de santé | Introduire des dates d’examen alternatives ou de répétition des examens pour les étudiants qui ne sont pas capables de passer un examen à la date prévue. |
Gouvernement ivoirien |
Veiller à ce que les élèves perçoivent leur rémunération en temps opportun pour leur permettre de suivre leurs études | Réexaminer le taux de rémunération des élèves et le système de décaissement de l’ENS ; il conviendrait de verser les rémunérations sur une base mensuelle plutôt que semestrielle |
Gouvernement ivoirien |
Accroître la prévisibilité du système d’affectation des enseignants | Apporter un soutien aux pouvoirs publics pour qu’ils continuent à étudier les possibilités de décentralisation de la formation et de l’affectation des enseignants, telles que l’initiative visant à lier des places d’enseignement à des régions géographiques particulières.. |
Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
En encourageant les enseignantes à accepter des postes dans le monde rural | ||
Apaiser les inquiétudes des enseignantes-stagiaires de l’ENS quant à la disponibilité d’hébergements sûrs et adéquats dans les lieux d’affectation éloignés | Évaluer la mesure dans laquelle il est faisable, d’un point de vue financier, de construire des logements adjacents aux collèges de proximité dans les zones où il existe peu d’options de logement alternatives pour les enseignants. |
Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
Apaiser les inquiétudes des enseignantes concernant les affectations prolongées dans des régions rurales | Évaluer la mesure dans laquelle il serait possible d’abréger la durée de l’affectation des professeurs nommés dans des zones reculées dotées d’infrastructures limitées. |
Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
En améliorant l’environnement au sein des établissements pour les enseignants du secondaire | ||
Mieux équiper les enseignants pour le rôle important qu’ils jouent dans leur profession | Dispenser à tous les enseignants, dans le cadre de l’ENS, une formation pratique à la psychologie des adolescents et en matière de conseil. |
Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
Améliorer l’emploi qui est fait des enseignants et, dans la mesure du possible, réduire la taille des classes | Revoir l’utilisation faite des ressources de dotation en personnel actuelles ; des classes moins nombreuses rendront la charge de travail plus facile à gérer pour les enseignants, et permettront aux femmes enseignantes de mieux équilibrer responsabilités professionnelles et familiales. |
Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
Améliorer les environnements de sécurité, d’apprentissage et d’enseignement au sein des établissements d’enseignement | Apporter un soutien au ministère de l’éducation en matière d’évaluation de la gravité de la situation en termes de sécurité sur les sites de différents établissements d’enseignement, et concevoir un plan de dialogue avec les communautés scolaires. |
Gouvernement ivoirien |
Remarque : les lignes ombrées correspondent aux priorités recommandées par l’équipe GIS.
Pour encourager la transformation économique par l’industrialisation, la MCC étudie les propositions du gouvernement ivoirien en matière d’« urbanisation intelligente » en liaison avec l’aménagement d’une nouvelle zone industrielle à la borne kilométrique 24 (PK24) sur la route Abidjan-Yamoussoukro, ainsi que d’améliorations connexes en matière d’urbanisme et de transport urbain. Le projet à l’étude pourrait affecter la participation économique des femmes de plusieurs manières : 1) des travailleuses pourraient être employées par des entreprises industrielles implantées dans la ZI ; 2) des exploitantes d’entreprises informelles peuvent fournir des services aux sociétés et travailleurs dans la ZI PK24 ou à proximité ; 3) des femmes propriétaires de PME peuvent bénéficier de la mise de côté de biens fonciers à leur intention ; 4) des femmes stagiaires peuvent participer à des programmes de formation et d’enseignement technique et professionnel créés pour alimenter les entreprises industrielles installées dans les ZI en main d’œuvre qualifiée ; ou 5) les besoins des femmes seront identifiés et incorporés à l’urbanisme (voir section 6), y compris aux nouvelles zones industrielles.
Les informations sur la part actuelle des femmes dans la main d’œuvre employée sur les zones industrielles d’Abidjan sont peu nombreuses[54]. Un certain nombre de femmes sont employées par des entreprises industrielles. Une visite de la zone industrielle de Koumassi a montré que dans au moins une entreprise, les femmes constituent une part mineure de la main d’œuvre :
Encadré 12: Où travaillent les femmes dans les zones industrielles ? Nous n’avons pas disposé d’informations complètes sur les sociétés, les secteurs d’activité dans les zones industrielles. L’équipe GIS a visité une entreprise de fabrication située dans la zone industrielle de Koumassi, à l’est de la ville. Il s’agissait d’un fabricant industriel de canalisations et de tubes en PVC destinés aux marchés national, régional et d’exportation. La société a été fondée en 1972. Elle emploie aujourd’hui 300 salariés titulaires et 200 travailleurs temporaires. Environ 15 pour cent de cet effectif est affecté à des tâches administratives et de gestion. Dix pour cent sont des techniciens spécialisés et les autres des travailleurs à qualifications générales. Le directeur estime qu’environ 12 % de ses employés sont des femmes, qui travaillent principalement dans les fonctions d’administration et les laboratoires (note : selon des responsables de l’AGEDI, une autre société de Koumassi fabrique des postiches et perruques destinées à une clientèle féminine, et il est possible qu’elle emploie une proportion plus importante de femmes). L’entreprise recherche des électromécaniciens et chimistes qualifiés. Un établissement d’enseignement supérieur technique situé à Yamoussoukro formait autrefois des étudiants dûment qualifiés dans ces domaines, mais tel n’est plus le cas. La société s’efforce de conserver ses personnels et son taux de renouvellement de la main d’œuvre demeure faible. Le PDG de l’entreprise a souligné qu’il n’existait pas d’organisation de dirigeants d’entreprise dans la zone. Il ignore quelles sont les autres sociétés actives dans le voisinage de la sienne. Il a déclaré que les services qu’il recevait de l’agence publique de gestion de la zone (AGEDI) étaient limités. Il ne souhaite pas déménager dans la ZI PK24, dans la mesure où celle-ci est située trop loin du port et de ses clients. Un tel déménagement gênerait également ses salariés. Ce qui signifie qu’il devrait construire des logements à leur intention pour les inciter à se réinstaller. La société exportant une grande partie de sa production, la proximité du port est sa principale priorité. |
Dans certains secteurs, les femmes représentent une part relativement plus importante de la main d’œuvre. Tel est le cas de la fabrication de vêtements et de la transformation de produits agricoles qui emploient plus de femmes que d’autres secteurs. Il existe des différences similaires, en termes de participation des femmes, aux États-Unis (Tableau 23). Une analyse plus systématique des données d’emploi pour le secteur formel, par le biais de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), montrerait, à supposer qu’elle soit faisable, la part des hommes et des femmes dans des secteurs spécifiques. Elle pourrait également être utilisée pour identifier des données sur les rémunérations détaillées par sexe.
Tableau 23: Participation des femmes aux activités économiques susceptibles d’être implantées dans la ZI PK24
Secteur * | % de femmes employées, Côte d’ivoire (2012) | Secteur | % de femmes employées, États-Unis (2015) |
Agro-industrie (cacao, café, coton, noix de cajou, céréales, brasseries) | 29% | Transformation de denrées alimentaires | 40% |
Egrenage de coton | 0% | ||
Boissons | 26% | ||
Activités extractives (combustibles minéraux/hydrocarbures, or) | S.o. | Extraction pétrolière et gazière | 18% |
Extraction de minéral métallique | 0% | ||
Fabrication légère (plastiques, caoutchoucs et articles fabriqués à partir de ceux-ci) | S.o. | Fabrication de produits en plastique | 31% |
Fabrication de produits en caoutchouc (hors pneumatiques) | 33% | ||
Vêtements | 48% | Vêtements | 67% |
Industrie lourde (articles en fonte et acier, véhicules et machines) | S.o. | Aciéries et métallurgie, et fabrication de produits en acier | 11% |
Véhicules à moteur et équipements pour véhicules à moteur | 27% | ||
Autres industries | 14% | ||
Services (divers) | 7-68% | ||
Construction | 2% | Construction | 9% |
Note : activités industrielles susceptibles d’être implantées dans la ZI PK24 à partir de Dalberg (2016)
Sources : pour la Côte d’Ivoire : Situation de l’Emploi 2012, Tableau 12 ; pour les États-Unis : U.S. ministère fédéral du commerce (Department of Commerce), bureau des statistiques du travail (Bureau of Labor Statistics), enquête démographique (Current Population Survey), 2015
L’identification d’une offre de travailleurs pour la nouvelle zone industrielle constituera un défi pour les employeurs. Compte tenu de la distance qui sépare la nouvelle zone industrielle de la ville (telle qu’indiquée dans l’encadré qui précède), certains employeurs craignent d’avoir à mettre à la disposition de leurs salariés des logements ou des services de transport, afin de faciliter leur réinstallation à proximité des nouvelles usines. Dans le cas des femmes, en particulier, compte tenu des préoccupations en matière de gestion de la sécurité et du temps, le fait que la zone ait été construite à une certaine distance de leur lieu de résidence signifie qu’elles seront probablement réticentes à l’idée d’y travailler. Avec le temps cependant, et au fur et à mesure que l’agglomération d’Abidjan s’étendra, la zone pourra jouer le rôle de pôle de croissance et inciter à la création dans les environs de logements et d’installations à l’intention des professionnels et des personnels techniques.
La participation économique des femmes dans l’économie ivoirienne est en grande partie concentrée dans l’agriculture ou dans les petites entreprises informelles. Il existe diverses raisons à cela : leurs responsabilités reproductives et ménagères, leur niveau d’éducation comparativement moins élevé et leurs compétences commerciales limitées, leur manque d’accès aux financements, une réglementation des activités économiques considérée comme paralysante (dont l’impact est ressenti plus durement par les femmes du fait du peu de temps dont elles disposent), et le fait qu’elles ne disposent pas de réseaux professionnels et sociaux (Banque mondiale, 2015). Selon l’ENV 2015, le taux global d’emploi informel est élevé (90 % à la fois pour les hommes et les femmes).
Encadré 13: Comptabiliser le travail des femmes L’Agence nationale d’appui au développement rural (ANADER) est un partenariat public-privé dont la mission consiste à améliorer les conditions en milieu rural en renforçant le professionnalisme avec lequel les organisations agricoles et les producteurs utilisent des approches et des outils adaptés dans la perspective d’un développement professionnel durable. La direction genre et développement de l’ANADER expliquait l’importance d’une approche du développement rural prenant en compte la dimension du genre. « Autrefois, parce que seuls les héritiers de sexe masculin pouvaient hériter des plantations de cacao, la filière était totalement dominée par les hommes », indiquait la directrice. « Nous avons réalisé une étude qui nous a permis de conclure que les femmes jouaient un rôle en relation avec 12 des 19 tâches associées à la culture du cacao, et qu’elles représentaient plus d’un tiers de la main d’œuvre. » Elle concluait en soulignant que maintenant que les données avaient mis en lumière l’importance du rôle des femmes dans la culture du cacao, l’agence créerait des programmes de formation destinés à leur apporter des compétences dans ce domaine. En l’absence de collecte et d’analyse de données par sexe, il est impossible d’apprécier véritablement la participation économique des femmes. |
Pour encourager l’enregistrement des entreprises, la Côte d’Ivoire a introduit un certain nombre d’innovations institutionnelles. Le Centre de promotion des investissements en Côte d'Ivoire (CEPICI) fait ainsi, depuis 2012, office de guichet unique pour la création de nouvelles entreprises, l’accès au foncier industriel, l’investissement et la simplification des procédures administratives. Début 2016, néanmoins, ces services n’étaient disponibles qu’à Abidjan. Des dispositifs incitatifs spéciaux sont proposés aux entreprises dont le revenu annuel n’excède pas 10 millions CFAF (par exemple, l’exonération de droits divers). Si le CEPICI ne dispose pas d’une stratégie en matière d’égalité des sexes, sa directrice actuelle promeut un environnement de travail accueillant pour les femmes et des programmes de sensibilisation destinés à informer les entreprises dirigées par des femmes et à les encourager à s’intégrer à l’économie formelle. Le CEPICI propose également des services spécialisés de conseil fiscal, en précisant que des organisations d’affaires dirigées par des femmes pourraient solliciter son soutien. Le CEPICI indique qu’il procède à un suivi de statistiques détaillées par sexe concernant les nouvelles entreprises approuvées et immatriculées, ainsi que le nombre d’emplois attendus[55].
La possibilité pour les femmes de bénéficier d’entreprises agricoles est limitée par la difficulté pour elles d’accéder au foncier et par l’idée qu’elles sont exclues de cultures marchandes rémunératrices telles que le cacao. Une étude innovante réalisée par l’agence ivoirienne en charge du développement rural a confirmé que la contribution des femmes dans le secteur du cacao était loin d’être négligeable (voir encadré ci-contre). Les femmes sont contraintes de négocier avec leur famille ou leur mari pour accéder aux terres agricoles. Elles doivent également surmonter d’autres obstacles, tels qu’un accès limité au crédit, à l’information et aux réseaux économiques (Banque mondiale, 2013).
Encadré 14: West Africa Trade Hub soutient les femmes entrepreneur En décembre 2016, West Africa Trade Hub, organisation soutenue par USAID, a annoncé qu’elle étendait son accès aux services financiers aux femmes entrepreneur de Côte d’Ivoire. Trente femmes créatrices de PME ont été sélectionnées en vue d’un programme pilote pour évaluer leurs besoins en termes de services financiers. En collaboration avec la banque NSIA, le Trade Hub assurera un coaching en matière de comptabilité adéquate, ainsi qu’une formation à l’évaluation de leurs besoins financiers, et mettra en place des financements. Pour sa part, la banque formera ses personnels à l’octroi de prêts à des femmes entrepreneur et créera une base de données d’entrepreneurs en vue d’une expansion potentielle du programme. La nécessité d’un soutien au développement d’activité a été confirmée par les rencontres de l’équipe GIS. Une femme entrepreneur avait créé son activité dans le secteur du textile en 2013. Elle a immatriculé l’entreprise officiellement, mais a expliqué qu’elle ne s’attendait pas aux complications au niveau de la gestion d’une société, telles que la tenue de comptes et le dépôt de déclarations de revenus, et qu’elle n’était pas équipée pour cela. Elle aurait apprécié de bénéficier d’un soutien accru dans ce domaine au démarrage de son activité formelle. |
L’accès des femmes aux services financiers (tels que les prêts bancaires) est limité car, bien souvent, elles ne satisfont pas aux critères de prêt des banques, tels que l’apport d’une garantie sous la forme de la propriété d’un bien immobilier ou de cultures de rapport (SIGI OCDE CIV). Une enquête de 2013 a montré que la difficulté d’accéder au crédit, le coût élevé du capital et la brièveté des délais de remboursement de prêt comptent au nombre des obstacles les plus fréquemment mentionnés par les femmes entrepreneur, en milieu rural et urbain. Les entretiens conduits par l’équipe GIS avec des femmes d’affaires confirment ce résultat. Les femmes propriétaires d’entreprise ont aussi précisé que certaines institutions de microfinance continuent à exiger l’accord de leur mari pour ouvrir un compte ou obtenir un prêt ; tel n’est pas le cas des hommes mariés. Il se peut qu’il s’agisse d’une survivance d’anciennes règles, antérieures à la réforme du droit du mariage qui, en 2013, a privé le mari de son statut de chef de famille. Une femme qui gère un service de conseil aux services aux entreprises, et qui travaille avec des PME dirigées par des femmes, a souligné que l’analphabétisme et le défaut de compétences mathématiques de base, tout autant que la difficulté d’accès au capital empêchaient fréquemment les entreprises des femmes de grandir. Une femme a expliqué qu’il existait, aux États-Unis, un marché pour ses produits textiles, mais qu’une chaîne d’approvisionnement médiocre et un accès limité aux finances l’avaient empêché de développer son activité pour atteindre une échelle qui lui permettrait d’exporter.
Il conviendrait qu’un urbanisme respectueux de la place des femmes prenne expressément en compte, en relation avec l’aménagement d’une zone industrielle, les besoins des femmes travaillant dans ces zones et à proximité de celles-ci. Des visites, qui n’ont rien de scientifique, de zones industrielles permettent de constater l’existence de nombreuses microentreprises exploitées par des femmes qui vendent de la nourriture, des boissons et des biens de consommation courante. Il ne semble pas que les espaces physiques où elles opèrent disposent d’un accès à l’électricité, à l’eau potable ou à des installations sanitaires. Il est impossible de dire à quelle distance elles se trouvent du domicile de ces femmes, mais il est manifeste que, compte tenu de la nécessité, pour ces femmes, de jongler entre activités familiales et moyens d’existence, la proximité de leur résidence de la ZI est une priorité pour ces femmes. Parce qu’elles sont vulnérables à la criminalité, il est également essentiel pour elles que les routes soient bien éclairées. Lors de la conception et de l’aménagement d’une nouvelle zone, il serait utile d’explorer la possibilité d’identifier ou de promouvoir une organisation regroupant des entreprises informelles exploitées par des femmes, afin de recueillir son point de vue concernant les priorités de ces entreprises informelles exploitées par des femmes.
Les femmes propriétaires d’entreprise intégrées à l’économie formelle appartiennent à des associations d’employeurs et de petites entreprises. Au sein des associations, les femmes s’apportent les unes aux autres des conseils et un soutien économique, et échangent des informations sur les opportunités dans le domaine du marketing et des opportunités relationnelles. Les membres de groupes de marché ou commerciaux locaux effectuent régulièrement des dons qui sont utilisés pour aider ceux d’entre eux qui rencontrent des difficultés. Les femmes ont indiqué qu’elles appréciaient les contacts commerciaux, les échanges avec des intervenants internationaux (tels que l’équipe GIS) et les informations sur des évolutions plus globales auxquels leur donnent accès ces organismes professionnels. Les associations commerciales, qu’elles soient limitées à une profession ou qu’elles aient une envergure régionale, ainsi que les chambres de commerce, sont des sources d’information importantes, et permettent aux membres de se tenir informés des expositions et salons commerciaux, des occasions de formation ou des rencontres des pouvoirs publics avec les représentants d’un secteur.
« Nous ne sommes pas représentées et nous n’avons pas le même accès à l’information que d’autres sur le marché. » Coopérative de femmes négociantes de gros, au sujet du groupe d’intérêts économique sur le marché de gros |
Rares sont les femmes aux commandes d’organismes commerciaux importants tels qu’une chambre de commerce ou une organisation patronale. Les femmes propriétaires d’entreprise expliquent ne pas encore avoir atteint une masse critique, en termes de nombre de membres, propre à leur permettre de soutenir la candidature d’une femme à un poste de leadership. De manière générale, il semble que les hommes tendent à choisir d’autres hommes et à voter pour eux. Ce sentiment s’est exprimé aussi bien à Abidjan qu’à Bouaké.
Par le biais de leurs associations, certaines femmes chef d’entreprise ont accès à l’administration et peuvent ainsi ouvrir un dialogue public-privé ou prendre part à des initiatives recevant le soutien de donateurs telles que le West Africa Trade Hub d’USAID. Aussi bien des négociants céréaliers que des représentants de l’organisation de la filière karité ont indiqué que le Trade Hub diffusait des informations utiles sur les foires commerciales, des questions techniques et les formations. L’appartenance à ces associations peut aussi permettre de partager les coûts de participation aux foires régionales ou à des visites d’étude. Le Salon de l’artisanat se déroule ainsi tous les deux ans au Burkina Faso. Une responsable de l’Association des femmes artisanes de Côte d'Ivoire (AFACI) a estimé le coût d’une participation à quelques 2 millions CFAF, en tenant compte des frais de transport, de transport de marchandises, d’hébergement et de location de stand (dont le coût est de 700 000 CFAF).
Des membres de l’African Association of Women in Geosciences ont décrit les difficultés qu’elles rencontraient en tentant de se faire une place dans un secteur dominé par les hommes (science, recherche). Leur association, qui regroupe des femmes scientifiques de tout le continent, leur permet de faire connaissance, de trouver des soutiens et de jouer un rôle de mentor auprès de doctorantes.
À Abidjan, un tel accès est plus courant, mais dans des régions plus reculées du pays, les femmes ont le sentiment de ne pas jouir d’un tel accès à l’information. Des femmes entrepreneur ont déclaré : « nos sœurs, dans le nord, se sentent particulièrement découragées. Elles ont le sentiment qu’en dehors d’Abidjan, il ne se passe rien. Elles s’irritent du temps perdu à s’efforcer de travailler, avec des donateurs, à la mise en place d’initiatives solides. Elles ont besoin de fonds et de résultats ». Une femme a plaidé en faveur de la création de zones industrielles en dehors d’Abidjan.
Qui y a intérêt ? Les femmes ont intérêt à élargir le spectre des moyens d’existence à leur disposition, ainsi qu’à développer leurs opportunités d’emploi. Il est toutefois nécessaire que celles-ci se situent à une distance raisonnable de leur domicile, de manière à minimiser les coûts et le temps de déplacement, et à limiter l’insécurité. Il faut aussi qu’il s’agisse d’un travail « décent »[56], c’est-à-dire, présentant une certaine flexibilité quant aux horaires, pour leur permettre d’équilibrer responsabilités familiales et professionnelles.
Résumé des défis existants. Il arrive que les femmes soient exclues de certains métiers dans certains secteurs du fait de stéréotypes professionnels. Les femmes qui exploitent des entreprises informelles dans les zones industrielles et aux alentours de celles-ci n’ont d’autre choix que de s’accommoder d’infrastructures physiques en mauvais état. Elles doivent également affronter le risque représenté par les activités criminelles et les violences sexistes. Les femmes propriétaires de PME sont désireuses de disposer d’un accès égal à l’information relative à la disponibilité du foncier industriel pour être à même de déterminer si une implantation dans la ZI PK24 serait pertinente pour elles. Enfin, les femmes suivant des formations techniques doivent surmonter les préjugés de leur famille quant à ce qui constitue un « travail féminin » adéquat.
Initiatives ciblées. Pour aider les femmes à profiter de l’aménagement d’une nouvelle zone industrielle juste à l’extérieur d’Abidjan, sur l’autoroute nord-sud :
Tableau 24: Recommandations en matière de renforcement de l’entrepreneuriat féminin et de place des femmes dans les zones industrielles
Pour… | Il est recommandé de… | Pourrait être envisagé par… |
Encourager le leadership féminin dans le monde de l’entreprise | ||
Améliorer la visibilité des entreprises appartenant à des femmes ou dirigées par des femmes |
Sensibiliser, au sein des associations d’entreprises, à la nécessité d’intégrer dans leurs rangs plus de femmes propriétaires d’entreprise ; identifier des femmes responsables d’entreprise pour recruter d’autres femmes à des postes de leadership ; identifier des femmes responsables d’entreprise en qualité d’agent de changement pour assurer le mentorat et le recrutement d’autres femmes à des postes de leadership au sein d’associations d’entreprises. |
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Encourager les associations d’entreprises regroupant des femmes à collaborer étroitement avec le Centre de promotion des investissements en Côte d'Ivoire (CEPICI) pour en apprendre plus sur les avantages de l’immatriculation formelle d’une entreprise | Partenaires internationaux pour le développement | |
En accroissant la participation des femmes aux zones industrielles | ||
Accroître la probabilité que les femmes bénéficient de l’aménagement de la zone industrielle en termes d’emploi mieux rémunéré | Encourager l’intégration d’activités de soutien à l’aménagement de ZI reposant sur des considérations en matière d’emploi différenciées par sexe : par exemple, envisager de cibler des secteurs employant des femmes tels que la transformation de productions agricoles et les industries manufacturières légères, c’est-à-dire, des activités dont la probabilité qu’elles emploient des femmes est plus élevée. |
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Veiller à ce que les entreprises dirigées par des femmes, ou appartenant à des femmes, jouissent d’un accès égal à l’information relative à la manière de participer à l’aménagement de zone industrielle | Encourager un dialogue ciblé sur l’espace PME avec des associations d’entreprises regroupant des femmes, par le biais de Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire, la Fédération ivoirienne des petites et moyennes entreprises, la chambre de commerce et d’industrie, ainsi que d’autres pertinents. |
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Incorporer les besoins des femmes en termes de circulation sûre dans les zones industrielles et à proximité de celles-ci, ainsi que pour les rendre accueillantes à un large éventail d’entreprises dirigées par des femmes, ou appartenant à des femmes |
Concevoir l’espace physique de la ZI PK24 en tenant compte des besoins des travailleuses (aussi bien dans le secteur formel qu’informel), en particulier en veillant à un bon éclairage public, en construisant des trottoirs et des installations sanitaires modernes minimales, en veillant à l’existence d’espaces communs où les travailleurs peuvent acheter de la nourriture et la consommer, ainsi qu’en prévoyant un accès à des modes de transport réguliers vers les zones résidentielles et depuis celles-ci ; veiller à ce que les travailleuses, les entreprises et les stagiaires soient consultées à l’avance pour les encourager à faire part de leurs idées ou suggestions à l’occasion de la définition de spécifications de conception. |
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Connaître les besoins des entreprises informelles des femmes |
Identifier une stratégie pour « organiser » les entreprises informelles qui opèrent dans les zones industrielles et aux alentours de celles-ci, afin d’être à même de contacter les femmes qui, d’ordinaire, les gèrent, les informent et veillent à ce que des réponses soient apportées à leurs besoins. Encourager l’AGEDI à recueillir et à diffuser des informations concernant les sociétés présentes dans chaque zone, leurs activités, le nombre d’hommes et de femmes qu’elles emploient, et les métiers qui y sont représentés ; un tel recensement devrait inclure des informations aussi bien sur les entreprises formelles qu’informelles. |
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Remarque : les lignes ombrées correspondent aux priorités recommandées par l’équipe GIS.
La prise en compte de la place des femmes dans le secteur des transports est essentielle pour veiller à ce que les modes de transport soient équitables et abordables, et à ce qu’ils donnent accès aux ressources et aux opportunités nécessaires au développement. La dimension du genre doit être prise en compte lors de la conception et de la planification d’infrastructures et de services de transport, car les inégalités fondées sur la différence sexuelle ralentiront la croissance économique et les avancées dans le domaine de la lutte contre la pauvreté dans les pays en développement. Banque mondiale, 2010 |
Des transports fiables, abordables et sûrs permettent de concrétiser des opportunités économiques, de trouver un emploi, et d’accéder à l’éducation, à la santé et à d’autres services sociaux, ainsi que de prendre part à des activités locales et civiques. Le transport routier est traditionnellement considéré comme dominé par les hommes[57].
Au-delà du rôle des femmes en tant que consommatrices de services publics et privés de transports routiers (par automobile, taxi, minibus, autobus, camion) pour déplacer des personnes et des biens, les femmes de Côte d’Ivoire sont, ou pourraient être, le cas échéant, impliquées dans le secteur du transport routier en qualité 1) d’investisseuse, de propriétaire ou de dirigeante d’entreprises de transport routier susceptibles d’être membre d’associations du secteur privé regroupées dans le cadre du Haut conseil du patronat des entreprises de transport routier de Côte d`Ivoire[58] ; 2) de chauffeur (encore que les préjugés locaux paraissent leur interdire les secteurs des taxis, des autobus ou des camions)[59] ; 3) de responsables politiques au sein du secteur public (ministère des transports, AGEROUTE, Fonds d’entretien routier (FER) et autres agences), ou par la participation à celui-ci ; 4) d’ingénieur routier et de planificatrice d’aménagement routier[60] ; 5) de propriétaire ou de dirigeante d’entreprise privée fournissant des services d’entretien et de nettoyage routier, de logistique et de construction ; 5) de membre d’équipe d’entretien ou de nettoyage routier ; ou 7) d’exploitante d’entreprise informelle fournissant des services de vente au détail ou de traiteur destinés aux équipes de construction.
Responsabilités et rôles financiers, sociaux et culturels influencent l’accès des femmes et des hommes au transport et aux infrastructures, ainsi que l’utilisation qu’ils en font et l’intérêt qu’ils portent à ceux-ci :
Sécurité. La sécurité dans les transports préoccupe plus les femmes, en particulier le soir et à la nuit tombée. Ces inquiétudes portent notamment sur le fait de savoir s’il est sûr d’attendre l’arrivée d’un véhicule de transport en commun ou de marcher jusqu’à destination après être descendue d’un véhicule. L’enquête de l’Afrobarometer 2014 a montré que 35 % des femmes et 32 % des hommes estimaient courir un risque en marchant dans leur quartier. Dans le cas des plus démunis[61], ces pourcentages atteignent 46 % des femmes et 42 % des hommes. La peur d’être victime de violences physiques, ou pour leur sécurité personnelle, est donc une préoccupation de premier plan pour les femmes comme pour les hommes en Côte d’Ivoire. S’y ajoute cependant, pour les femmes, la crainte très réelle et extrêmement prégnante du harcèlement sexuel ou de violences physiques. La peur des violences dicte donc où les femmes se rendent et à quel moment elles circulent. Il peut en résulter des itinéraires plus complexes et onéreux. Il arrive également que les femmes renoncent purement et simplement à se déplacer. La Banque africaine de développement (BAfD) a récemment indiqué que la sécurité constituait une préoccupation de tout premier plan pour les femmes en matière de transports.
En particulier l’après-midi, la circulation est difficile. Les prix peuvent tripler. Il peut arriver qu’un chauffeur refuse de vous prendre en charge. Pour rencontrer un client, il est possible que vous deviez quitter votre domicile à 6 heures du matin, ce qui peut être difficile lorsque vous avez des enfants. J’ai quelqu’un qui m’aide chez moi, mais cela veut dire que je ne vois pas mes enfants le matin. Il arrive également que je reste à la maison jusqu’à 10h pour attendre que les embouteillages matinaux soient passés, mais cela veut aussi dire que j’ai moins de temps pour rencontrer des clients. Entrepreneure d’Abidjan décrivant les choix qu’elle doit faire du fait des bouchons |
Modes de transport. Dans de nombreuses régions du monde, la probabilité que les hommes soient propriétaire d’un véhicule ou d’un vélo, ou utilise l’un ou l’autre, est plus élevés. En Côte d’Ivoire, seulement 3 % des ménages sont propriétaires d’une voiture, 19 % d’une mobylette ou d’une moto et 39 % d’un vélo. Les vélos sont bien plus répandus en zone rurale (57 %) qu’en ville (18 %) (EDS 2011-2012). En Côte d’Ivoire, moins de femmes que d’hommes conduisent une voiture, et les femmes sont également moins nombreuses, à la campagne ou en ville, à circuler en vélo que les hommes. Traditionnellement, les garçons reçoivent des vélos en cadeau, et il est donc plus probable qu’ils apprennent à faire du vélo, ce qui est attendu d’eux au plan culturel. Il n’en va pas de même des filles. La plupart du temps, les gens marchent, en raison du peu d’argent dont ils disposent pour emprunter les transports en commun et, en particulier en milieu rural, du caractère extrêmement limité de l’offre de transport. De récentes enquêtes ont montré que la marche constituait le mode de déplacement principal des deux tiers de la population d’Abidjan et de sa couronne (INS 2013a ; INS 2013b).
Responsabilités familiales. Comme dans la plupart des sociétés, les femmes de Côte d’Ivoire assument l’essentiel des tâches domestiques, et c’est avant tout à elles qu’il revient de s’occuper des enfants et des personnes âgées. Les femmes jonglent avec de multiples tâches entre lesquelles elles partagent leur temps, et elles doivent, en conséquence, soigneusement planifier le temps qu’elles passent à l’extérieur. Elles en sont donc réduites à renoncer à des clients, marchés ou commandes, ou à des emplois en raison de transports publics imprévisibles, inflexibles et onéreux, incompatibles avec leurs obligations domestiques et familiales. Elles n’ont donc souvent d’autre choix, pour pouvoir assumer leurs responsabilités familiales, que d’accepter des emplois moins bien rémunérés, ou d’exercer des activités commerciales informelles plus près de leur domicile (Banque asiatique de développement, 2013).
Revenu et contrôle exercé sur les ressources. En Côte d’Ivoire, le pourcentage de femmes qui gagne de l’argent est plus faible que celui des hommes. Les femmes ont également moins de contrôle sur l’argent qu’elles gagnent. Elles ont donc moins accès aux fonds nécessaires pour emprunter les transports publics (Tableau 16). Dans la grande région d’Abidjan, le prix de 200 FCFA appliqué par la Société des transports abidjanais (SOTRA) correspond à un tarif forfaitaire subventionné, indépendant de la distance parcourue ou de la destination. Il s’agit donc fréquemment du mode de transport public le moins onéreux. Les prix pratiqués par les taxis collectifs (les wôrô-wôrô, qui sont la forme de transport public la plus répandue) et les minibus débutent à 100 FCFA. Cependant, ainsi qu’indiqué plus haut, la sur-fréquentation signifie souvent que les femmes ont moins accès aux autobus de la SOTRA.
Régimes de transport. Du fait de leurs responsabilités domestiques et familiales quotidiennes, les modalités de déplacement des femmes sont plus complexes que celles des hommes. Il est fréquent qu’elles effectuent des trajets plus courts ou combinés impliquant des arrêts pour acheter de l’alimentation, accompagner les enfants à l’école ou à un rendez-vous chez le pédiatre, ou faire d’autres courses (Banque mondiale, 2010). Les arrêts supplémentaires ralentissent leurs déplacements, et lorsqu’elles empruntent les transports publics, il leur en coûte plus pour payer le segment suivant de leur trajet.
Marchandises transportées. La majorité des femmes ivoiriennes exercent une activité agricole. Comme ailleurs, les productions et les produits vendus diffèrent entre les hommes et les femmes. Les femmes cultivent, transportent et vendent plus fréquemment des fruits et légumes, qui sont plus périssables. Le risque de perte dû au mauvais état des routes, à la disponibilité limitée des moyens de transport ou aux retards, à la présence de points de contrôle illégaux et à la demande de dessous-de-table (tracasseries) en cours de route, est donc plus important. De ce fait, les pertes postérieures à la récolte survenant lors du transport touchent plus les femmes que les hommes. La probabilité que les femmes se déplacent avec de jeunes enfants ou d’autres membres de la famille plus âgés est également plus importante, ce qui rend plus difficile de monter et de voyager à bord de véhicules de transport public surchargés.
Médiocrité des infrastructures, services de transport limités et insécurité endémique des voies de circulation en milieu rural pèsent sur la mobilité des femmes, leur accès aux marchés et leurs revenus plus qu’ils n’affectent ceux des hommes. Dans les campagnes, le transport des denrées agricoles fraîches incombe principalement aux femmes auxquelles il appartient de les acheminer de l’exploitation au centre de collecte ou au marché le plus proche. L’équipe GIS a rencontré de nombreuses femmes exerçant des métiers dans le secteur du commerce de détail ou le courtage de gros ou à l’exportation au-delà du point de collecte initial. Il convient de souligner qu’à ce stade de la filière, le nombre des hommes excède celui des femmes. Toutefois, l’essentiel du réseau capillaire est en mauvais état, et les routes sont, soit inutilisables par des véhicules à moteur, soit desservies plus rarement par les transporteurs. Le mauvais état du réseau et l’accès limité aux transports a plusieurs conséquences en termes de participation économique des femmes. L’une d’elles est le temps passé à attendre l’arrivée d’un moyen de transport ou sur la route, à bord d’un véhicule progressant lentement. Il convient d’ajouter à cela l’attente sur les marchés, où les femmes sont cibles de violences. Ensuite, ainsi qu’indiqué plus haut, le risque que les denrées agricoles transportées par les femmes soient endommagées est plus élevé.
Plusieurs coopératives de femmes exploitantes ou négociantes rencontrées par l’équipe GIS ont mis l’accent sur les difficultés rencontrées par les femmes pour transporter leur production de l’exploitation ou du point de collecte primaire au niveau du village jusqu’à des zones de collecte secondaire. Dans certaines régions, les femmes doivent transporter leur production de l’exploitation au point de collecte ou au marché le plus proche. Du fait de la médiocre qualité du réseau capillaire, les conducteurs de poids-lourds (propriétaires-exploitants ou chauffeurs) sont peu enclins à se rendre dans les localités isolées, ce qui augmente le coût des transports jusqu’aux villages et à partir de ceux-ci. Une exploitante a expliqué que le prix qu’elle acquittait pour le transport de denrées depuis sa ferme jusqu’à la route principale était le double de celui qu’elle paierait si la route était en bon état. Bien qu’aucun rapport consacré à cette question n’ait encore été publié, des chercheurs de la Cellule d’analyse de politiques économiques (CAPEC) du Centre Ivoirien de Recherches Economiques et Sociales (CIRES) ont souligné que la plupart des femmes rencontraient des problèmes en termes d’accès, de sûreté et de sécurité des transports sur le réseau capillaire, sur lequel elles circulent plus souvent que sur les routes régionales.
Les routes en mauvais état, sur lesquelles les véhicules doivent rouler plus lentement, et où les pannes sont fréquentes, les risques de vol, d’attaque à main armée et violentes sont plus élevés. Bien que l’équipe GIS ne dispose pas de chiffres pour prouver ce qu’elle avance, nous avons entendu des récits à ce sujet de représentants de producteurs ruraux dans diverses régions du pays, pas seulement le long du couloir nord. Si les vols, ou le risque qu’ils représentent, affectent les hommes et les femmes, ces dernières sont également les victimes de violences sexuelles. Un certain nombre de productrices et d’associations commerciales ont insisté sur le fait que la violence limitait la mobilité des femmes et les empêchait de circuler à leur gré. Nombre de parties prenantes ont parlé à l’équipe GIS des violences dont elles, ou des femmes de leur connaissance, avaient été les victimes, ainsi que de la manière dont le risque de telles actions affectait leurs décisions d’effectuer un déplacement ou non. En particulier, le risque de vol est plus important les jours de marché, où il est bien connu dans la population que de l’argent circule et où l’on sait qui s’est rendu au marché.
Dans certains villages, le camion ne passe qu’une fois par semaine. Le manque de régularité des transports et leur fréquence insuffisante sont cause de pertes de produits de récoltes pour tout le monde, mais le préjudice est plus important pour les femmes qui produisent des denrées plus périssables comme les tomates. Une femme membre d’une coopérative à Bouaké |
L’utilisation de l’argent mobile (transfert d’argent sur le téléphone) constituerait une bonne manière de limiter l’exposition au vol, mais les négociantes de gros de Bouaké, qui se rendent dans les villages pour acheter des denrées agricoles, ont constaté que l’utilisation de l’argent mobile en zone rurale demeurait limitée. Elles ont indiqué que dans certaines zones, il n’existait pas de couverture de téléphonie portable. Ensuite, le nombre des revendeurs (et donc des utilisateurs) d’argent mobile en milieu rural est limité car il n’existe pas de succursales bancaires rurales auprès desquelles des revendeurs peuvent déposer leurs espèces et minimiser ainsi leur risque de vol. D’autres pays d’Afrique subsaharienne, et notamment le Kenya, la Tanzanie, le Rwanda, l’Éthiopie et le Ghana, ont promulgué une réglementation destinée à autoriser les activités de banque correspondante. Celles-ci permettent aux banques commerciales d’être présentes dans les zones rurales en permettant à des agents indépendants, d’ordinaire une entreprise locale, de fournir un certain nombre de services financiers, en particulier d’acceptation de dépôts, pour le compte de banques commerciales (Banque mondiale, 2016c). La Côte d’Ivoire aurait profit à faire de même.
Tous les interlocuteurs avec lesquels s’est entretenue l’équipe GIS ont reconnu qu’une amélioration de l’état du réseau capillaire améliorerait l’accès aux marchés, réduirait le coût du transport et limiterait le risque de vol et de violences sur les routes rurales. Dans la mesure où, dans ces régions, ce réseau est le plus utilisé par les femmes, les effets en termes financier, de sécurité et d’économies de temps pour celles-ci seraient importants.
Encadré 15: Le coût souterrain de la mauvaise qualité des axes de transport Même si les hommes sont tout autant victimes de violences que les femmes sur la route, ces dernières ne perçoivent pas les violences de la même manière. L’Association Nationale des Organisations Paysannes de Côte d’Ivoire (ANOPACI), qui travaille en étroite concertation avec les femmes des régions rurales, a fait état de multiples cas de violences sexistes dans le contexte d’activités économiques féminines imputables à la présence de points de contrôle routiers. Dans le domaine du transport de denrées alimentaires, les hommes sont très majoritairement propriétaires et conducteurs de poids-lourds, alors que les commerçantes s’efforcent de transporter leur production jusqu’aux divers marchés. Selon l’ANOPACI, il arrive que des femmes soient enlevées, se fassent voler leur production ou leur argent, et qu’elles soient victimes d’une agression ou d’un viol. La Société coopérative de solidarité de Bouaké, qui regroupe des femmes grossistes en céréales qui commercent entre Bouaké et Ouagadougou a confirmé ces attaques répétées aux barrages routiers et souligné les risques que courraient ces femmes lorsqu’elles effectuaient des trajets sur cet itinéraire pour leurs affaires. « En tant que femmes, nous ne pouvons plus travailler, se lamentaient-elles, nous nous faisons agresser sans arrêt ». Mais, le commerce transfrontière étant si lucratif, elles n’en continuent pas moins à prendre le risque de voyager en groupe dans le couloir régional pratiquement un mois sur deux. |
Dans toute l’Afrique de l’ouest, les routes sont parsemées de points de contrôle, officiels ou non, ce qui ralentit le transport de passagers et de marchandises, et alourdit le coût pour les entreprises. La question des points de contrôle sur les routes commerciales agite la région depuis plusieurs décennies[62]. Les points de contrôle illégaux et les rançons réclamées sont une gêne pour tous les commerçants, mais divers observateurs, confortés dans leurs conclusions par le témoignage de négociantes, ont souligné que les femmes étaient, à cet égard, plus vulnérables que les hommes. Elles vendent des produits de cultures vivrières, mais rarement de cultures de rente, de sorte qu’elles disposent de moins d’argent pour payer la rançon exigée, et qu’il peut arriver qu’elles soient retenues plus longtemps à un barrage routier. Elles courent aussi le risque que leur production ne se détériore si elles sont retenues plus longtemps. Les membres d’une coopérative de négociantes en gros ont également expliqué que, d’un point de vue culturel, les femmes avaient moins de pouvoir de négociation, ce qui les rendait plus vulnérables aux points de contrôle. Il arrive également qu’elles soient la cible de harcèlement sexuel et d’attouchements de la part des inspecteurs.
La grande majorité des camionneurs de Côte d’Ivoire (86 %) décrivent la corruption et les barrages comme des contraintes importantes, en particulier le long des couloirs commerciaux régionaux (91 %) (Banque mondiale, 2015). Le Comité inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS) une organisation intergouvernementale qui mesure régulièrement le temps perdu et le coût supporté du fait de points de contrôle officiels et non officiels sur les principaux couloirs commerciaux ouest-africains, a relevé, en mars 2015, la présence de 18 barrages sur les 318 kilomètres de route entre Bouaké et la frontière burkinabé (CILSS 2015). Le coût des frais perçus illégalement observés allait alors de 57 USD pour du maïs transporté entre Bouaké et la frontière avec le Burkina Faso, à 483 USD pour du bétail sur pied transporté entre Ouagadougou et Accra, et 770 USD pour un chargement de millet/sorgho acheminé de Koutiala, au Mali, à Dakar (CILSS 2015). Le temps nécessaire au franchissement d’un barrage est, en dernier ressort, fonction de la volonté du transporteur de payer la rançon exigée.
Au cours de la guerre civile ivoirienne et dans le sillage immédiat de celle-ci, le harcèlement (la tracasserie, pour reprendre le terme utilisé localement) sur les principaux axes de circulation s’est spectaculairement aggravé. En 2011, le couloir Abidjan-Bamako comptait le plus grand nombre de barrages dans la région, et le niveau du bakchich à verser y était également le plus élevé (Ben Barka 2012). Les pouvoirs publics enregistrent un certain nombre de prêts dans leur campagne d’élimination des barrages illégaux. En outre, des organisations telles que le West Africa Trade Hub et la Borderless Alliance militent pour la simplification des procédures au niveau des barrages routiers et des postes frontières. Il n’en demeure pas moins que les barrages illégaux constituent toujours un grave problème, même sur le réseau capillaire (Human Rights Watch, 2017). Si le harcèlement sur les routes destinées à contraindre les voyageurs à verser des bakchichs est toujours une réalité pour les entreprises et les commerçants, ils y sont habitués. Pour les négociants au-delà d’un certain seuil, le problème est relativement aisé à surmonter, mais pour ceux dont les volumes sont réduits, ce qui est le cas de la plupart des femmes, le coût relatif du harcèlement pèse plus lourd.
La violence et une sécurité relative, des infrastructures et une information inadéquate sont autant d’obstacles qui dissuadent les femmes de participer au commerce transfrontière. Bien qu’il n’existe pas de données permettant de quantifier la participation féminine au commerce avec les pays voisins, les femmes occupent une place importante dans les échanges transfrontières en Afrique de l’ouest (Morris et al. 2013). Ce commerce peut être lucratif, mais pour les femmes, il représente un défi supplémentaire du fait du risque important de violences sexuelles et de harcèlement sur les routes, des faveurs sexuelles fréquemment exigées par les prestataires de services de transport, du manque d’infrastructures adéquates sur le trajet et de leur connaissance insuffisante des procédures douanières.
Les poids-lourds doivent circuler à petite vitesse et tombent fréquemment en panne sur les routes mal entretenues entre Bouaké et le Burkina Faso. Non seulement la durée du trajet est plus longue et les coûts plus élevés, mais encore les véhicules lents ou immobilisés sont des cibles de choix pour les vols, courants sur l’itinéraire Bouaké-Burkina Faso. Toutes les personnes, hommes comme femmes, commerçant avec un pays voisin avec lesquelles l’équipe GIS a eu l’occasion de s’entretenir avec des personnes qui avaient, soit été elles-mêmes victimes d’une agression violente sur la route, soit qui connaissaient une ou plusieurs personnes qui l’avaient été. L’un des interlocuteurs de l’équipe avait été attaqué sur une route burkinabé la veille, et son chauffeur avait été grièvement blessé par arme à feu. L’amélioration de l’état des chaussées permettrait de circuler plus rapidement, et peut être pour un moindre coût[63], et de réduire ainsi la délinquance d’opportunité le long des axes routiers.
L’accès à des modes de transports fiables est l’un des principaux défis auxquels sont confrontées les femmes exerçant une activité commerciale dans le pays ou échangeant avec un pays voisin. Pour être certaines que les marchandises parviendront à destination dans des conditions de sécurité satisfaisantes, elles doivent, racontent-elles, « devenir amies » sexuellement avec le conducteur. L’une des expressions qui revenait sans cesse était : « Il faut te fidéliser au chauffeur ». Si elle pourrait simplement faire référence à une « loyauté commerciale » cultivée par l’entretien régulier de bonnes relations, son caractère sexuel a été reconfirmé aux auteurs sans hésitation par des informateurs locaux.
L’équipe de GIS a rencontré, en mars 2017, deux représentants du secteur des transports routiers délégués par le Haut conseil du patronat des entreprises du transport routier, qui se sont dits surpris de ces allégations[64]. Ils ont avancé une interprétation différente et suggéré qu’il était possible que l’offre ou la demande transactionnelle de faveurs sexuelles émanent aussi bien de la cliente que du chauffeur. Par exemple, des commerçantes pourraient proposer des faveurs sexuelles aux chauffeurs routiers dans le but d’obtenir les services de transport ou de le rémunérer à un prix inférieur ; ou bien, le conducteur pouvait les exiger à titre de condition de transport. Une responsable d’une coopérative de produits agricoles d’Abidjan a reconnu que de tels comportements existaient, mais qu’ils devaient, à son avis, être évités, car ils n’étaient pas propices à l’édification de fondations susceptibles de servir de socle à des rapports professionnels sérieux. Aussi bien les hommes qui représentaient le Haut conseil que les commerçantes interrogées ont fait part de leur souhait que ces pratiques non professionnelles, à l’origine de retards des poids-lourds, de perte de bénéfices ou de renforcement de comportement à caractère sexuel transactionnel indésirables, disparaissent. Les hommes qui représentaient le Haut conseil se sont déclarés prêts à rencontrer dans le contexte d’une discussion animée par un intermédiaire les représentantes des coopératives agricoles pour s’entretenir avec elles de leurs réclamations et rechercher un consensus sur un code de conduite.
Selon les interlocuteurs de l’équipe, du fait du mauvais état des routes au nord de Bouaké, deux à quatre jours sont nécessaires pour effectuer le trajet entre Abidjan et Ouagadougou. Si l’équipe GIS a rencontré des commerçantes qui avaient voyagé à bord du camion qui transportait leurs marchandises, il est plus fréquent que les femmes fassent appel à un jeune homme qui se trouve à bord du poids-lourd, tandis qu’elles-mêmes circulent à bord d’un autocar ou d’un minibus pour éviter un risque trop important de harcèlement sexuel ou de violences du chauffeur. Ainsi, s’il semble que le fait de consentir des faveurs sexuelles au conducteur en contrepartie du transport à bon port des marchandises, les femmes peuvent, en ne voyageant pas à bord du camion, limiter leurs relations avec le chauffeur et réduire ainsi le risque de violences sexuelles. Les membres d’une coopérative de commerce de Bouaké ont expliqué qu’elles voyageaient à bord de camions dont les conducteurs étaient bien connus, et qu’ainsi elles évitaient le harcèlement sexuel et les violences. Elles ont toutefois insisté sur l’importance de faire appel systématiquement au même chauffeur pour éviter de courir le risque de violences sexuelles. Elles dépendaient donc de la disponibilité de celui-ci pour être à même d’acheminer en sécurité leurs marchandises jusqu’aux marchés régionaux.
Encadré 16: Les besoins en formation des négociantes Certaines négociantes de Côte d’Ivoire ont tiré profit de précédentes opportunités de formation. Le West Africa Trade Hub, qui reçoit le soutien d’USAID, dont le siège est à Accra et qui dispose d’une antenne en Côte d’Ivoire, a organisé des tables rondes régionales à l’intention de commerçantes à Ouagadougou et Bouaké. Elles ont permis aux participantes d’obtenir des informations très appréciées sur les documents commerciaux, les procédures contractuelles, la qualité des produits, la gestion organisationnelle, le leadership et les techniques marketing. Les commerçantes indiquent que ces séances ont profité directement aux entreprises et aux responsables de réseau. Elles ont également souligné que bien d’autres femmes dans la profession aimeraient pouvoir apprendre ainsi. Les interlocuteurs de l’équipe ont ajouté que beaucoup d’autres femmes aimeraient exercer des activités commerciales mais n’osent pas. Elles s’inquiètent de leur manque de formation juridique, ainsi que du soutien émotionnel ou financier insuffisant sur lequel elles peuvent s’appuyer. Il existe un besoin de coaching ou de mentorat susceptible d’aider les nouvelles venues à prendre confiance en leurs capacités en termes de gestion d’entreprise. Même celles qui ont pris des initiatives souhaiteraient avoir l’occasion d’acquérir de nouvelles compétences ou de découvrir de nouvelles dimensions, pour que leurs connaissances demeurent à jour. Au nombre des questions présentant un intérêt particulier pour les femmes qui exercent des activités commerciales transfrontalières figurent la formation au leadership et au management en milieu de carrière, les techniques d’étude de marché, le négoce de produits horticoles, la comptabilité, la commercialisation de produits agricoles, la planification stratégique, l’utilisation des technologies de l’information et les formations à l’acquisition de notions élémentaires dans le domaine des affaires. Pour répondre à ces besoins, le réseau de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) pour des politiques efficaces en matière d’égalité des femmes (Gender for Results, G4R), qui est basé dans les locaux de la Banque africaine de développement (BAfD), envisage l’élaboration d’un guide à l’intention des négociantes de la région. Ce guide aiderait les femmes à se familiariser avec les dispositifs destinés à faciliter le commerce intra- et inter-régional. Il présenterait les lois et règlements en matière commerciale, des documents de référence et une description étape par étape de démarches à effectuer. Les thèmes suivants pourraient être abordés : comprendre les principes qui régissent la libre circulation des personnes, des capitaux, des services, des marchandises et de produits agricoles dans l’UEMOA ; l’utilisation des restrictions en matière d’exportation et autres ; l’application du régime de tarif extérieur commun de l'UEMOA ; les règles en matière d’origine communautaire et de certificats d’origine ; les droits, taxes et impôts ; les agréments, certifications, normes et mesures ; et les transports et procédures de transit. Début 2017, un mandat était en cours d’élaboration. Source : entretiens dans le cadre de la mission. |
Le manque d’installations et de toilettes le long des routes ou à la frontière avec le Burkina Faso constituent également un problème pour les femmes. Celles qui exportent leur production, et qui doivent donc voyager plusieurs jours durant, n’ont d’autre choix que de dormir en bord de route, ce qui les rend vulnérables au vol et aux violences. Pour minimiser le risque d’atteinte à leur sécurité, il n’est pas rare qu’elles travaillent en groupe. Plusieurs commerçantes se sont plaintes de l’impossibilité d’accéder à des toilettes sur la route. Il est avéré que l’existence d’aires de repos bien éclairées, équipées de caméras de sécurité et dotées de toilettes séparées pour les hommes et les femmes permet à ces dernières de voyager dans de meilleures conditions de sécurité (USAID-EAT 2012).
Certaines des femmes exerçant des activités commerciales transfrontalières ont indiqué ne pas disposer d’un accès suffisant aux informations relatives à la réglementation et aux procédures douanières. À l’inverse, d’autres qui sont alphabétisées et disposent de réseaux relationnels adéquats ne considéraient pas que le franchissement de la frontière posait de problème particulier. Elles possédaient des papiers en règle, et elles, ou leur chauffeur, avaient fait appel aux services d’intermédiaires au niveau du poste frontière. Plusieurs commerçantes ont dit qu’elles avaient besoin de plus d’informations, ou d’informations plus précises, concernant les obligations liées aux importations et aux exportations, et qu’elles comprenaient mal les modalités de calcul des droits de douane. Une étude portant sur les femmes exerçant des activités commerciales transfrontalières informelles au poste de Seme, à la frontière entre le Nigeria et le Bénin, a montré que nombre de femmes manquaient de confiance en liaison avec les procédures formelles de dédouanement de marchandises (Yusuff, 2014). Elles pensaient que l’utilisation du poste frontière officiel serait plus onéreuse, les tiendrait éloignées plus longtemps de leurs familles et les exposerait au risque que les agents des douanes et des impôts ne leur fassent supporter des frais excessifs. Parce que leurs activités économiques sont informelles, elles courent un plus grand risque de se voir réclamer des faveurs sexuelles ou de devoir en offrir pour éviter que leurs marchandises ne soient saisies (Yusuff, 2014).
Je suis décoratrice et j’ai dû refuser du travail qui m’était proposé durant les fêtes car il m’était impossible de me rendre d’un site à un autre du fait de la circulation. J’aurais pu marcher, ce qui prend du temps, sans compter que le transport, dans ces conditions, des éléments de décoration dont j’ai besoin peut constituer un défi. Je préfère refuser que de décevoir des clients et que le travail ne soit pas exécuté dans les délais prévus. Du fait du caractère saisonnier de mon activité, et parce que les rapports personnels revêtent une telle importance, je n’ai recruté personne. Membre de l’Association des femmes artisanes de Côte d'Ivoire (AFACI) |
Les transports urbains sont en grande partie inaccessibles aux pauvres ; quant à la question de la place des femmes dans l’urbanisme et les transports, sa prise en compte est au mieux embryonnaire. Avec près de 50 % de sa population vivant dans les centres urbains, la Côte d’Ivoire est l’un des pays les plus urbanisés d’Afrique subsaharienne (Banque mondiale, 2015). L’urbanisation devrait continuer, les habitants des régions rurales plus pauvres migrant, principalement vers Abidjan, pour trouver du travail. Les habitations informelles se multiplient et la part de la population urbaine vivant dans des bidonvilles augmente. L’afflux de nouveaux résidents accroît la pression sur les infrastructures d’alimentation en eau, d’assainissement et d’électricité dans les centres urbains. Détruites, endommagées ou simplement laissées à l’abandon au cours de la crise socio politique, elles nécessitent toujours des réparations et un entretien adéquat. À l’expansion démographique s’est ajouté l’accroissement des volumes de marchandises et des chargements transportés à partir du port. Les infrastructures de transport sont inadaptées et les encombrements fréquents. L’insuffisance des infrastructures de transport et la circulation difficile à Abidjan ont des répercussions importantes sur le commerce et le mouvement des marchandises. Elles limitent également les déplacements des travailleurs, ainsi qu’il ressort de la section 5, et réduit l’attraction de la ZI PK24, qui est située dans les faubourgs d’Abidjan, pour les travailleurs qualifiés.
Dans le grand Abidjan, la marche est, de loin, le mode de déplacement le plus pratique pour se rendre au travail ou à l’école. Deux études ont été réalisées, en 2013, sur les transports dans la capitale et sa couronne (ministère d’État et al., 2013a et 2013b). Aucune n’a toutefois produit de données détaillées par sexe. Bien que les conclusions diffèrent de l’une à l’autre, il est clair que la marche est le principal mode de déplacement dans l’espace urbain d’une proportion de la population comprise entre la moitié et les deux tiers. Les perspectives en matière d’emploi des personnes qui se déplacent à pied ou en vélo sont plus limitées, ce qui signifie qu’une « large share of people are disconnected from where the jobs are » [une part importante de la population est coupée géographiquement des emplois] (Banque mondiale, 2015).
Ainsi qu’indiqué dans le Graphique 13, les taxis collectifs communaux ou intra-communaux (20 %) et les minibus (12 %) sont les modes de transport les plus utilisés à Abidjan[65]. Seule 6 % de la population utilise les services de la société publique de transports en communs (SOTRA). En raison d’un parc de véhicules inadapté et du faible nombre d’itinéraires desservis, elle n’est pas à même de répondre à la demande de transport. Selon les estimations du ministère des transports, le parc actuel de la SOTRA ne permet de répondre qu’à 40 % de la demande. Le ministère indique cependant que la SOTRA est en train d’agrandir son parc de véhicules (Belle-Isle, 2016). Les pouvoirs publics ont également conclu un contrat pour la construction d’un tramway entre l’aéroport et Anyama (PND 2016).
Une récente enquête quantitative réalisée auprès des vendeurs de rue et des usagers des transports publics du grand Abidjan a permis d’établir que les hommes et les femmes choisissent leur mode de transport en fonction du coût, de la disponibilité et de la commodité de l’itinéraire (Belle-Isle 2016). Ainsi qu’indiqué précédemment néanmoins, les produits négociés par les femmes commerçantes sont d’ordinaire plus périssables que ceux des hommes, et elles tendent donc à privilégier les taxis collectifs qui leur permettent de conserver leurs marchandises à l’intérieur, contrairement à ce qui se passe lorsqu’elles empruntent un minibus, puisque dans ce cas, elles sont entreposées sur le toit, ou lorsqu’elles circulent à bord d’un bus de la SOTRA, où l’espace est extrêmement limité.
Le système d’autobus publics croule sous les subventions et l’inefficacité. Du fait des aides, les bus de la SOTRA sont le mode de transport le moins onéreux, et ainsi celui qui a la préférence des pauvres. En dépit de la disponibilité limitée des véhicules en service, l’accès des femmes aux bus de la SOTRA est très limité. Du fait de la pénurie de véhicules, les usagers indiquent que l’attente à l’arrêt peut durer jusqu’à deux heures (Belle-Isle, 2016). Lorsqu’un bus arrive, le nombre des usagers qui attendent excède celui des places disponible, ce qui favorise les plus forts, ceux qui sont à même de se frayer un chemin jusqu’à l’intérieur. Les femmes perdent le plus souvent cette bataille, en particulier lorsqu’elles sont enceintes ou accompagnées d’enfants en bas âge. Elles sont donc désavantagées en termes d’accès au mode de transport urbain le plus rentable.
En 2016, a été adopté un schéma directeur d’urbanisme du Grand Abidjan. L’urbanisme n’en demeure pas moins fragmenté, selon l’analyse même des autorités publiques, et caractérisé par un manque de coordination[66]. Pour y remédier, le gouvernement a créé une Autorité organisatrice du transport urbain (AOTU) chargée de planifier et de gérer les transports dans le Grand Abidjan. L’AOTU rassemblera des représentants de l’État, du public et du secteur privé des transports, ainsi que des usagers. Dans la mesure où l’autorité du transport urbain est en cours de création, et où, au sein des principaux ministères impliqués, la question de l’égalité des sexes occupe une place marginale et demeure mal connue, il existe là une occasion de l’intégrer à la structure et la gestion de la nouvelle autorité. Il serait bon, par exemple, que l’AOTU nomme une personne en charge de la coordination des questions touchant à la place des femmes. Il conviendrait que le ministère de la promotion de la femme, de la famille et de la protection de l’enfant figure au nombre des ministères représentés et que soient accomplis des efforts pour identifier et inclure des organisations de la société civile représentant les femmes, en qualité de prestataires de services de transport (encore qu’il semble que les femmes soient rares dans ce secteur) et d’usagères des transports. Comme dans le cas de toutes les structures publiques, pour qu’un coordinateur en charge des questions liées à la place des femmes soit efficace, il est indispensable qu’il possède les connaissances et le temps nécessaires, qu’il bénéficie d’un soutien administratif adéquat, et que sa stature, sa visibilité et son influence lui permettent d’apporter un conseil effectif en matière d’élaboration des politiques publiques, et de peser sur la conception et la mise en œuvre de programmes. Le renforcement de la capacité du ministère des transports, de l'Agence de gestion des routes (AGEROUTE) et du Fonds d'entretien routier (FER) dans le domaine de l’égalité hommes-femmes est indispensable au développement et à la mise en œuvre d’une stratégie pour le renforcement de la place des femmes dans le secteur des transports.
Il serait souhaitable que la Côte d’Ivoire incorpore l’analyse de genre à la planification et à la construction de nouveaux projets d’infrastructure ou de transport pour veiller à ce qu’ils produisent des effets positifs, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. En Côte d’Ivoire, l’intégration des considérations de genre aux politiques et aux programmes publics est un phénomène relativement nouveau, pour l’instant en grande partie étranger au secteur des transports et des infrastructures. Le Plan national de développement 2016-2020 ne fait pas mention des femmes dans le contexte des transports et des infrastructures. La collecte et l’analyse de données détaillées par sexe font apparaître de possibles inégalités hommes-femmes, susceptibles de contribuer à la réforme des politiques publiques, des programmes et des pratiques de mise en œuvre, ou encore de la structure budgétaire, afin de veiller à ce que les femmes et les hommes puissent se saisir des opportunités économiques et en profiter. Les données d’utilisation des transports et des infrastructures en Côte d’Ivoire ne sont cependant pas détaillées par sexe.
La connaissance et la compréhension par les autorités ivoiriennes des différences entre les femmes et les hommes en termes de besoins et d’accès aux infrastructures et au transport est rudimentaire. Pour certains, il s’agit d’une idée nouvelle, mais d’autres comprennent les différences de genre. Ils ne disposent cependant pas des outils qui leur seraient nécessaires pour diagnostiquer les situations dans lesquelles les femmes souffrent d’un handicap et y apporter des solutions. De ce fait, les évaluations de la place des femmes ne font pas partie des procédures de routine lors de la phase de planification d’un projet d’infrastructure ou de transport. L’analyse et la planification en matière d’égalité des sexes requièrent un accès à des données détaillées par sexe, et des consultations des populations locales impliquant aussi bien des hommes que des femmes, pour être à même d’identifier les effets positifs et négatifs d’un projet. Les exemples suivants, concernant différentes parties du monde, démontrent comment une analyse de la condition des femmes lors de la phase de planification d’un projet d’infrastructure ou de transport peut affecter les bénéfices du projets pour les femmes.
Qui y a intérêt ? La mobilité est une caractéristique fondamentale des marchés efficaces. Pour qu’un marché fonctionne, il est nécessaire que marchandises et personnes puissent circuler efficacement à l’intérieur de celui-ci, mais aussi passer d’un marché à un autre. Lorsque les femmes ne peuvent pas se déplacer, ou si elles doivent prendre en compte, dans leur décision de se rendre sur un lieu donné ou d’y acheminer leurs marchandises, des coûts ou des risques supplémentaires, ceux-ci ne seront pas seulement à leur charge, l’économie de leur pays en pâtira également.
Résumé des défis existants. Les multiples points de risques, insécurité et violences réelles pèsent sur les décisions des femmes en matière de mobilité, et empêchent les filles et les femmes d’accéder aisément à l’éducation, aux marchés et à des moyens de subsistance.
Initiatives ciblées. Un certain nombre d’idées sont proposées pour y apporter des solutions :
Tableau 25: Recommandations en matière d’amélioration de l’accès des femmes aux transports et aux infrastructures
Pour… | Il est recommandé de… | Pourrait être envisagé par… |
En intégrant les différences hommes-femmes dans la planification des transports | ||
Veiller à ce que la perspective des différences hommes-femmes soit intégrée à la planification dans le domaine des transports |
Détailler par sexe, analyser et diffuser les données existantes sur les transports urbains. Demander que l’INS fournisse des données détaillées par sexe et catégorie socioéconomique provenant de ses deux enquêtes de 2013 sur les transports urbains pour acquérir une connaissance extrêmement nécessaire des besoins des femmes, des populations pauvres et des autres groupes vulnérables, et des difficultés qu’ils rencontrent dans ce domaine. Après l’analyse, travailler avec les ministères pertinents pour incorporer les résultats à des actions dans le cadre d’activités et de stratégies. |
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Encourager le développement d’audits sur la situation des femmes et de plans d’action par les ministères dans les domaines des transports et des infrastructures. Dans le cas des modèles, la Banque africaine de développement a produit une liste de contrôle (BAfD), et Nathan Associates a également élaboré un cadre aux fins d’étalonnage et de suivi de la participation des femmes dans le secteur des transports, pour le ministère fédéral américain des transports et l’APEC (2015). Pour veiller à ce que le plan en matière d’égalité hommes-femmes fasse partie des procédures normales, et pourvoir à sa mise en œuvre, créer des pôles égalité des sexes au sein des divers ministères et former les personnels à des compétences adaptées dans le domaine de la prise en compte de la différence entre les sexes. |
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Intégrer la question de la place des femmes à la structure, aux politiques publiques et à la planification de la future Autorité organisatrice du transport urbain (AOTU) : élaborer un plan destiné à donner toute leur place aux femmes ; créer un pôle égalité des sexes doté de l’influence et des ressources adéquates ; et inclure une participation du Ministère de la promotion de la femme, de la famille et de la protection de l’enfant, ainsi que des représentantes des femmes venant du secteur privé et de la société civile. |
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Prendre en compte la place et le rôle des femmes lors de la conception de routes et d’améliorations à apporter aux abords de chaussées | Construire, sur l’axe Abidjan-Ouagadougou, des aires de repos bien éclairées, comprenant des espaces de stationnement adaptés, équipées de toilettes séparées et de caméras de surveillance ; explorer des partenariats public-privé pour construire des hébergements sur les aires de repos. |
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Au cours de la phase de planification, inclure des contributions d’organisations représentant des commerçantes, en particulier exerçant des activités commerciales transfrontalières), ainsi que de représentants des autorités de santé publique, afin d’atténuer la transmission des MST au niveau des aires de repos. Le ministère des transports souhaiterait que des aires de repos soient construites tous les 200 km le long des principaux couloirs de transport. Il est tout à fait favorable à ce type d’initiative. | ||
Contribuer à améliorer la sécurité des routes, et ainsi à réduire le risque de violences (y compris visant les femmes) | Conduire des programmes pilotes d’entretien des bords des routes permettant non seulement d’améliorer le drainage, et ainsi de contribuer à prolonger la durée de vie utile des chaussées neuves ou remises en état, mais aussi de contribuer à une meilleure visibilité et à limiter les risques liés au banditisme. |
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En renforçant le professionnalisme dans le secteur des transports | ||
Renforcer l’autonomisation des femmes exerçant des activités commerciales transfrontalières, et leur donner les moyens d’opérer aussi efficacement que possible | Mettre à la disposition des femmes une formation destinée à faciliter les activités commerçantes dans le contexte des activités transfrontalières pour les aider à mieux comprendre les procédures de dédouanement applicables et les droits de douane, réduire les difficultés que rencontrent les femmes aux passages frontaliers (en particulier en construisant des toilettes), élaborer des politiques et former des personnels travaillant aux postes frontières pour réduire le harcèlement sexuel. | Gouvernement ivoirien, et des initiatives de facilitation des activités commerciales, existantes et planifiées, financées par donateur (par exemple, une initiative ayant reçu l’appui du West Africa Trade Hub, organisme soutenu par USAID, de la BAfD et de l’UEMOA en matière d’élaboration de lignes directrices à l’intention des commerçantes) |
Contribuer à réduire les violences et le harcèlement sexuels en relation avec les transports |
Travailler avec le ministère des transports, des représentants du Haut conseil et des organisations commerçantes, élaborer un code de conduite visant à prévenir et réprimer le harcèlement sexuel, et le faire adopter par l’ensemble des parties intéressées. Offrir aux femmes exerçant des activités commerciales transfrontalières et à des représentants du secteur des transports l’occasion de prendre part à des discussions animées par un intermédiaire pour échanger leurs opinions et mieux comprendre leurs points de vue respectifs, ainsi que les contraintes qui pèsent sur les uns et les autres. |
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En renforçant l’inclusion des femmes et sociales dans le domaine des achats publics | ||
Promouvoir un recours plus fréquent aux entreprises appartenant à des femmes, qu’il s’agisse de PME ou non, dans le domaine des achats publics en Côte d’Ivoire |
Modifier le cadre juridique des achats publics dans le but d’inclure une préférence claire pour l’acquisition d’une partie des biens et services acquis auprès de sociétés appartenant à des femmes, ou pour recourir à des sociétés promettant d’employer un quota déterminé de femmes. De manière alternative, élaborer une définition un peu plus englobante de l’expression « groupes désavantagés » susceptible d’inclure les femmes, les jeunes et les personnes handicapées, ainsi que d’autres catégories pertinentes. |
MCC Gouvernement ivoirien |
Exiger que les soumissionnaires pour des contrats de construction, de remise en état et d’entretien routier, soumettent, dans le cadre de leur dossier de candidature, des plans d’action en matière d’égalité hommes-femmes, ainsi que le prévoit, par exemple, le droit ougandais. Demander aux soumissionnaires de prendre en compte le recrutement et l’emploi de femmes à tous les niveaux de l’entreprise. Inclure dans les plans d’action en matière d’égalité hommes-femmes des propositions de stratégies destinées à combattre la traite d’êtres humains, le harcèlement sexuel ou les violences sur le lieu de travail, à prendre en compte la question de la place des femmes dans les domaines de la santé, de l’hygiène et de la sécurité, ainsi qu’à aborder le problème de la répartition des tâches par sexe dans le contexte professionnel. |
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Remarque : les lignes ombrées correspondent aux priorités recommandées par l’équipe GIS.
Parce qu’il est possible qu’une part importante du financement de la construction routière soit liée au plan compact, l’inclusion d’un plan prévoyant l’emploi de femmes au sein des équipes d’entretien routier peut être envisagée. Le nettoyage et l’entretien des routes peuvent être effectués sous l’égide de diverses institutions, parmi lesquelles l'Agence de gestion des routes (AGEROUTE) ; le port autonome d’Abidjan, dans le cas des chaussées situées dans le périmètre de la zone portuaire ; l’Agence nationale pour la salubrité urbaine (ANASUR) ; ainsi que les villes et les communautés locales à l’extérieur des grandes villes. Selon le cas, les équipes d’entretien routier sont recrutées directement, mises à disposition à l’issue d’appels d’offres par des prestataires de services d’entretien routier. Elles peuvent également être fournies par des programmes de travaux à haute intensité de main d'œuvre (les THIMO mentionnés précédemment) financés par des donateurs, soumis à la tutelle des pouvoirs publics et gérés par des organisations locales.
Les femmes participent déjà aux travaux d’entretien routier et de nettoyage de rue en Côte d’Ivoire. Il ne semble toutefois pas qu’il existe de données chiffrées à cet égard. Elles participent aux côtés des hommes à des programmes de travaux à haute intensité de main d'œuvre (THIMO) le long des routes nationales et dans des agglomérations plus rurales. À Abidjan, elles sont d’ores et déjà présentes au sein des équipes (parfois entièrement féminines) en charge de la propreté des rues. Ces personnels sont employés par un prestataire de services privé qui fournit ces services au port autonome d’Abidjan. Dans un cas comme dans l’autre, les femmes seraient, selon certaines informations, très désireuses de disposer d’un revenu en qualité de membres des équipes de rue. Les femmes seraient bien représentées parmi les propriétaires de telles entreprises qui remplissent des missions de nettoyage, d’entretien, d’enlèvement d’ordures et de recyclage.
Ce travail, qui peut être dangereux, est exigeant d’un point de vue physique. Le manuel sur les perspectives professionnelles (Occupational Outlook Handbook) du bureau fédéral américain des statistiques du travail (Bureau of Labor Statistics) décrit la catégorie des « construction laborers and helpers » [travailleurs du bâtiment et manœuvres] (qui est, de toutes les catégories, celle à laquelle seraient probablement assimilés des travailleurs en charge de l’entretien des bas-côtés des routes) comme un métier physiquement exigeant, et précise que les travailleurs de ce secteur connaissent les taux de blessure et de maladie professionnelle les plus élevés du monde du travail[68]. En Côte d’Ivoire, les hommes et les femmes qui dirigent une entreprise exerçant ce type d’activité distinguent le nettoyage des débris lourds, tels que les arbres tombés, qui requiert l’utilisation de machettes et des tâches de coupe ardues, que les hommes peuvent être mieux à même d’accomplir, du débroussaillage et du fauchage d’herbe, du curage de fossés et de canaux au moyen de pelles, et du balayage des rues ou de l’enlèvement des ordures en milieu urbain, auxquels les femmes peuvent être assignées plus volontiers. Bien que certains interlocuteurs de l’équipe aient dit qu’il était possible que les femmes ne soient pas à même de prendre en charge les tâches d’entretien routier les plus pénibles, elles sont souvent, dans leurs activités agricoles et commerciales, ainsi qu’en tant que mères, amenées à soulever de lourds outils ou des enfants, ainsi qu’à porter de lourdes charges sur la tête. Une femme propriétaire d’une entreprise de ce type a expliqué qu’elle utilisait un système de rotation sur trois mois, de manière à ce que ses travailleurs soient affectés à des tâches de divers degrés de difficulté, afin de préserver leur santé. Au bout de trois ans, explique-t-elle, personne ne peut plus faire ce travail, en raison de l’usure physique.
Partout dans le monde, la pratique consistant à recruter des femmes dans le cadre d’équipes de travaux publics provisoires constitue une stratégie relativement courante d’inclusions des femmes en qualité de bénéficiaires de projets routiers[69]. Les femmes bénéficient de l’occasion de gagner de l’argent et de faire partie d’équipes locales ; d’améliorer leur estime de soi, de mieux faire entendre leur voix et d’acquérir un meilleur contrôle sur leur existence ; de se doter de compétences techniques et organisationnelles ; mais aussi d’enrichir leurs réseaux relationnels et de jouer un rôle d’encadrement. Grâce au revenu de 6 mois de travail dans le cadre d’un programme de travaux à haute intensité de main d'œuvre (THIMO) centré sur l’entretien routier et un programme d’éducation à l’entrepreneuriat en Côte d’Ivoire, par exemple, les femmes ont plus tendance à créer leur propre entreprise, et plus d’un an plus tard, les effets de cette participation en termes de revenus supérieurs se font toujours sentir. Les enseignements tirés de ces projets conduisent à penser que le succès de l’inclusion des femmes dans les projets de transport en qualité de membre d’équipes de travaux était renforcé par :
1) la mise en place de quotas de femmes ou la définition d’objectifs correspondant à des seuils minimaux de participation des femmes ;
2) l’intégration systématique de la dimension d’égalité des sexes dans toutes les étapes des cycles de planification de projet routier[70] ;
3) des calendriers flexibles permettant aux hommes et aux femmes de parvenir à un équilibre entre leurs responsabilités familiales, leurs autres tâches de production et leur travail au sein des équipes de travaux routiers ;
4) de prendre en compte la garde des enfants des membres des équipes (dans le cadre des projets THIMO ivoiriens, les femmes surveillent à tour de rôle les enfants des membres de l’équipe, tout en conservant un salaire identique lorsqu’elles travaillent au sein de l’équipe ce jour-là) ;
5) des efforts de recrutement ciblés en direction des populations féminines pour expliquer les attentes en termes de travail, et les conditions applicables ;
6) des efforts de communication à l’égard des maris pour les encourager à soutenir leur femme dans sa décision de participer à ces travaux ;
7) des stratégies destinées à atténuer la rigueur du travail et ses effets sur la sécurité et la santé physique des participants, en fournissant aux équipes des équipements de protection individuelle (EPI), ainsi que, le cas échéant, en assurant leur rotation d’une tâche à une autre[71] ;
8) le fait de combattre directement les violences familiales qui, dans certains contextes culturels, sont aggravées par la participation des femmes aux travaux de ce type, grâce à des formations à la prévention des violences, des visites de soutien personnel et le versement direct des salaires des femmes sur leur compte bancaire personnel (que le projet peut aider les femmes à ouvrir) ;
9) le recours à des femmes à des postes de cadre ou de contremaître, d’ingénieur des ponts-et-chaussées, de conducteur d’engin, etc., pour présenter des modèles féminins non traditionnels.
Les femmes pourraient également bénéficier du plan compact si elles sont à même d’accéder à des informations relatives aux appels d’offres ou à des propositions lancées par le gouvernement ivoirien pour la réalisation de projets du plan compact et de soumettre des propositions[72]. Des appels d’offres sont à attendre pour la construction d’établissements d’enseignement, ainsi que pour des programmes de construction, de remise en état et d’entretien de routes.
Des règles et procédures inclusives et transparentes en matière d’achats publics constituent une manière durable et responsable d’un point de vue fiscal de promouvoir les femmes dans les affaires et de leur offrir des opportunités économiques. En leur qualité d’acheteurs de biens et de services pour des montants considérables, les États ont un rôle unique à jouer dans la promotion d’une participation au marché plus intégratrice, ainsi que dans l’offre d’opportunités de travail pour les femmes[73]. Les entreprises appartenant à des femmes peuvent être plus enclines à recruter des femmes et moins pressées de réduire leurs effectifs en période de ralentissement économique[74]. Des études ont toutefois démontré que peu d’entreprises appartenant à des femmes étaient adjudicataires de contrats d’achats publics, parce qu’elles étaient mal informées, parce qu’elles comprenaient mal les règles et procédures, et parce qu’elles étaient incapables de se conformer aux exigences des appels d’offres, ainsi qu’indiqué ci-après.
En Côte d’Ivoire, les approvisionnements publics sont régis par des règlements promulgués au niveau national et régional. La réglementation de l’UEMOA prévoit la promotion des petites et moyennes entreprises (PME) dans le contexte des approvisionnements publics, mais ne fait nulle mention des entreprises appartenant à des femmes ou des femmes salariées en tant que catégories spécifiques nécessitant d’être prises en compte (directive n° 04/2005/CM/UEMOA). Le décret ivoirien n° 2009-259 du 6 août 2009 portant Code des marchés publics ne reconnaît aucun traitement préférentiel aux femmes salariées ou aux entreprises appartenant à des femmes. Cependant, en vertu de la réglementation de l’UEMOA, les PME peuvent bénéficier d’un traitement préférentiel et, dans la mesure où la réglementation des marchés publics ne l’interdit pas, certains domaines des achats publics peuvent être réservés aux PME (loi 2014-140).
Ainsi qu’indiqué dans la note citée ci-dessus, plusieurs pays proposent des modèles intéressants d’encouragement d’une participation accrue des entreprises appartenant à des femmes aux appels d’offres publics. En 1994, les États-Unis ont défini un objectif d’adjudication de 5 % des contrats publics fédéraux à des entreprises appartenant à des femmes ou contrôlées par elles. Vingt ans ont été nécessaires pour l’atteindre. En 2013, le Kenya a fixé un objectif ambitieux de 30 % de l’ensemble des contrats publics pour les entreprises appartenant à des femmes, des jeunes ou des personnes handicapées. La Namibie a adopté, en 2015, une nouvelle loi sur les achats publics exigeant l’adoption d’un code de bonnes pratiques destiné à promouvoir, entre groupes bénéficiant d’un traitement privilégié, les femmes et les jeunes. Le Botswana utilise également un régime de traitement préférentiel pour, entre autres, les populations de femmes désavantagées. L’Afrique du sud permet l’attribution de « points préférentiels » supplémentaires lors de l’évaluation des soumissions émanant d’entreprises appartenant à des femmes. Enfin, le ministère ougandais des travaux publics et des transports exige qu’un plan de gestion de l’égalité des sexes figure dans les documents de soumission en réponse à un appel d’offres, encore qu’une évaluation réalisée en 2013 souligne les multiples insuffisances du programme de prise en compte systématique de la place et du rôle des femmes. Le Chili également promeut les sociétés appartenant aux femmes dans ses programmes d’achats publics.
Ainsi que le démontre l’expérience ougandaise, le principal défi en matière de régime préférentiel ou de domaine réservé en faveur des femmes réside dans la supervision de leur mise en œuvre afin de veiller au respect des engagements des soumissionnaires en matière d’égalité ou de prise en compte systématique de l’égalité hommes-femmes après adjudication. En supposant que le suivi de la mise en œuvre de contrats de construction, de rénovation et/ou d’entretien routier soient une composante nécessaire de toutes les activités du compact pour assurer le respect des spécifications techniques, un volet consacré à la part des femmes dans les équipes doit également être inclus dans la liste de contrôle de suivi.
Qui y a intérêt ? Veiller à ce que les femmes en situation de vulnérabilité et vulnérables participent aux équipes en charge du nettoyage, de la réparation et de l’entretien des routes, qu’il s’agisse des nouveaux axes à construire ou de chaussées à rénover en vertu du plan compact aide ces femmes à trouver du travail, à gagner leur vie et à s’intégrer au système financier formel en ouvrant un compte bancaire, ainsi qu’à profiter d’autres avantages moins immédiats résultant des liens qu’elles peuvent tisser à l’occasion de cette expérience. La combinaison avec une formation à l’entrepreneuriat telle que celle assurée en liaison avec les programmes ivoiriens de travaux à haute intensité de main d'œuvre (THIMO) permet de démultiplier ces avantages.
Résumé des défis existants. Les règles qui régissent les achats publics en Côte d’Ivoire autorisent actuellement les préférences pour les PME, afin d’aider celles-ci à accéder à une part des marchés adjugés par appel d’offres publics. Il n’existe cependant pas, à ce jour, de quotas spécifiques de participation des femmes ni d’objectifs ambitieux en matière d’emploi ou de propriété d’entreprises. Le fait que le MCC et le Comité national pour la mise en œuvre du programme compact de la Millennium Challenge Corporation (CNPC) travaillent à la conception du programme Compact avec l’AGEROUTE et le port autonome d’Abidjan, mais que l’ANASUR, des collectivités locales et villes, et potentiellement d’autres institutions puissent être compétentes en matière d’entretien des routes, en fonction de leur localisation, peut ajouter une dose de complexité administrative.
Initiatives ciblées. Pour veiller à ce que les femmes participent aux équipes en charge de l’entretien routier et soient intégrés aux systèmes d’achats publics, l’équipe du programme Compact pourra envisager une ou plusieurs des options suivantes, qui sont évoquées dans la note citée plus haut :
Tableau 26: Recommandations en matière de renforcement de l’égalité hommes-femmes dans le domaine des achats publics et de place des femmes au sein des équipes d’entretien du réseau routier
Pour… | Il est recommandé de… | Pourrait être envisagé par… |
En veillant à ce que les entreprises appartenant à des femmes participent aux appels d’offres publics | ||
Promouvoir un recours accru aux entreprises appartenant à des femmes en relation avec les achats publics en Côte d’Ivoire |
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Gouvernement ivoirien |
Renforcer la participation des femmes aux appels d’offres liés au Compact |
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Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
En veillant à ce que les femmes participent aux équipes d’entretien routier | ||
Aborder le problème de la participation des femmes aux équipes d’entretien routier dans le cadre de mécanismes contractuels alternatifs |
|
Gouvernement ivoirien Partenaires internationaux pour le développement |
Remarque : les lignes ombrées correspondent aux priorités recommandées par l’équipe GIS.
Ce rapport présente les conclusions de l’équipe en charge des questions d’égalité hommes-femmes et sociales. Elles reposent sur l’analyse des travaux publiés, des entretiens avec l’équipe du programme Compact du MCC pour la Côte d’Ivoire, ainsi que sur rencontres et conversations avec des groupes de discussions auxquels ont participé un éventail très divers d’interlocuteurs, à Abidjan et Bouaké, en décembre 2016 et mars 2017.
Les auteurs souhaitaient : 1) comprendre les facteurs qui déterminaient la participation économique des filles et des femmes en Côte d’Ivoire aujourd’hui ; et 2) examiner les diverses manières dont les trois projets dont le financement dans le cadre du plan compact était proposé pouvaient affecter cette participation, ainsi que les initiatives à étudier, par le MCC et l’État ivoirien, pour renforcer les chances d’effet positif le plus important possible sur les filles et les femmes.
L’un des thèmes transverses qui ont émergé de l’évaluation par l’équipe GIS est le fait que les risques et les actes de violence sexiste imprègnent nombre des espaces dans lesquelles les filles et les femmes font actuellement des choix économiques en Côte d’Ivoire, et notamment dans les établissements d’enseignement, sur les routes, dans les transports et aux frontières, ou à proximité de ceux-ci. Les filles (et leurs familles) et les femmes déterminent jusqu’à quel âge elles peuvent faire des études, quand elles doivent se marier, où elles font leurs courses, les modalités d’exercice d’une activité professionnelle, quand il convient qu’elles se rendent au marché pour y exercer une activité commerciale et qu’elles en reviennent, avec quels chauffeurs routiers et transporteurs elles peuvent travailler, ainsi que quand et comment franchir les frontières, en prenant ces risques en compte. Ces risques, de même que les violences sexistes, ont un coût pour les personnes, les entreprises et l’économie en général. Il peut notamment s’agir :
1) des coûts supportés directement par les femmes, tels que les frais médicaux liés aux maladies et à la grossesse, ou se rapportant à l’éducation des enfants ;
2) des coûts d'opportunité correspondant aux journées de travail perdues ;
3) des coûts en termes de capital humain liés à l’éducation non reçue et aux compétences non acquises ;
4) des coûts économiques et personnels liés à une moindre productivité économique au travail, et ainsi à des rémunérations inférieures ;
5) des coûts d’opportunité liés aux occasions manquées ou abandonnées, en totalité ou en partie, en termes de moyens d’existence ou de carrière ;
6) du coût pour les entreprises en termes de journées de travail perdues, du renouvellement du personnel, du « présentéisme » et des répercussions potentiellement négatives pour la réputation l’entreprise ; et
7) du dommage cause à l’image de l’économie en termes d’investissement perdu de la part de sociétés multinationales qui préfèreraient travailler dans un environnement où la citoyenneté d’entreprise joue un rôle plus important.
Il est important de comprendre la diversité et l’importance de ces coûts, non seulement pour les groupes de femmes et les pôles égalité hommes-femmes des ministères, mais aussi pour les responsables et planificateurs publics qui s’efforcent d’arracher la Côte d’Ivoire aux fantômes du passé pour le transformer en puissance industrielle émergente. Une appréciation plus précise des liens entre prise de décision macroéconomique, productivité de la main d’œuvre et, en dernier ressort, la croissance devrait permettre de recueillir des éléments essentiels quant à l’importance, non seulement de la systématisation de la prise en compte de la place et du rôle des femmes en relation avec toutes les dimensions de la politique publique de l’État, mais aussi de la priorité qui doit être donnée à l’autonomisation économique des femmes pour veiller à ce que les objectifs du pays soient atteints.
Le rapport propose des initiatives ciblée dans plusieurs domaines : l’éradication des violences sexistes en Côte d’Ivoire ; le renforcement des cadres juridiques et institutionnels en matière d’égalité hommes-femmes ; l’élargissement de la participation des filles et des femmes sur le marché du travail, dans l’éducation et dans le domaine de la formation professionnelle ; l’intensification de l’entrepreneuriat et de la participation des femmes dans les zones industrielles ; et la facilitation de l’accès des femmes aux infrastructures et aux transports.
Les idées avancées dans ce rapport révisé sont destinées à encourager les discussions au sein de la MCC et du gouvernement ivoirien, et entre eux. Certaines des mesures suggérées doivent être regardées comme des éléments de conception du programme Compact de la MCC, d’autres comme de nouvelles initiatives ou l’extension d’initiatives existantes dont il serait préférable qu’elles soient défendues par le gouvernement ivoirien.
Un certain nombre d’organisations internationales ont créé des indices mondiaux ou régionaux destinés à comparer les performances nationales en termes d’égalité hommes-femmes. Cette note est consacrée à deux de ces indices, que nous analyserons en détail. Il s’agit de l’Indice mondial des disparités entre hommes et femmes du Forum économique mondial et de l’Indice de l'égalité entre les genres en Afrique de la Banque africaine de développement. Chacun d’eux est constitué d’indicateurs (c’est-à-dire, de variables en relation avec lesquelles de nombreux pays ont publié des données) qui sont utilisés pour créer des sous-indices, qui donnent lieu au calcul de moyennes pour obtenir les indices mondiaux. Les données brutes peuvent être transformées en résultats pour mesurer les écarts de performance par rapport à une référence en termes de meilleures pratiques, qui peuvent alors être utilisées pour dresser un classement national.
L’objet de cette note est d’analyser plus en profondeur les variables qui expliquent la mauvaise performance ivoirienne dans les deux indices. À cette fin, elle est comparée à celle d’un pays d’Afrique de l’ouest, le Ghana, et à pays d’Afrique de l’est, le Kenya, dont la performance est relativement bonne dans les indices.
Dans le cas de l’Indice mondial des disparités entre hommes et femmes (Global Gender Gap Index, GGGI) du Forum économique mondial, le résultat de la Côte d’Ivoire pâti de son retard systématique en termes d’opportunités économiques et de succès éducatifs, qui sont deux des quatre domaines pris en compte dans l’indice. Le résultat dans la catégorie autonomisation politique est également relativement faible, mais il l’est pour les trois pays examinés ici. Le GGGI est une estimation de la moyenne pondérée de quatre sous-indices : participation et opportunités économiques ; réussite éducative ; santé et survie ; et autonomisation politique. Chacun de ceux-ci est constitué d’indicateurs spécifiques :
Graphique 14: Composantes de l’Indice mondial d’inégalités de genre du Forum économique mondial
Participation économique | Réussite éducative | Santé et survie | Autonomisation politique |
|
Graphique 16: La place de la Côte d’Ivoire dans l’Indice mondial d’inégalités de genre du Forum économique mondial et les diverses catégories qui le composent
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Une comparaison de la Côte d’Ivoire par rapport au Ghana et au Kenya au cours de la période 2010-2016 montre qu’elle se classe systématiquement après les deux autres pays africains en termes de rang dans l’indice global. À cet égard, il convient de conserver à l’esprit que le nombre total de pays inclus dans l’indice a augmenté au fil du temps, passant de 134 pays en 2010 à 144 pays en 2016 (données brutes présentées ci-après).
Graphique 15: Évolution des classements de l’Indice mondial d’inégalités de genre
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Les résultats mesurent l’écart entre la « référence en matière d’égalité ». Tous les indicateurs ne sont pas également pondérés, ainsi qu’indiqué ci-après. Le GGGI est calculé sous forme de moyenne simple (ou pondérée) des 4 sous-indices.
Tableau 27: Pondération des catégories composant l’Indice mondial d’inégalités de genre du Forum économique mondial
Sous-indices et variables | Pondérations |
Participation et opportunité économique
|
1.000 0.199 0.310 0.221 0.149 0.121 |
Réussite éducative
|
1.000 0.191 0.459 0.230 0.121 |
Santé et survie
|
1.000 0.693 0.307 |
Autonomisation politique
|
1.000 0.310 0.247 0.443 |
Source : Forum économique mondial (2016)
Le résultat le plus élevé possible du GGGI est 1 (parité) et le plus faible 0 (absence totale de parité). Selon le Forum économique mondial, les résultats de l’indice final peuvent être interprétés approximativement « as a percentage value that reveals how a country has reduced its gender gap » [comme une valeur en pourcentage qui révèle comment un pays a réduit les inégalités entre les sexes][75]. L’évolution des résultats globaux de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Kenya au GGGI figurent ici. Une fois de plus, la Côte d’Ivoire s’est classée systématiquement après les deux autres pays africains en termes de résultat à l’indice global.
Une comparaison des tendances en termes de résultats sur la base de moyennes mobiles (deux dernières années avec les deux premières années de chaque série nationale) montre que le GGGI s’est amélioré de 6 points en cinq ans, ceux du Ghana (+ 2,5) et de la Côte d’Ivoire (+ 2,9) progressant également, bien que plus modérément.
L’examen des résultats de l’indice global et des quatre sous-indices de la Côte d’Ivoire montre que les lignes descriptives des tendances sont, pour l’essentiel, plates. Les sous-indices Opportunité économique (+4) et Réussite éducative (+7) se sont améliorés tandis que le sous-indice Santé et survie (-1) déclinait légèrement. Les résultats sont de loin les plus faibles pour le sous-indice Autonomie politique. Il en va cependant de même des trois pays comparés ici. Il ne s’agit pas d’un facteur explicatif de la faiblesse relative de la performance ivoirienne.
L’écart dans la catégorie Participation économique pour la Côte d’Ivoire (vu plus clairement ci-après) est dû à une baisse de l’indicateur « Égalité salarial pour un travail similaire », qui est passé de 0,66 en 2015 à 0,595 en 2016. Il s’agit de l’un des trois indicateurs utilisé pour calculer ce sous-indice. La plongée du résultat dans la catégorie Réussite éducative est due au déclin de la scolarisation des filles dans l’enseignement primaire (passé de 0,93 à 0,886) et dans l’enseignement supérieur (passé de 0,62 à 0,585) entre 2015 et 2016. Une recherche plus poussée est nécessaires pour comprendre les raisons de ces déclins.
Graphique 17: Comparaison des résultats dans les diverses catégories de l’Indice mondial d’inégalités de genre
Les classements et résultats sont présentés ci-après.
Tableau 28: L’Indice mondial d’inégalités de genre, par classement national
Nbre TOTAL de pays | Classement général - Indice mondial d’inégalités de genre | Classement – sous-indice Participation et opportunité économique | Classement – sous-indice Réussite éducative | Classement – sous-indice Santé et survie | Classement – sous-indice Autonomisation économique | |||||||||||
GHA | KYA | CIV | GHA | KYA | CIV | GHA | KYA | CIV | GHA | KYA | CIV | GHA | KYA | CIV | ||
2010 | 134 | 70 | 96 | 130 | 15 | 82 | 106 | 111 | 102 | 130 | 103 | 101 | 1 | 88 | 98 | 104 |
2011 | 135 | 70 | 99 | 130 | 17 | 83 | 103 | 111 | 101 | 130 | 104 | 102 | 1 | 91 | 100 | 105 |
2012 | 136 | 71 | 72 | 130 | 26 | 35 | 111 | 113 | 106 | 131 | 105 | 103 | 1 | 100 | 103 | 104 |
2013 | 136 | 76 | 78 | 131 | 24 | 44 | 110 | 111 | 107 | 133 | 104 | 102 | 1 | 95 | 86 | 107 |
2014 | 142 | 101 | 37 | 136 | 64 | 9 | 112 | 117 | 115 | 137 | 116 | 80 | 104 | 97 | 48 | 115 |
2015 | 145 | 63 | 48 | 113 | 13 | 25 | 112 | 119 | 113 | 138 | 87 | 85 | 113 | 96 | 62 | 119 |
2016 | 144 | 59 | 63 | 136 | 10 | 48 | 116 | 119 | 116 | 139 | 85 | 83 | 112 | 95 | 64 | 120 |
Tableau 29: L’Indice mondial d’inégalités de genre, par résultats nationaux
Classement général - Indice mondial d’inégalités de genre | Classement – sous-indice Participation et opportunité économique | Classement – sous-indice Réussite éducative | Classement – sous-indice Santé et survie | Classement – sous-indice Autonomisation économique | |||||||||||
GHA | KYA | CIV | GHA | KYA | CIV | GHA | KYA | CIV | GHA | KYA | CIV | GHA | KYA | CIV | |
2010 | 0.678 | 0.65 | 0.569 | 0.758 | 0.615 | 0.539 | 0.891 | 0.94 | 0.692 | 0.967 | 0.968 | 0.98 | 0.096 | 0.077 | 0.065 |
2011 | 0.681 | 0.649 | 0.577 | 0.758 | 0.616 | 0.557 | 0.903 | 0.936 | 0.707 | 0.967 | 0.968 | 0.98 | 0.096 | 0.077 | 0.066 |
2012 | 0.678 | 0.677 | 0.578 | 0.754 | 0.724 | 0.547 | 0.906 | 0.937 | 0.709 | 0.967 | 0.968 | 0.98 | 0.084 | 0.079 | 0.078 |
2013 | 0.681 | 0.68 | 0.581 | 0.766 | 0.715 | 0.556 | 0.897 | 0.923 | 0.714 | 0.967 | 0.968 | 0.98 | 0.094 | 0.116 | 0.076 |
2014 | 0.666 | 0.726 | 0.587 | 0.677 | 0.810 | 0.582 | 0.91 | 0.923 | 0.722 | 0.967 | 0.973 | 0.968 | 0.11 | 0.197 | 0.078 |
2015 | 0.704 | 0.719 | 0.606 | 0.808 | 0.778 | 0.603 | 0.924 | 0.942 | 0.773 | 0.973 | 0.973 | 0.968 | 0.112 | 0.182 | 0.081 |
2016 | 0.705 | 0.702 | 0.597 | 0.805 | 0.710 | 0.575 | 0.931 | 0.943 | 0.764 | 0.973 | 0.973 | 0.968 | 0.112 | 0.182 | 0.081 |
Les résultats d’indicateur pour le sous-indice Participation et opportunité économique sont présentés ci-après. En moyenne, pour ces trois indicateurs, les écarts sont les plus importants pour la Côte d’Ivoire, par rapport au Ghana et au Kenya, pour le taux de revenu acquis estimé et le taux d’activité.
Tableau 30: Tendances des variables entrant dans la composition de l’indice d’opportunité économique
Égalité de rémunération pour un travail similaire (enquête) | Revenu acquis estimé (PPA en USD) | Taux d’activité des femmes par celui des femmes | |||||||
GHA | KYA | CIV | GHA | KYA | CIV | GHA | KYA | CIV | |
2010 | 0.76 | 0.69 | 0.63 | 0.74 | 0.65 | 0.34 | 0.99 | 0.88 | 0.62 |
2011 | 0.75 | 0.69 | 0.58 | 0.75 | 0.66 | 0.46 | 0.99 | 0.88 | 0.62 |
2012 | 0.77 | 0.68 | 0.55 | 0.7 | 0.88 | 0.47 | 0.99 | 0.65 | 0.62 |
2013 | 0.72 | 0.67 | 0.56 | 0.66 | 0.65 | 0.48 | 0.95 | 0.86 | 0.64 |
2014 | 0.59 | 0.7 | 0.61 | 0.66 | 0.92 | 0.49 | 0.96 | 0.86 | 0.65 |
2015 | 0.78 | 0.62 | 0.66 | 0.73 | 0.93 | 0.48 | 0.96 | 0.86 | 0.65 |
2016 | 0.75 | 0.651 | 0.595 | 0.744 | 0.653 | 0.48 | 0.972 | 0.864 | 0.65 |
Écarts moyens CIV | 0.207 | 0.561 | 0.538 |
Note : les écarts CIV correspondent à la somme des différences (GHA-CIV) et (KYA-CIV) pour chaque indicateur et chaque année
Le revenu acquis est estimé à l’aide de la méthodologie développée par le Programme des Nations Unies pour le développement. Il est basé sur la part des femmes et des hommes dans la population active (désormais appelée participation à la main d’œuvre), le ratio des salaires des femmes par rapport à ceux des hommes, et le revenu national brut (RNB) sur la base de la parité de pouvoir d’achat en 2011 pour les femmes et les hommes[76]. La part du bulletin de salaire revenant aux femmes est égale au rapport des salaires femmes/hommes multiplié par la part des femmes dans la population active, à l’échelle de population totale, multiplié par le revenu national brut par habitant. Les valeurs réelles sont normalisées à une échelle dans laquelle 1 correspond à une parité femmes/hommes complète.
Pour une analyse de la participation à la main d’œuvre, voir la section après sur l’Indice de l'égalité entre les genres en Afrique de la Banque africaine de développement.
Pour les quatre indicateurs qui constituent le sous-indice Réussite éducative, voir les résultats ci-après. L’écart moyen entre la Côte d’Ivoire et les deux pays de référence pour la période de sept ans est le plus important pour l’indicateur de scolarisation dans l’enseignement secondaire.
Tableau 31: Tendances des variables entrant dans la composition de l’indice de succès éducatif
Taux d’alphabétisation | Scolarisation dans l’enseignement primaire | Scolarisation dans l’enseignement secondaire | Scolarisation dans l’enseignement supérieur | |||||||||
GHA | KYA | CIV | GHA | KYA | CIV | GHA | KYA | CIV | GHA | KYA | CIV | |
2010 | 0.82 | 0.92 | 0.69 | 1 | 1 | 0.8 | 0.92 | 0.96 | 0.57 | 0.54 | 0.7 | 0.5 |
2011 | 0.83 | 0.92 | 0.7 | 1 | 1 | 0.83 | 0.92 | 0.94 | 0.57 | 0.62 | 0.7 | 0.5 |
2012 | 0.84 | 0.93 | 0.72 | 1 | 1 | 0.83 | 0.92 | 0.94 | 0.57 | 0.62 | 0.7 | 0.5 |
2013 | 0.83 | 0.86 | 0.72 | 0.98 | 1 | 0.83 | 0.92 | 0.94 | 0.57 | 0.63 | 0.7 | 0.52 |
2014 | 0.83 | 0.86 | 0.59 | 1 | 1 | 0.84 | 0.95 | 0.94 | 0.57 | 0.61 | 0.7 | 0.78 |
2015 | 0.87 | 0.92 | 0.61 | 1 | 1 | 0.93 | 0.97 | 0.97 | 0.67 | 0.63 | 0.7 | 0.62 |
2016 | 0.87 | 0.92 | 0.61 | 1 | 1 | 0.89 |